« J’ai volé ma première arme, quand j’avais dix ans. C’était une arme à silex. Quand je suis devenu capitaine, à 14 ans, j’avais beaucoup d’armes. Je commandais 50 personnes, enfants et adultes. Il y avait environ 30 enfants dans mon unité. Le plus jeune avait dix ans », a dit à IRIN Dikembe, maintenant âgé de 17 ans.
Lorsqu’IRIN l’a rencontré, dans l’un des « foyers de transition » pour anciens enfants-soldats de Kiwanja, dans le territoire de Rutshuru, Dikembe jouissait de son premier mois de « confort » dans une maison sommaire de brique et de mortier, après dix ans passés dans la brousse.
« Je suis toujours en colère contre mon oncle. J’ai l’impression d’avoir perdu dix années de ma vie, a-t-il dit. C’était très difficile. Il n’y avait pas d’école. Je n’avais terminé que deux années de scolarité [avant d’être enrôlé de force comme enfant-soldat]. »
« En ce moment, des enfants des Maï-Maï Nyatura, des FDLR [Forces démocratiques de libération du Rwanda] et du Pareco
[l’alliance des Patriotes résistants congolais] sont hébergés ici. Lorsqu’ils arrivent, certains manquent parfois de respect, mais ils deviennent vite comme les autres enfants. Ils n’ont jamais été violents à mon égard, a-t-elle dit. Un seul a déjà volé, puis il est parti. »
« Je reçois un soutien financier [de l’organisation non gouvernementale (ONG) locale Union pour la paix et la promotion des droits de l’enfant au Congo (UPDECO)]. Mais je fais cela en tant que parent. L’un de mes enfants pourrait se faire enrôler par une armée. Si cela arrivait, j’espère qu’un autre parent sera là pour s’en occuper [s’il ou elle s’échappe du groupe armé]. »
Dikembe a passé ses premières années comme garde du corps de son oncle, avant de se faire enrôler par le Pareco, créé en 2007 par des membres de différentes communautés du Nord-Kivu, notamment des Hunde, des Hutu, des Nande, des Nyanga, et des Tembo.
Dikembe a été blessé deux fois au cours des dix ans qu’il a passés comme enfant-soldat.
« La première bataille à laquelle j’ai participé était contre les FDLR [un groupe armé anti-Rwandais qui a scellé une alliance informelle avec le Pareco]. J’ai combattu contre les ADF-Nalu [Alliance des forces démocratiques – un groupe armé islamiste opposé au gouvernement ougandais voisin] à Beni, et contre le M23 [Mouvement du 23 mars, un groupe armé qui combattrait pour le compte du Rwanda]. »
Finalement, c’est grâce à son grade et à une rencontre fortuite avec les membres d’une ONG locale de défense des droits des enfants qu’il a pu fuir son groupe armé.
« En tant que capitaine, j’étais libre d’aller où je voulais. Heureusement, à Lubero, j’ai rencontré des gens d’UPDECO. Ils m’ont dit qu’ils pouvaient me donner des papiers de démobilisation et qu’ensuite j’allais pouvoir quitter le Pareco pour toujours », a-t-il dit.
Le témoignage d’une fille sergente
Eshe Makemba*, 17 ans, est parvenue jusqu’au grade de sergente au sein des FDLR, mais elle ne bénéficiait pas d’une telle liberté de mouvement. C’est le fait d’être « discriminée » par les officiers rwandais des FDLR à cause de sa nationalité congolaise qui l’a poussée à déserter, a-t-elle dit. « Je ne pouvais pas dire ce que je pensais, car ils me disaient que les Congolais étaient des bons à rien. »
Après sept ans au sein du groupe armé, elle a fui dans la forêt. Les membres des FDLR ont organisé une battue de deux jours à sa recherche et l’auraient exécutée s’ils l’avaient trouvée, a-t-elle dit.
Elle avait dix ans lorsqu’elle s’est fait enlever avec quatre autres filles près de Kisharo, dans le territoire de Rutshuru, par les FDLR. Elle était la plus jeune des captives et la seule à avoir survécu au passage d’une rivière peu après son enlèvement. Elle a ensuite suivi un entraînement militaire de trois mois.
« J’ai volé et tué des gens pour rien [...] Je tuais des gens pour sauver ma propre vie », a-t-elle dit à IRIN. Elle a participé à des opérations contre la milice Ndumba Defence of Congo (NDC) de Ntabo Ntaberi Sheka et contre le M23. Le reste du temps, elle attaquait des fermes et des propriétés familiales.
