« J’ai pleuré pendant tout le trajet entre mon village et Jalozai. Je n’ai jamais voulu quitter ma maison. Je pensais que j’y retournerais dans 20 jours, mais ça fait maintenant un an que je suis partie », a-t-elle dit, assise dans la cour d’un campement de fortune.
Mme Bibi fait partie des centaines de milliers de Pakistanais déplacés qui ont fui les combats entre les groupes d’insurgés et l’armée pakistanaise dans l’Agence de Khyber, [une région administrative] située à la frontière avec l’Afghanistan.
Les psychologues et les travailleurs humanitaires ont dit que les déplacés présentaient un risque élevé de maladie mentale en raison du stress de la migration et de l’exposition à la violence. Selon un rapport récent de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le diagnostic et le traitement des maladies mentales ne reçoivent pas l’attention qu’ils devraient au camp de Jalozai.
Il y a trois mois, des psychologues ont visité le camp et Anayata a reçu un diagnostic d’anxiété aiguë et de dépression.
Des médecins et des travailleurs humanitaires ont dit que, parmi les quelque 65 000 personnes qui vivent dans le camp de Jalozai, nombreuses sont celles qui souffrent d’anxiété et de dépression et présentent des symptômes de stress post-traumatique.
Des responsables ont indiqué que 30 médecins et 8 psychologues travaillaient actuellement dans le camp.
« On ne sait jamais si on va obtenir le financement nécessaire, même pour des trucs essentiels comme les vivres et les médicaments. L’embauche de psychologues se retrouve donc en bas de la liste », a dit l’un des psychologues à IRIN sous le couvert de l’anonymat.
« Il est très important d’assurer le bien-être psychologique des populations déplacées, mais nous devons fixer des priorités », a-t-il ajouté.
Namro Bibi, une jeune femme de 16 ans, a abandonné tout espoir de retourner vivre dans la maison où elle a grandi.
Elle est arrivée à Jalozai il y a trois ans avec sa famille à la suite de l’intensification des combats dans le village de Kalanga, situé dans l’Agence de Khyber. Avec d’autres familles du village, ses proches et elles se sont installés dans des tentes dans un petit campement, mais, vu la proximité de milliers d’étrangers et les normes sociales très strictes, Namro a dû rester dans sa tente. Après quelques jours, elle a commencé à avoir des attaques de panique.
« Je ne voulais pas quitter ma maison. Je n’aime pas ça ici. J’ai le cœur serré et je me sens vraiment mal quand je pense ou que je rêve à chez moi », a dit Namro à IRIN, assise sur un lit de corde devant une cabane de fortune bâtie avec de la terre, de la paille et des toiles de tente.
Pendant deux ans, elle n’a pas su de quoi elle souffrait. Sa mère, convaincue qu’elle était possédée, l’a amené chez un ecclésiastique musulman pour lui demander de pratiquer un exorcisme.
« Ma mère croit que j’ai un démon en moi, mais je me sentais encore moins bien après être allée voir le ‘maulvi’ [l’ecclésiastique] », a dit Namro.
Thérapie
Il y a trois mois, des conseillers du camp sont tombés sur Namro et ont décidé de l’intégrer à des groupes de femmes qui utilisent la broderie et les projets d’artisanat comme thérapie. Des séances de counselling dans des centres spécialement mis sur pied pour les femmes dans le camp de Jalozai lui ont également été offertes.
Le traitement semble fonctionner.
« Avant, j’avais trois à quatre attaques de panique par jour. Maintenant, j’en ai seulement une fois ou deux par semaine », a-t-elle dit. « Je m’ennuie toujours de chez moi et je ne crois pas que les combats cesseront de sitôt. Mais j’espère retourner à la maison un jour. »
Le traitement des traumatismes psychologiques est l’un des aspects les plus importants de la réhabilitation des victimes de la guerre comme Namro Bibi. Selon les psychologues du camp, les préjugés associés à la maladie mentale rendent la tâche encore plus complexe. La plupart des consultations se font chez les gens, et non pas dans les cliniques ou les établissements gérés par les organisations non gouvernementales (ONG), car les patients préfèrent l’intimité de leur cabane ou de leur tente.
Après avoir reçu des menaces de mort de la part de militants, Akbar Khan*, un jeune homme de 26 ans qui faisait auparavant partie des Khasadars, des policiers tribaux qui travaillent pour le gouvernement, a fui la région de Tirah, dans l’Agence de Khyber, avec sa femme Ayesha Bibi*. Les chances qu’ils puissent retourner bientôt chez eux sont extrêmement minces.
« Je dois éviter de me faire voir », a dit M. Khan, assis devant sa tente avec sa femme et Salma, sa fille de deux ans. « S’ils apprennent que je vis ici, ils enverront des gens pour me tuer », a-t-il dit en faisant le geste de se couper le cou.
M. Khan a reçu un diagnostic de dépression aiguë et les psychologues du camp ont aussi dit qu’il était enclin à la violence. Sa femme souffre également de dépression.
« Je n’ai pas de travail, et nous avons tout laissé derrière nous », a dit M. Khan. « Comment puis-je songer à l’avenir ou à une nouvelle vie alors que je n’arrive même pas à dormir la nuit ? »
« Le jour, ça va, parce qu’il y a du bruit et des gens. Mais la nuit, quand le silence règne, je n’arrive pas à penser à autre chose que la guerre. »
*noms d’emprunt
rc/kb/cb-gd/amz
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