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Surmonter le clivage linguistique au Sri Lanka

Sri Lanka flag. For generic use Images of Sri Lanka/Flickr
Le renforcement des efforts concrets pour faire respecter les droits des millions de locuteurs tamouls pourrait jouer un rôle clé dans le processus de paix et de réconciliation du Sri Lanka, selon les analystes et les activistes.

« La parité des langues est l’un des principaux défis qu’il nous faudra surmonter pour assurer le succès des efforts de paix et de réconciliation et l’avenir du Sri Lanka. Sans elle, je doute que nous soyons capables d’aller de l’avant », a dit à IRIN Wijedasa Rajapakshe, un avocat des droits de l’homme qui écrit sur la jurisprudence, à Colombo, la capitale, qui est située dans le sud de l’île.

« C’est un grief qui a des fondements historiques. En effet, même s’il s’agit d’une langue officielle, le tamoul est resté confiné aux régions où ses locuteurs sont majoritaires », a dit Suresh Premachandran, un ancien militant qui est maintenant membre de l’Alliance nationale tamoule, le plus important regroupement politique du nord-est du pays.

La question de la langue, considérée comme plusieurs comme ayant contribué à la guerre civile qui a opposé les forces du gouvernement et les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE) entre 1983 et 2009, revient une fois de plus au centre du débat public. Jusqu’à présent toutefois, peu d’efforts ont été faits pour tenter de résoudre le problème.

Selon les statistiques du gouvernement pour 2012, les Tamouls forment 12 pour cent de la population du pays, qui compte 20 millions d’habitants. Les musulmans comptent pour 8 pour cent de la population et les Cinghalais, pour 73,8 pour cent. Le tamoul est reconnu par la Constitution comme l’une des deux langues officielles du pays et il s’agit de la langue maternelle d’un cinquième de la population. Il est surtout parlé par les Tamouls et les musulmans.

Malgré tout, le tamoul ne jouit toujours pas du même statut que le cinghalais. Selon les locuteurs tamouls, la question de la parité des langues divise le pays depuis longtemps.

« Si vous ne parlez pas cinghalais, il est difficile de trouver un bon emploi », a dit un Tamoul qui vit à Colombo et qui, contrairement à la plupart des Sri Lankais, parle couramment les deux langues. « Et il est impossible d’obtenir un poste de fonctionnaire. »

Si vous avez besoin d’un permis de conduire ou d’un passeport ou que vous vous rendez dans un hôpital public à Colombo, il est fort probable que vous ayez besoin d’un interprète pour vous aider à remplir les formulaires. Par ailleurs, les rapports de police sont souvent en cinghalais, même dans les régions où le tamoul est parlé par un plus grand nombre de personnes. De nombreux Tamouls se sont plaints d’avoir dû signer à plusieurs reprises des rapports de police qu’ils ne comprenaient pas. « C’est humiliant pour les Tamouls », a dit le jeune homme de 26 ans.

Grief historique

Une loi linguistique faisant du cinghalais la seule langue officielle du pays a été votée en 1956. Bien qu’elle n’ait jamais été appliquée intégralement, les Tamouls l’ont vue comme une mesure discriminatoire et son adoption a alimenté les tensions ethniques qui existaient déjà depuis longtemps entre les deux communautés. Pour de nombreux Tamouls, la question linguistique a exacerbé le sentiment d’exclusion de la minorité et provoqué les émeutes ethniques de 1958, qui ont fait plusieurs centaines de morts. Selon les Cinghalais, l’objectif de la loi était de se défaire de l’influence britannique en abandonnant l’anglais, et non pas d’isoler les Tamouls.

Le chapitre IV de la Constitution de 1978 reconnaît le cinghalais et le tamoul comme les deux langues officielles du pays et considère l’anglais comme la langue véhiculaire.

A group of Tamil boys in Jaffna District northern Sri Lanka smile to the camera
Photo: Contributor/IRIN
Dans les écoles du nord du pays, l’enseignement se fait en tamoul
En dépit de cette reconnaissance, de nombreuses personnes estiment que la formule utilisée par la Constitution est erronée et qu’elle fait du cinghalais la langue officielle du Sri Lanka en plaçant le tamoul au second rang – sauf dans certaines régions du nord et de l’est du pays.

Selon l’article 18 de la Constitution, modifiée en 1987 par le 13e amendement, « la langue officielle du Sri Lanka est le cinghalais » (article 18.1) et « le tamoul est aussi une langue officielle » (article 18.2).

Pour éviter la discrimination linguistique, la loi stipule par ailleurs que les citoyens ont le droit d’obtenir des services et de recevoir des communications en tamoul ou en anglais dans les régions où le cinghalais est la langue de l’administration. Ils doivent également avoir accès à des interprètes. Or, dans la pratique, ce n’est pas le cas.

