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Une mine d’or engendre la misère au Liberia

Emmanuel Freudenthal/IRIN

L’équation était implacable. Siah* avait l’équivalent de 5 dollars en poche, mais elle avait besoin de 15 dollars pour faire soigner son fils cadet, Joseph, atteint de paludisme. Après un trajet d’une heure, elle était arrivée à la clinique la plus proche, avant de réaliser qu’elle n’avait pas les moyens nécessaires pour payer le traitement. Joseph est mort ce jour-là, dans ses bras.

Siah vit à Kinjor, une petite ville nichée dans les forêts luxuriantes de l’ouest du Liberia, à seulement quelques pas de New Liberty, la plus grande mine d’or à exploitation commerciale du pays. Le site compte extraire pour un milliard de dollars du précieux métal. Le gouvernement libérien et ses partenaires financiers multilatéraux voient l’exploitation minière commerciale comme un moyen d’engager le pays — qui ne s’est pas encore remis de 11 années de guerre civile — sur la voie du développement.

La loi oblige les habitants à renoncer à leurs droits fonciers et à abandonner leur domicile, moyennant une indemnisation. Mais l’enquête menée par IRIN pendant plusieurs mois montre que les entreprises étrangères ne partagent pas toujours les retombées financières de l’exploitation minière.

Afin de faire place à la mine d’or de New Liberty, 325 familles des villages de Kinjor et de Larjor ont dû abandonner leurs maisons, leurs fermes et les mines artisanales qui leur procuraient quelques revenus. En contrepartie de la réinstallation dans un nouveau village, également baptisé Kinjor et implanté dans une forêt proche de la mine, l’entreprise avait promis d’améliorer la vie des villageois en leur offrant de nouveaux logements, une école, des pompes manuelles et une clinique — qui aurait pu faire toute la différence pour Joseph. 

Les travaux de construction de la mine ont débuté en 2014, et les premières ventes d’or ont eu lieu un an plus tard. Pour l’entreprise, l’opération constitue un « atout majeur », mais, des années plus tard, la promesse de construire de meilleures infrastructures ne s’est pas encore concrétisée, et un déversement important de produits chimiques a déjà eu lieu, polluant l’environnement.

Le projet New Liberty a reçu le soutien de la Société financière internationale [IFC] de la Banque mondiale, qui a investi 19 millions de dollars depuis 2014 et en est devenue un actionnaire majeur. Ce soutien venait en contrepartie d’un Plan d’action pour la réinstallation de 155 pages. Établi par l’entreprise, ce dernier offrait une liste détaillée des investissements d’un montant de 3,9 millions de dollars à réaliser dans le nouveau village de Kinjor.

Lors de la réunion du conseil d’administration de l’IFC qui a approuvé le projet d’exploitation minière, la représentante des États-Unis a exprimé officiellement sa « profonde préoccupation » concernant « les risques environnementaux et sociaux » qu’il posait. Les États-Unis ont appelé l’IFC « à travailler avec l’entreprise pour garantir que les fonds nécessaires soient mis de côté pour ce plan [de réinstallation] ». 

Déplacements : une histoire qui se répète

Les projets financés par la Banque mondiale ont entraîné le déplacement de plus de trois millions de personnes dans 124 pays entre 2004 et 2013, selon les données rendues publiques par le Consortium international des journalistes d’investigation. En 2015, le président de la Banque mondiale, Jim Yong Kim, a reconnu qu’il y avait eu des défaillances, après une enquête interne révélant de « graves problèmes » qui lui ont causé de « profondes inquiétudes ».

Pourtant, il semble que la Banque mondiale et l’IFC n’aient pas demandé de comptes à New Liberty, qui ne s’est pas acquittée de ses obligations fondamentales, malgré l’engagement pris par l’IFC sur son site Internet d’aider l’entreprise à « mettre en œuvre les meilleures pratiques » à Kinjor.

« J’ai le regret de dire que [ce dossier] n’est qu’un cas parmi tant d’autres », a dit Jessica Evans, chercheuse principale à Human Rights Watch. « Nous avons constaté des manquements graves et répétés de la part de la Banque mondiale et de l’IFC en matière de réinstallation ».

C’est une bien maigre consolation pour Siah. Devant la maison de son voisin, à Kinjor, elle a retenu ses larmes pour évoquer la mort de son fils. La voix pleine de colère, elle a fait la liste des manquements de New Liberty : « pas d’hôpital ici, pas d’eau potable. » Avant d’ajouter : « Il y a des toilettes juste à côté de la pompe à eau. Ça nous rend malades. Nous souffrons ».

Le propriétaire de la mine, Avesoro Resources Inc. (anciennement appelé Aureus Mining), a construit une école et installé quelques pompes à eau. Mais le reste du plan d’action — l’indemnisation des populations déplacées contre leur volonté — n’est que vœux pieux.

