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Au Nigeria, la trêve reste incertaine

Destruction caused by Boko Haram militia at a police headquarters in the northern Kano city Aminu Abubakar/IRIN

La déclaration de cessez-le-feu faite par le commandant autoproclamé de Boko Haram, Muhammed Abdulazeez Ibn Idris, au nom de son dirigeant, Abubakar Shekau, a provoqué des réactions mitigées de la part des analystes de la sécurité du Nigeria. Certains l’ont accueillie comme un bon pas vers la paix, tandis que d’autres n’y voient qu’une simple ruse.

Depuis le 28 janvier, plusieurs tentatives d’enlèvement ont eu lieu, ainsi qu’une tentative d’attentat suicide à Maiduguri, dans le nord-est du pays, et l’assassinat d’agents de santé impliqués dans la vaccination contre la polio à Kano.

M. Idris a déclaré que le cessez-le-feu était le résultat de pourparlers avec de hauts fonctionnaires de l’État de Borno au cours desquels Boko Haram avait demandé la libération de plusieurs centaines de ses membres détenus par les autorités depuis juin 2009. Selon lui, son appel est motivé par les souffrances humanitaires infligées aux femmes et aux enfants par ces quatre années de violences.

Le 20 février, selon le porte-parole de l’armée à Maiduguri et des habitants de la ville, des tracts liés à M. Shekau ont cependant été distribués, le dissociant de la déclaration de cessez-le-feu et promettant de nouvelles attaques meurtrières.

M. Idris avait déjà proposé un cessez-le-feu au gouvernement le 1er novembre 2012 sous certaines conditions. Il exigeait notamment l’arrestation et le jugement de l’ancien gouverneur de Bormo, Ali Modu Sheriff, pour l’assassinat du chef de Boko Haram, Mohammed Yusuf, et de plusieurs membres du mouvement lors du soulèvement à Maiduguri, en 2009, à l’époque où M. Sheriff était encore gouverneur.

M. Idris a demandé que le général à la retraite et candidat à la présidentielle pour le Parti du peuple nigérian, Muhammadu Buhari, fasse office de négociateur dans les pourparlers. M. Buhari et son parti ont refusé, accusant le Parti démocratique populaire (PDP) au pouvoir de se servir délibérément de M. Idris pour faire passer M. Buhari pour un sympathisant de Boko Haram afin de le discréditer politiquement.

Selon des sources proches de Boko Haram, M. Idris serait un proche allié de M. Shekau et aurait tenté de le persuader d’accepter le dialogue avec le gouvernement lorsque le bilan des victimes du conflit a commencé à l’inquiéter de manière croissante. Selon les mêmes sources, il aurait essuyé un refus de M. Shekau et aurait décidé de s’adresser unilatéralement au gouvernement en espérant qu’un accord satisfaisant et la libération de centaines de membres du mouvement incitent M. Shekau à changer d’avis.

« Je ne pense pas qu’Abdulazeez [Idris] représente Boko Haram », a dit Mustapha Zannah, juriste de Maiduguri et avocat de la défense de plusieurs membres de Boko Haram arrêtés lors du soulèvement de 2009. « Le mouvement accorde beaucoup d’importance à l’autorité et une déclaration aussi capitale qu’un cessez-le-feu ne saurait provenir de quelqu’un d’autre que M. Shekau », a-t-il dit.

Dans ses déclarations par courrier électronique aux médias, Boko Haram n’a cessé de réclamer l’application de la charia comme condition au cessez-le-feu. « La position de Boko Haram par rapport aux pourparlers dépend toujours des préceptes islamiques et non de tels sentiments humanitaires », a dit M. Zannah.

Une douzaine d’États du nord du Nigeria ont adopté la charia depuis 1999 et mis en place des tribunaux coraniques, une police islamique (l’« hisbah ») et d’autres institutions liées à la charia. La constitution nationale laïque prévaut toutefois contre les dispositions concurrentes de la charia. C’est pourquoi Boko Haram rejette la forme actuelle de la charia appliquée dans le nord, la qualifiant de superficielle. Selon le mouvement, la charia ne peut être appliquée véritablement que dans un État islamique.

Le 28 janvier 2013, le lieutenant-colonel Sagir Musa, porte-parole de la Joint Task Force (JTF), une unité militaire spéciale déployée à Maiduguri pour mettre fin aux violences perpétrées par Boko Haram, a déclaré qu’il se réjouissait de ce cessez-le-feu, mais que l’armée allait continuer à mener ses opérations contre le mouvement islamiste.

Les 30 et 31 janvier, des soldats ont fait une descente dans deux camps d’entrainement de Boko Haram à l’extérieur de Maiduguri. Ils ont tué 17 membres du mouvement et saisi un important stock d’armes. Les violences ont pourtant continué depuis.

Le 29 janvier, le Chef d’état-major de la Défense, l’amiral Ola Sa’id a demandé à Boko Haram une garantie de paix d’un mois pour que le gouvernement puisse prendre le cessez-le-feu au sérieux.

