« Les défis qui nous attendent sont énormes et les ressources sont rares. Nous devons travailler ensemble jour et nuit pour atteindre nos objectifs », a dit le Premier ministre nouvellement nommé au sein de l’opposition, Mohammed Salim Basindwa, à l’occasion de la première réunion du cabinet, le 11 décembre.
Déjà faible, l’économie du pays a perdu environ 17 milliards de dollars depuis le début des manifestations qui ont lieu dans l’ensemble du pays depuis le mois de février 2011, selon Mohammed Mohammed Salah, vice-président de la Chambre de commerce et d’industrie.
Mutahar al-Saeedi, économiste à l’université de Sanaa, a dit que le pays avait désespérément besoin de l’aide internationale : « Il sera très difficile, voire impossible pour le nouveau cabinet de faire des progrès sans le soutien de la communauté internationale », a-t-il dit à IRIN.
Le gouvernement accorde une priorité absolue à la remise en route des services essentiels tels que l’approvisionnement en eau et en électricité et à la résolution du problème persistant de pénurie de carburant.
« Le ministère a fait faillite parce que la majorité absolue des citoyens refusent de payer leurs factures d’électricité depuis le début des manifestations. Il lui est donc de plus en plus difficile de financer les interventions nécessaires pour réparer le réseau national, qui est gravement endommagé », a dit à IRIN Ali Salim Alwan, un ancien conseiller auprès du ministre de l’Électricité et de l’Énergie.
D’après Mohammed al-Maitami, un autre économiste à l’université de Sanaa, le Yémen aurait actuellement besoin de jusqu’à 15 milliards de dollars pour financer le budget du gouvernement pour l’année à venir. « Sans une aide internationale, le Yémen ne survivra pas », a dit M. al-Maitami.
Le 14 décembre, les Nations Unies ont lancé un appel de fonds de 447 millions de dollars pour contribuer à répondre aux défis très importants et de plus en plus difficiles liés au développement et aux conditions humanitaires dans le pays, et notamment aux taux de malnutrition, qui sont nettement supérieurs au seuil d’urgence.
« Au Yémen, le nombre de personnes qui souffrent d’insécurité alimentaire grave a augmenté de plus de deux millions au cours des derniers mois », indique le document de l’appel. « Environ 466 000 enfants de moins de cinq ans souffrent de malnutrition aiguë, et le nombre [de personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays (PDIP)] a presque doublé depuis 2010 ».
Jeunes manifestants
En dépit de la signature de l’accord de transfert de pouvoir et de la création d’un nouveau cabinet, les jeunes manifestants campent toujours dans la rue dans plusieurs villes. Ils s’opposent à l’impunité accordée à M. Saleh et ses proches par l’accord élaboré par le CCG.
Des milliers de personnes ont manifesté le 12 décembre dans la ville de Taëz – l’un des principaux foyers de la contestation – pour exiger que M. Saleh soit jugé. Les manifestants ont scandé : « Pas d’immunité pour les meurtriers ».
« Nous resterons ici jusqu’à ce que M. Saleh et ses proches quittent le pouvoir et soient jugés devant nos yeux... Ils ont tué plusieurs centaines de manifestants... [Par leur faute,] des femmes sont veuves et des enfants sont orphelins », a dit à IRIN Mohammed al-Emad, un chef du mouvement de protestation à Sanaa.
Selon l’accord élaboré par le CCG, l’une des tâches du nouveau cabinet est de négocier avec les manifestants et de les persuader de rentrer chez eux, ce que les jeunes activistes ne sont pas prêts à faire.
« Les partis [de l’opposition] nous ont trahis… Ils ont passé un accord avec des meurtriers… Nous ne négocierons pas avec eux... Nous continuerons de manifester jusqu’à ce que toutes nos demandes soient satisfaites », a dit Ahmad al-Faqeeh, un chef du mouvement de contestation dans la ville de Dhamar, à 100 kilomètres au sud de Sanaa.
Selon des observateurs, les partis politiques ont eu tort d’exclure les jeunes activistes de l’accord du CCG.
Selon le chroniqueur Hadra Nasser al-Jahmaa, de la ville d’Aden, dans le sud du pays, c’est grâce aux jeunes qu’un accord de transfert de pouvoir a été élaboré. « Le cabinet doit les laisser jouer un rôle important dans la transition, sans quoi il n’obtiendra aucun résultat », a-t-il dit à IRIN.
Armée et forces de sécurité
Le nouveau cabinet a notamment pour tâche de restructurer une armée et des forces de sécurité divisées, dont les échelons supérieurs sont toujours contrôlés par des proches du président Saleh.
Un comité militaire composé de 14 membres issus de l’opposition et du parti de M. Saleh doit entreprendre cette tâche sous la supervision du cabinet, mais les analystes croient que le président s’opposera au départ forcé de son fils et de trois de ses neveux des postes importants qu’ils occupent actuellement au sein de l’armée et des forces de sécurité.
« M. Saleh a l’intention de rester un leader politique important au sein de son parti. Il est peu probable qu’il accepte que tous ses proches soient démis de leurs postes », a dit à IRIN Abdulhamid Amer, président de l’organisation non gouvernementale (ONG) locale Brotherhood and Social Peace Association, dans le gouvernorat d’al-Jawf, dans le nord du pays.
L’analyste politique Mohammed Ezzan, qui est également professeur de droit à l’université de Hodeidah, a dit que la question était particulièrement délicate : « Au cours des trente dernières années, c’est l’armée qui a dirigé le pays, pas le gouvernement… La restructuration de l’armée risque d’entraîner de profonds désaccords, voire des affrontements au sein du cabinet, dont les membres sont issus des deux camps [parti au pouvoir et opposition] ».
Du pain sur la planche
Le nouveau gouvernement aura également du pain sur la planche pour apaiser les tensions qui règnent dans le sud du pays.
À court terme, il est primordial d’améliorer les conditions de vie dans les gouvernorats du sud et de créer des emplois, a dit Ahmad al-Zuqara, membre de l’ONG locale Yemen Election Monitoring Network (YEMN). « Je pense toutefois que c’est au-delà de la capacité du nouveau cabinet à cause du manque de financement ».
Il ne faut pas non plus oublier les 100 000 personnes qui ont dû quitter leur foyer à cause de combats entre les forces du gouvernement et les militants affiliés à Al-Qaida.
La situation dans le nord, où les rebelles chiites dirigés par Abdelmalek Al-Houthi luttent pour obtenir leur autonomie et où des centaines de milliers de civils sont toujours déplacés et/ou dépendants de l’aide, risque également de représenter un défi pour le gouvernement.
Les Houthis s’opposent à l’accord élaboré par le CCG parce que M. Saleh l’a signé en Arabie saoudite, et cela risque de constituer « un obstacle pour toute négociation potentielle entre le gouvernement et les partisans de la ligne dure », a dit Abdurrahman al-Marwani, président de l’ONG locale Dar al-Salam.
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