1. Accueil
  2. Asia
  3. Afghanistan

La danse des garçons afghans

FARAH, Afghanistan – A band member plays the rubab during a musical performance at the Anab Gull Poetry Festival at the Farah Provincial Governors compound in Farah, Afghanistan (May 8, 2010) Wikipedia Commons

L’exploitation sexuelle des garçons, et en particulier la pratique dite du « bacha bazi » (littéralement ‘garçons à jouer’) – les garçons dansent pour leur « propriétaire » et ont parfois des relations sexuelles avec lui - est une des formes de maltraitance les plus occultées en Afghanistan.

Cette tradition très ancienne, interdite par les talibans lors de leur arrivée au pouvoir, revient dans le pays.

« Auparavant, la pratique du bacha bazi avait cours dans certaines zones ; aujourd’hui, elle est très répandue. À Takhar [province] et dans le reste du Nord », a dit à IRIN Suraya Subhrang, Commissaire aux droits de la femme à la Commission indépendante afghane des droits humains (AIHRC).

« Quand il n’y a pas de gouvernement central fort ou d’État de droit, que la culture de l’impunité règne et que les lois ne sont pas appliquées, beaucoup de choses peuvent se passer ».

L’influence des seigneurs de guerre, des riches commerçants et des groupes armés illégaux soutient la demande. La pauvreté et le très grand nombre d’enfants déplacés assurent l’approvisionnement en garçons exploitables. Vers l’âge de 18 ans, les garçons sont relâchés, mais leur avenir est sombre.

En général, ils sont appâtés ou enlevés, alors qu’ils ne sont que des enfants, et ils sont détenus par un « propriétaire ».

Bon nombre de « propriétaires » nient infliger des sévices sexuels aux garçons, mais le soir, après la danse, il arrive que des groupes d’hommes se livrent à des abus sexuels sur les enfants.

Un ancien commandant de l’Alliance du Nord, qui s’opposait au gouvernement taliban à l’époque au pouvoir, a dit à IRIN qu’il avait eu un bacha de 14 ans pendant deux ans. Il a indiqué qu’il ne lui avait pas donné d’argent, mais qu’il avait payé ses dépenses qui s’élevaient à 300 ou 400 dollars par an. « Il y a deux genres de garçons : ceux qui dansent bien et qui sont gardés à des fins de divertissement, et ceux qui ne dansent pas et qui sont gardés à des fins d’exploitation sexuelle. Je gardais mon garçon pour le sexe », a-t-il dit.

Les militants indiquent qu’ils ont été témoins à de multiples reprises de cas d’exploitation sexuelle, mais que les auteurs ne sont pas sensibilisés aux droits des enfants, ou qu’ils recourent à la contrainte et à la violence sexuelle.

Des DVD de jeunes garçons habillés en femme et dansant à l’occasion de mariages ou d’autres évènements sont vendus dans la rue ou sont visibles sur YouTube.

Efforts de sensibilisation

En 2009, les Nations Unies ont essayé de sensibiliser la population à la question, mais l’Afghanistan est un pays très conservateur, où l’homosexualité est taboue, les relations hétérosexuelles sont soumises à une stricte surveillance et la pratique du bacha bazi est profondément enracinée dans la culture. « Si on accordait la même attention au bacha bazi [qu’aux droits des femmes], je suis sûr que l’on verrait une différence, mais personne n’en parle », a dit un analyste qui a demandé à garder l’anonymat.

« Il est temps de s’attaquer ouvertement à cette pratique et d’y mettre fin. Les autorités religieuses afghanes m’ont contactée pour que je les aide à combattre ces activités. Il faudrait adopter des lois et lancer des campagnes, et les auteurs devraient être tenus responsables et punis », a dit Radhika Coomaraswamy, Secrétaire générale adjointe des Nations Unies et Représentante spéciale pour les enfants et les conflits armés, devant l’Assemblée générale.
Le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) a évoqué la question à de multiples reprises, a indiqué Alistair Gretarsson, porte-parole de l’UNICEF, et notamment dans le récent Rapport du Secrétaire général au Conseil de sécurité.

M. Gretarsson et d’autres travailleurs humanitaires ont dit à IRIN que les victimes font en général preuve d’une extrême réticence à rapporter les cas de violences, craignant la stigmatisation, les crimes d’honneur et les représailles. Dans certains cas, les garçons – et non pas les auteurs – sont inculpés pour homosexualité ou d’autres crimes. « Le garçon ne dira jamais, 'Cette personne a eu des relations sexuelles avec moi' », a dit un travailleur humanitaire afghan de l’est de la province de Nangarhar.

« Il n’y a pas de programmes de sensibilisation ou d’éducation sur la question dans les districts de Nangarhar, ce qui est l’une des principales raisons pour lesquelles les personnes s’adonnent à cette pratique ». Si l’on veut que les choses changent, disent les militants, ceux qui ont un statut au sein des communautés locales – les théologiens, les anciens des tribus et les autorités gouvernementales – devront prendre position contre les violences faites aux garçons.