Le 18 février, au Collège de guerre du Nigéria, Sarkin-Yaki Bello, général à la retraite et directeur du Centre national du contre-terrorisme, a dit à une délégation de l’armée américaine qu’il faudrait qu’Abubakar Shekau annonce publiquement le cessez-le-feu pour que le gouvernement y croie. « Si M. Shekau peut annoncer, à travers le support qu’il utilise habituellement (YouTube), qu’il renonce aux violences, le gouvernement sera prêt à dialoguer. »

Kyari Mohammed, professeur de sciences politiques à l’université de science et de technologie Modibbo Adama de Yola, au nord-est du pays, rédige actuellement un ouvrage sur Boko Haram. Selon lui, une annonce de M. Shekau ne pourrait pas mettre fin aux violences. « Même si M. Shekau déclare un cessez-le-feu, certaines cellules ne le respecteront pas et continueront à combattre. C’est un monstre qui a été créé. »

Un dialogue décousu

Boko Haram est divisé en plusieurs cellules et, selon le professeur, les négociations se font donc « petit bout par petit bout », en commençant par les cellules locales jusqu’à atteindre les principaux dirigeants. Selon les analystes de la sécurité, M. Shekau contrôle la cellule centrale, mais d’autres sont semi-autonomes et opèrent généralement de manière indépendante, même si elles maintiennent des liens distendus entre elles et mènent des actions conjointes.

Boko Haram est responsable de nombreux attentats à la bombe et de fusillades qui ont fait des centaines de morts depuis 2009. Il convient cependant de préciser que des groupes criminels ont également commis des assassinats, des braquages de banques, des attentats à la bombe dans des postes de police et des vols d’armes en se faisant passer pour des membres du mouvement.

Les tentatives de négociation précédentes s’étaient soldées par un échec, car les deux camps s’accusaient mutuellement de tromperie.

Le 17 mars 2012, Datti Ahmed, médecin respecté devenu imam, s’était retiré du processus de médiation entre Boko Haram et le gouvernement, accusant ce dernier d’hypocrisie à la suite de révélations faites aux médias par de hauts fonctionnaires concernant des détails des pourparlers.

Le 22 août, Boko Haram avait mis fin au dialogue avec les représentants du gouvernement à Kaduna après l’arrestation de l’un de ses commandants supérieurs, Abu Dardaa, envoyé par le mouvement pour le représenter. Depuis août 2011, selon Reuben Abati, porte-parole du président Goodluck Jonathan, le gouvernement avait mené secrètement des pourparlers avec les islamistes.

Kyari Mohammed a dit à IRIN que le cessez-le-feu déclaré par M. Idris à Maiduguri était « sincère ». « C’est le fruit d’un arrangement local négocié avec le gouvernement de l’État de Borno depuis juin 2012 », a-t-il dit à IRIN.

Selon Isa Gusau, porte-parole du gouverneur de l’État de Borno, le gouvernement avait entamé des pourparlers avec la faction de Boko Haram commandée par M. Idris qui ont conduit à cette déclaration de cessez-le-feu. « Nous nous trouvons dans une situation désespérée et mettre fin au cycle de la violence est notre priorité. Nous savons que nous traitons avec une faction du mouvement [Boko Haram] qui pourrait ouvrir la voie vers des négociations de plus grande ampleur et un cessez-le-feu de toutes les autres factions du groupe afin de mettre un terme à la violence. »

Certains analystes estiment cependant que l’intervention française au Mali pourrait inciter le gouvernement à favoriser une issue militaire au conflit dans le nord, plutôt que de poursuivre le dialogue.

Le mouvement dissident Ansaru

L’émergence de Jama’atu Ansarul Muslimina fi Biladissudan, plus communément connu sous le nom d’Ansaru, complique d’autant plus tout dialogue éventuel avec Boko Haram.

Ansaru est dirigé par Khalid Barnawi, l’un des trois chefs de file de Boko Haram figurant sur la liste noire des terroristes mondiaux dressée par le gouvernement américain. Le mouvement s’est séparé de Boko Haram en juin 2012.

Ansaru inquiète particulièrement les services de sécurité, car il serait allié à des groupes islamistes associés à Al-Qaida au Mali et en Afrique du Nord, dont Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI).

Tout comme AQMI, Ansaru préfère les prises en otage de ressortissants étrangers aux attentats à la bombe et aux assassinats. Le mouvement se serait séparé de Boko Haram, car ses membres déploraient le nombre de victimes civiles des attentats et appelaient à des attaques plus ciblées visant des Occidentaux.

Le mouvement a participé à la prise en otages de sept membres d’une famille française au nord du Cameroun le 19 février 2013.

Contrairement à Boko Haram, dont les doléances ont une teneur plutôt nationale, Ansaru a des objectifs djihadistes internationaux. Selon Shehu Sani, un militant pour les droits civils ayant participé à des pourparlers de paix avortés avec Boko Haram en septembre 2011, il est donc plus difficile d’entamer le dialogue avec eux à l’échelle nationale. Le mouvement a enlevé un ressortissant français dans l’État de Katsina le 19 décembre 2012 et pris en otage sept étrangers, dont trois Occidentaux, dans l’État de Bauchi le 16 février 2013. Ces actions auraient été menées en réaction à la position de la France en faveur de l’intervention militaire au Mali et aux « atrocités contre les musulmans » commises en Occident.

Certains estiment toutefois que Boko Haram et Ansaru ont plus ou moins la même intention d’instaurer un État islamique.

Le gouvernement doit choisir son terrain de bataille. Selon M. Sani, il doit essayer de venir à bout de Boko Haram avant de s’attaquer à Ansaru. « Nous ne pouvons pas lutter contre de multiples groupes armés en même temps. »

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This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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