Selon des militants, de nombreux Tamouls doivent effectuer toutes les démarches officielles qui influent sur leur vie quotidienne en cinghalais. Certains rapports constatent que le gouvernement déploie des efforts considérables pour promouvoir l’utilisation du cinghalais par les fonctionnaires dans le Nord, à majorité tamoule.

La plupart des 15 000 policiers qui travaillent dans le nord de l’île ne parlent pas tamoul.

Des pans entiers de la population du Nord ont été coupés du reste du pays pendant les 27 ans de guerre et ne parlent pas cinghalais. À l’inverse, des milliers de soldats sri lankais présents actuellement dans le Nord ne parlent pas tamoul. Cela explique les difficultés de communication entre les deux communautés, qui n’ont d’autre choix que de se parler en anglais.

Les interactions quotidiennes demeurent toutefois difficiles, car de nombreux Sri Lankais qui ne travaillent pas pour le gouvernement ne parlent pas anglais. Certains rapports suggèrent que dix pour cent de la population seulement a des compétences en anglais.

« C’est une situation étrange. Nous sommes tous sri lankais, mais nous ne pouvons pas nous parler dans nos langues respectives », a dit un habitant de Jaffna.

La façon dont le système éducatif du Sri Lanka prend en compte la diversité linguistique est également problématique. Selon la Constitution, « Tout individu a le droit de recevoir son instruction par l’intermédiaire de chacune des langues nationales ». Or, selon les militants, l’intégration du tamoul à l’école n’est pas encore suffisante.

« C’est un outil utilisé pour diviser les enfants et nourrir le nationalisme [tamoul et cinghalais] », a déploré Tahirih Qurratulayn, directeur de l’Institut sri lankais des droits de l’homme. L’enseignement du tamoul à l’école n’a pas suffi à faire du Sri Lanka un État réellement bilingue.

La plupart des Tamouls vivant dans le sud du pays parlent cinghalais, mais très peu de Cinghalais parlent tamoul. Même parmi les touristes cinghalais, qui sont de plus en plus nombreux à visiter le nord du pays, rares sont ceux qui sont capables de dialoguer facilement avec leurs concitoyens tamouls.

Aller de l’avant


Alors que le Sri Lanka s’emploie à reconstruire et à rétablir une certaine stabilité dans le Nord, où des centaines de milliers de déplacés sont rentrés chez eux, nombreux sont ceux qui pensent que la solution à ce problème est à portée de main. « La parité linguistique est aussi importante que la réinstallation et la reconstruction », a dit Wijedasa Rajapakshe — un sentiment partagé par plusieurs.

Selon un récent rapport du Centre for Policy Alternatives (CPA), dont le siège se trouve à Colombo, la langue est un instrument idéal d’unification pour le Sri Lanka de l’après-guerre. « Les droits linguistiques sont une partie intégrante de l’identité et ne sont pas adéquatement protégés. L’application [des règles existantes] est importante », a dit Pakiasothy Saravanamuttu, directeur exécutif du CPA.

Street signs in Colombo are in Sinhala, Tamil and English
Photo: Contributor/IRIN
Un panneau en cinghalais, en tamoul et en anglais à Colombo
De nombreux Tamouls du Sri Lanka ont le sentiment que leur langue est menacée par une campagne plus vaste d’éradication de leur identité culturelle. « Les gouvernements successifs n’ont pas réussi à faire appliquer la politique du pays en matière de langue officielle... [ce qui] a contribué à maintenir une division entre les communautés en créant une énorme barrière linguistique », a dit Shanthi Sachithanandam, un militant qui travaille dans le nord-est du pays.

Selon Wijedasa Rajapakshe, il est possible de prendre un nouveau départ en appliquant les recommandations de la Commission sur les leçons apprises de la guerre et la réconciliation (Lessons Learnt and Reconciliation Commission, LLRC) de 2011, une commission mise en place après la guerre par le gouvernement afin d’analyser les causes profondes du conflit ethnique.

Selon le rapport de la LLRC, sensibiliser les différentes communautés aux affinités linguistiques et culturelles des unes et des autres serait un instrument efficace de réconciliation. La LLRC suggère d’ailleurs d’en faire une priorité.

Depuis la guerre, le gouvernement a multiplié les efforts de sensibilisation dans le Nord, mais a négligé le Sud.

La recommandation 9 277 préconise que l’hymne national soit chanté dans les deux langues lors de tous les événements nationaux afin de renforcer l’unité et la réconciliation. Pourtant, lors des célébrations de l’indépendance qui ont eu lieu à Colombo cette année, l’hymne n’a été chanté qu’en cinghalais, conformément à la tradition.

Vasudeva Nanayakkara, ministre des Langues nationales et de l’Intégration sociale, a dit à IRIN : « Nous reconnaissons l’importance de la parité linguistique, [dont l’absence] est l’une des causes profondes du conflit, et nous avons adopté des mesures correctives conformes aux recommandations de la LLRC. »

dh/ds/he-gd/amz


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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