Toujours dans l’attente

Les controverses autour des projets miniers menés au Liberia, comme New Liberty, ne datent pas d’hier. Depuis près d’un siècle, l’extraction des ressources naturelles — du caoutchouc aux minerais — est imprégnée de violence et de corruption. Le manque de transparence des investissements réalisés représente un risque énorme dans un État aussi fragile que le Liberia.

Dans l’une des ruelles étroites bordées de huttes en terre de Kinjor, Yarpawolo Gblan, un vieil homme vêtu d’un polo noir délavé, s’est approché : « Vous êtes journaliste ? Venez voir ma maison ! »

Nous nous asseyons sur un banc, le dos appuyé contre le mur en bois d’une hutte sur lequel ont été griffonnés les numéros de téléphone des enfants de M. Gblan. Il y a trois ans, Avesoro l’a forcé à quitter la maison qu’il habitait depuis dix ans et à s’installer dans un logement « temporaire » pour permettre le développement du projet minier.

Les huttes offertes par la compagnie ne comptent que deux pièces : elles ne sont pas assez grandes pour héberger les huit membres de la famille de M. Gblan. Il a agrandi la structure originale de la hutte du mieux qu’il le pouvait, avec ses propres ressources.

Les huttes devaient être une solution temporaire, les 325 familles devant emménager dans les « maisons améliorées » promises par la compagnie minière. Les logements inachevés, alignés en rangs réguliers, se trouvent à seulement quelques centaines de mètres. Mais les travaux ont été interrompus il y a un peu plus d’un an. Des herbes poussent entre les murs de brique, et des algues visqueuses d’un vert éclatant se multiplient dans les flaques alimentées par la pluie qui tombe là où il devrait y avoir un toit.

L’employé modèle

Les bureaux de New Liberty se trouvent à une demi-journée de route de Kinjor, dans un quartier cossu de Monrovia, la capitale du Liberia. Ils sont abrités dans une villa aux murs d’un blanc éclatant.

Debar Allen, le directeur général de l’entreprise minière, a un physique aussi imposant que son bureau bien équipé. Assis derrière une grande table en bois, il explique de sa voix calme de baryton que les personnes qui, comme M. Gblan, auraient dû être réinstallées « ne veulent pas bouger de là où elles sont ».

Il a fourni deux explications concernant les retards dans les constructions : la nécessité de « commencer le projet minier, car nos fonds s’épuisaient », et la volonté des personnes qui allaient être réinstallées de construire leur propre logement permanent à l’endroit où elles vivent maintenant. « Plutôt que de faire venir des entrepreneurs de Monrovia, nous devons faire équipe avec elles », a-t-il expliqué.

La Banque mondiale a livré une autre explication par courriel. Avec « l’épidémie d’Ebola, l’entreprise minière faisait face à d’importants retards de construction. En conséquence, le projet a dû faire avec des problèmes importants qui ont eu un impact sur sa position financière/sa trésorerie ». Ainsi, « la mise en œuvre de plusieurs éléments du projet a dû être repoussée, et une partie des logements permanents n’est pas encore finie ».

Pourtant, en février 2015, l’IFC a injecté 5,3 millions de dollars dans New Liberty pour aider l’entreprise « à faire face aux coûts supplémentaires » entraînés par l’épidémie d’Ebola et pour « soutenir la poursuite de ses activités au Liberia ». Dans les faits, l’entreprise aurait dû avoir fini la construction des logements pour la réinstallation des populations plusieurs mois avant que le Liberia soit touché par l’épidémie d’Ebola. De plus, l’épidémie a été contrôlée il y a plus de 18 mois, mais la construction des nouveaux logements ne sera pas terminée de sitôt. M. Allen a expliqué : « Avec les dirigeants [locaux], nous avons signé un protocole d’entente qui repousse l’achèvement des travaux à la fin de l’année prochaine », soit décembre 2017. Des représentants de la communauté ont dit à IRIN que l’entreprise leur avait demandé à plusieurs reprises de signer le document et d’accepter la nouvelle échéance, et qu’ils avaient fini par céder. Ils étaient arrivés à la conclusion que les logements ne seraient pas construits plus vite, qu’ils aient ou non signé le document.

 

La Banque mondiale n’a pas répondu aux demandes de précisions d’IRIN sur le calendrier de la réinstallation et sur l’incapacité de l’entreprise à tenir les promesses qu’elle avait faites à la communauté.

Poissons morts et éruptions cutanées

En mars 2016, à la suite d’un incident survenu à la mine d’or de New Liberty, du cyanure et de l’arsenic — des résidus de l’activité minière — se sont déversés dans une rivière proche du site et utilisée par les villages en aval. À Jikando, les villageois, qui pêchent, se baignent et lavent leurs vêtements dans la rivière, ont commencé à voir des poissons morts flotter à la surface de l’eau. Bientôt, des éruptions cutanées se sont formées sur leur propre peau.

Un adolescent à l’allure svelte a soulevé son t-shirt pour montrer une éruption cutanée apparue peu de temps après la fuite. Il a dit à IRIN qu’il avait encore des démangeaisons, mais il a ajouté : « je n’y pense pas tout le temps ». Plusieurs mères ont confirmé que leurs enfants souffraient encore, eux aussi, d’éruptions cutanées. Aucun examen médical n’a été pratiqué sur les villageois qui ont déclaré avoir les mêmes problèmes.