La vie d’un bacha

La pratique est répandue dans les zones rurales, chez les puissants responsables et les chefs des milices – ceux qui ont suffisamment d’argent et d’influence pour passer outre le système juridique et y échapper. Mais elle existe également dans les villes, chez une élite riche et puissante.

« Nous ne prenions pas les garçons de force, ils venaient d’eux-mêmes », a dit un homme de la province de Kunduz. « En général, [ils] choisissent l’... [homme] le plus puissant, mais si vous abusez d’eux ou que vous ne les payez pas suffisamment, ils vous quitteront pour quelqu’un d’autre ».

Un bacha de 17 ans, originaire d’un village pauvre du district de Sangin, au sud de la province de Helmand, a dit à IRIN, « Mes parents savent ce que je fais, mais ils ne disent pas grand-chose, parce que les hommes qui ont des garçons ont tellement de pouvoir – ils ne craignent personne ». Il a dit que le fait de garder des garçons est tellement courant dans le Sud, qu’il n’y a « pas de problèmes » associés à la pratique.

Le garçon a dit qu’il aimait ce qu’il faisait, mais la raison la plus évidente semblait être l’argent – ce qui soulève la question du « consentement » dans le cas d’un adolescent issu d’une famille pauvre.

« J’étais au chômage et ils m’ont offert des choses que je n’avais pas », a-t-il dit. « Les hommes qui ont des bachas doivent pouvoir fournir tout ce qui est nécessaire pour avoir une belle vie – par exemple, de l’argent, une voiture, de beaux vêtements et d’autres choses comme ça. Aujourd’hui, j’ai tout ce dont j’ai besoin maintenant, tandis que ma maison dans le village n’avait rien ».

Certains garçons ont des relations sexuelles avec un seul homme, d’autres garçons ont des relations sexuelles avec plusieurs partenaires, a dit l’ancien commandant du nord de la province de Kunduz. « Cela dépend du garçon. Il peut avoir des relations avec un groupe d’une dizaine ou d’une quinzaine d’hommes ... mais le garçon ne dit pas oui à tout le monde ».

Les analystes soulignent que bon nombre de bachas ont été enlevés, échangés comme des marchandises ; s’ils tentent de s’échapper, ils savent que leurs parents risquent la mort.

Le glamour lié au bacha et l’accent mis sur la « danse » camouflent les abus sexuels et la pédophilie. En général, les habitants du village connaissent le bacha. Ils sont « célèbres », a dit un travailleur humanitaire de la province de Nangarhar.

L’argent, les vêtements et la proximité du pouvoir leur permettent d’avoir un statut parmi leurs pairs, mais les viols et les violences qu’ils subissent les stigmatiser aussi dans la communauté. Le fait d’être identifié et connu encourage leur exploitation, notamment par les membres des forces de sécurité afghanes stationnés dans les zones rurales.

« Les soldats afghans ... s’installent dans un district pour une durée de six ou sept mois ; ils ne sont pas chez eux ; ils sont jeunes, certains viennent de se marier et ils ne peuvent pas se passer de sexe pendant sept mois, alors ils [utilisent l’argent, les vêtements, les cadeaux] pour attirer les garçons et les filles de la région », a dit un travailleur humanitaire.

Dans les zones rurales de l’Afghanistan, il est interdit aux hommes et aux femmes d’être vus ensemble en public. Les hommes et les femmes qui ont des relations sexuelles hors mariage courent le risque d’être exécutés. « Des hommes [et des garçons] ensemble, ça se remarque moins », a dit Thomas Ruttig du Réseau des analystes d’Afghanistan (Afghanistan Analysts Network, AAN). « Dans la majorité des cas, il semble que les garçons sont obligés de devenir des « garçons qui dansent », et ils n’ont probablement pas conscience de ce que cela implique ».

Comme l’ancien commandant de Kunduz, la majorité des hommes qui possèdent des garçons sont mariés. Ils peuvent passer la journée avec le garçon et rentrer chez eux le soir. Il n’est pas rare que ces hommes donnent leurs filles en mariage à ces anciens 'garçons' et qu’ils poursuivent leur relation de manière discrète, selon M. Subhrang de l’AIHRC.

L’ancien commandant indique qu’il sait qu’il a commis une erreur, mais lorsqu’il croise le bacha dont il était autrefois propriétaire, le garçon n’évoque jamais leur relation. « Il n’en a pas le courage, car il a trop honte ».

bm/jj/cb/oa/he-mg/amz


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

Partager cet article

Get the day’s top headlines in your inbox every morning

Starting at just $5 a month, you can become a member of The New Humanitarian and receive our premium newsletter, DAWNS Digest.

DAWNS Digest has been the trusted essential morning read for global aid and foreign policy professionals for more than 10 years.

Government, media, global governance organisations, NGOs, academics, and more subscribe to DAWNS to receive the day’s top global headlines of news and analysis in their inboxes every weekday morning.

It’s the perfect way to start your day.

Become a member of The New Humanitarian today and you’ll automatically be subscribed to DAWNS Digest – free of charge.

Become a member of The New Humanitarian

Support our journalism and become more involved in our community. Help us deliver informative, accessible, independent journalism that you can trust and provides accountability to the millions of people affected by crises worldwide.

Join