« Je me sentais bien après les batailles. J’aimais les batailles parce que je savais qu’après il y aurait des vêtements, de l’argent et de la nourriture », a dit Eshe.
« Un jour, j’étais avec un groupe [de soldats des FDLR] qui ont violé une femme. Mais je n’ai rien fait. Je n’avais pas peur de me faire violer, parce que j’avais une arme et je pouvais me défendre. Mais je ne pouvais rien faire pour empêcher le viol [de cette femme] », a-t-elle dit.
Appel à une répression plus efficace
En octobre 2013, la Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en RDC (MONUSCO) a publié un rapport intitulé Recrutement d’enfants par des groupes armés en RDC de janvier 2012 à août 2013. D’après ce rapport, au cours des cinq dernières années, environ 10 000 enfants ont été séparés des groupes armés. Cependant, au cours de la période de l’étude, près de 1 000 autres enfants ont été recrutés et le recrutement d’enfants reste « systémique » dans plus de 25 groupes armés.
Environ la moitié des cas de recrutement d’enfants documentés au cours de la période en question a été attribuée aux FDLR, aux Nyatura et au M23.
La condamnation du chef de l’Union des Patriotes Congolais (UPC), Thomas Lubanga, par la Cour pénale internationale (CPI) en 2012 pour l’enrôlement d’enfants-soldats dans la région d’Ituri, dans le nord-est de la RDC, en 2002 et 2003 « est importante, car cela montre clairement que ceux qui recrutent et utilisent des enfants devront rendre des comptes », a dit à IRIN Richard Clarke, directeur de l’ONG londonienne Child Soldiers International.
« Mais il faut compléter cela par des enquêtes et des mesures de répression plus efficaces à l’échelle nationale afin de mettre un terme à l’impunité [dont bénéficient les auteurs] de ces crimes », a-t-il dit.
Selon M. Clarke, d’autres stratégies peuvent permettre d’éviter cette pratique : donner « des ordres militaires clairs » interdisant de recruter des enfants, « raffermir les procédures de recrutement par la mise en place de méthodes de vérification de l’âge des recrues, former les membres des forces armées aux droits des enfants et aux principes de protection des enfants, créer des structures de protection des enfants au sein de l’armée [et] permettre aux organisations de protection des enfants de visiter les camps militaires pour vérifier qu’aucun enfant n’a été enrôlé illégalement ».
Patrice Munga*, un militant de la société civile de Tongo, dans le territoire Rutshuru, a dit à IRIN que les FDLR avaient récemment commencé à recruter « des enfants vraiment jeunes [de moins de 15 ans] ».
Selon lui, les FDLR ne forcent pas les enfants à intégrer leurs rangs, mais mènent des interventions de « sensibilisation » dans les écoles du village en leur « disant que les FDLR sont bienfaisantes » et environ 20 enfants se sont volontairement engagés dans le groupe armé entre novembre et décembre 2013.
D’après lui, les garçons seraient revenus à Tongo après quelques semaines, armés de fusils d’assaut AK-47. M. Munga a dit avoir vu l’un des enfants-soldats « montrer aux autres enfants [du village] comment utiliser son arme et un soldat des FARDC [Forces armées de la RDC] qui passait lui a dit “alors comme ça tu es un soldat toi aussi”. »
Zeka Kabongo*, 13 ans, a le gabarit d’un enfant de sept ans. Pendant l’entretien avec IRIN, assis, les jambes croisées, il frottait sans cesse le bras de son fauteuil en bois.
Enlevé avec trois autres garçons en milieu de journée à Lubero par quatre hommes armés, il a passé deux ans comme garde du corps de M. Kise, le secrétaire de l’Union des Patriotes Congolais pour la Paix (UPCP) du général Kakule Sikula Lafontaine.
M. Lafontaine « nous a dit que nous nous battions pour notre part du pays, que le gouvernement refusait de nous donner », a dit Zeka.
Il a dit qu’il n’avait « tué qu’une personne » pendant toute la période qu’il a passée au sein du groupe armé, au cours de l’attaque d’une propriété familiale avec quatre autres enfants de l’UPCP en quête de nourriture.
« On est entrés dans la maison et on a demandé à la femme où était son mari. Mais la femme ne voulait pas nous le dire. Alors on s’est rassemblés et on a décidé de la tuer [à coup de couteau]. Quand on a rejoint le groupe, on a dit à [M.] Lafontaine ce qu’on avait fait. Il nous a dit que “nous avions fait une bonne chose”. »
*Noms fictifs
go/cb-ld/amz
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