M. Allen, d’Avesoro, a dit que l’entreprise avait été informée de la fuite au mois d’avril, après un coup de téléphone du chef de Jikando. Il a indiqué que l’entreprise livrait régulièrement des poissons congelés en remplacement des poissons empoisonnés, car leur « source de protéines venait de la rivière ».

Le 14 avril, peu de temps après la fuite, l’Agence de protection de l’environnement du Liberia a infligé une amende à l’entreprise. Le 10 mai, Avesoro a informé ses actionnaires de la fuite, déclarant que ses « enquêtes menées à ce jour ne montrent aucun impact négatif sur les établissements humains ».

 

Il est délicat de désigner les responsables des dysfonctionnements de la mine, car il est difficile d’identifier les propriétaires successifs de New Liberty. Aureus fait partie de la longue liste des sociétés-écrans citées dans les « Panama Papers », dont beaucoup sont immatriculées dans des paradis fiscaux.

Le dernier rebondissement dans la chaîne de propriété a eu lieu à la fin de l’année 2016, quand MNG Gold, dont le siège social se trouve en Turquie, a acheté Aureus et a changé son nom en Avesoro Resources Inc.

Le seigneur de guerre

Il n’est pas inhabituel que l’IFC investisse dans des entreprises qui ont une structure de propriété complexe. Dans un rapport publié récemment, Oxfam a révélé que 84 pour cent des investissements réalisés par l’IFC en Afrique subsaharienne en 2015 concernaient des entreprises ayant recours à des paradis fiscaux.

 

Mais l’origine du projet de New Liberty date d’avant 1995, quand un permis d’extraction des ressources a été octroyé à une mystérieuse compagnie appelée KAFCO par Charles Taylor, l’ancien seigneur de guerre devenu président du Liberia. 

Le permis est passé de mains en mains, mais aujourd’hui Avesoro en est titulaire par le biais d’une filiale en propriété exclusive, Bea Mountain Mining Corp — une entreprise créée en 1996 par Keikurah B. Kpoto, l’un des plus proches associés de M. Taylor.  

L’exploitation de l’or et des diamants du Liberia a permis à M. Taylor — reconnu coupable de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité par la Cour pénale internationale en 2012 et qui purge actuellement une peine de 50 ans de prison au Royaume-Uni — de financer son effort de guerre.

En 1998, un groupe d’intérêts étrangers a acheté Bea Mountain Mining. Les bénéficiaires de la vente étaient bien cachés. Selon un document obtenu par IRIN, les trois quarts de son capital étaient détenus par une société enregistrée aux Îles Vierges britanniques, et le reste par des actions au porteur.

 

Le système des actions au porteur est idéal pour les adeptes de la corruption : les actions sont la propriété du porteur des certificats en papier, comme pour l’argent liquide. Le nom de leur propriétaire n’apparaît pas dans les registres de la société. Ces actions peuvent ainsi servir de moyens de paiement occultes pour toutes sortes d’opérations.

 

Toutefois, la Banque mondiale a écrit dans un rapport qu’elle avait entamé un audit préalable de New Liberty, y compris « un examen des documents, plusieurs réunions avec la direction d’Aureus et une visite du site ».

 

Au cours de la dernière décennie, l’IFC a investi plus de 200 millions de dollars dans des projets tels que celui de New Liberty. Elle semble profondément convaincue que l’exploitation minière commerciale peut favoriser un développement qui bénéficiera aux communautés comme Kinjor.

Siah a enterré son dernier né. Si elle a pu croire les promesses de New Liberty, cela n’est plus le cas aujourd’hui. « La compagnie ne fait rien pour nous. Si elle avait construit un hôpital ici, [la mort de mon fils] aurait pu être évitée », a-t-elle dit à IRIN.

(Ce rapport d’enquête a été conjointement publié par 100Reporters, IRIN et Le Monde Afrique. 100Reporters est un réseau de journalistes d’investigation maintes fois primé, basé à Washington. Il a pour objectif d’apporter un éclairage inédit sur la corruption, la transparence et la redevabilité. IRIN est en première ligne des crises, ce qui lui permet d’offrir des reportages uniques, crédibles et indépendants, et d’ainsi inspirer et produire une réponse humanitaire plus efficace. Le Monde Afrique est un média francophone et panafricain d’actualité, de reportages, d’analyses et de débats.)

 

Photos :

- La route principale du nouveau village de Kinjor

- Yarpawolo Gblan devant son « logement temporaire »

- Les « nouveaux logements » inachevés

- La main d’un enfant après la fuite de produits chimiques

- De gauche à droite : Tambakai Jangaba, M. Taylor, Foday Sankoh (chef du Front révolutionnaire uni, un groupe rebelle sierra-léonais) et M. Kpoto

 

ef/oa/ag-mg/ld

 

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