Sa famille, terrifiée par ses colères, l’avait gardé fermement attaché pendant plusieurs jours. Il a finalement réussi à se libérer et à s’échapper, mais un de ses frères l’a retrouvé et l’a emmené à l’hôpital situé dans un quartier paisible de Paynesville à Monrovia, la capitale du pays.
Le cas de M. Turner, dont le diagnostic a montré qu’il souffrait de psychose aigüe, n’est pas rare à l’ES Grant, qui voit son service de consultation externe accueillir un nombre croissant de patients. Quelle que soit la source de ses problèmes, la consommation d’alcool et de drogues a aggravé la situation, selon Barkon Dullah, directeur intérimaire des services et de l’enseignement infirmier. « Il est difficile d’établir ce qu’il a pris, probablement de la marijuana, mais peut-être également d’autres drogues dont nous n’avons pas connaissance ».
Le crâne rasé, maigre et sérieux, M. Turner était « un peu agressif » à son arrivée à l’ES Grant, mais son état s’est amélioré, a dit M. Dullah. Il devait passer deux à trois semaines dans cet hôpital de 73 lits, prendre des sédatifs pour se reposer et se désintoxiquer et participer à des séances de thérapie de groupe sur l’abus d’alcool et l’usage de drogues.
Sept ans après la fin de la guerre civile, le Liberia tente toujours de surmonter les traumatismes du conflit ; dans ce pays qui ne dispose que d’un système de santé rudimentaire, les personnes affectées par les conflits connaissent des difficultés. Confrontées au défi de reconstruire leur vie, elles doivent d’abord reconnaître qu’elles ont besoin d’aide, puis en trouver.
M. Dullah pense que M Turner a participé à la guerre. Dans le bureau exigu de l’administrateur de l’hôpital, M. Turner, fumant une énième cigarette, se doutait des réponses que M. Dullah s’attendait à entendre. Il a dit qu’il « n’[avait] rien vu » pendant la guerre parce qu’il s’était réfugié en Côte d’Ivoire voisine. Il a aussi fermement démenti s’être servi d’une arme, avant d’ajouter : « Je ne maltraite pas les femmes et j’ai du respect pour les gens ».
Mais le récit de sa vie n’en est pas moins traumatisant : trois de ses cinq enfants sont morts, il a récemment perdu sa femme et se démène pour s’occuper de sa famille avec un salaire de travailleur manuel. Qu’il ait été traumatisé par les événements de la guerre ou qu’il ait vécu paisiblement dans un camp de réfugiés, de toute évidence, M. Turner va mal.
Capacité de résilience
Mais cela n’a pas atténué l’impact d’une guerre qui a duré 14 ans. Selon une étude menée par Kirsten Johnson et publiée en 2008 dans le Journal of the American Medical Association, 44 pour cent de la population adulte présentait des symptômes associés au trouble de stress post-traumatique (TSPT). Cinquante-sept pour cent des anciens combattants présentaient ces symptômes, contre 37 pour cent des non-combattants.
« Démographiquement, je n’ai jamais vu des chiffres aussi élevés », a dit à IRIN la psychologue Judith Baessler, consultante au Mother Patten College of Health Sciences, à Monrovia. « La guerre a duré trop longtemps et trop d’événements difficiles se sont produits ».
Quand on ne pense qu’à sa survie, on peut surmonter l’horreur, a noté Mme Baessler. « Cela ne veut pas dire que l’on va bien, cela veut juste dire que l’on continue à vivre du mieux possible… Il y a de petites cicatrices, mais quand on se retrouve confronté à de grosses difficultés, on n’a pas le luxe de se poser des questions ».
La paix présente de nouveaux défis. « Toutes ces choses gardées en soi, la dépression et les idées suicidaires, peuvent ressortir quand la vie devient difficile. Il faut avoir des aptitudes autres que courir et se cacher, et la pauvreté devient un facteur de stress », a dit Mme Baessler. « Vous n’êtes plus heureux – vos enfants ne vont peut-être pas à l’école, vous n’avez pas de travail ».
Dans les régions rurales, la tradition du soutien communautaire permet d’atténuer la pauvreté ; elle peut aussi s’étendre aux rituels de purification qui ont pour objectif d’aider les gens à surmonter le passé. Mais bien que l’objectif de ces cérémonies soit d’avancer, « il se peut que vous souffriez en silence ; la peine revient toujours et le matin on pleure », a dit Grace Boiwu du programme de conseil post-traumatique du Mother Patten College.
Photo: Obinna Anyadike/IRIN |
Barkon Dulah, directeur intérimaire des services et de l’enseignement infirmier à l’hôpital ES Grant |
Les femmes ont été particulièrement touchées lorsqu’elles ont essayé de réintégrer la communauté ou de faire face à leur passé. « Certaines femmes ont commis [des violences], d’autres en ont été victimes. Dans certaines petites communautés, elles se battaient pour être reconnues et avaient un comportement violent. “Si tu ne te soumets pas à moi, prends garde à toi”. Après la guerre, certaines sont tombées enceintes pour s’identifier en tant que femme… [mais elles n’ont] pas les moyens de s’occuper d’un enfant », a dit Mme Vahanian. Les anciens combattants font rarement les meilleurs parents, a-t-elle ajouté.
Craintes d’un retour de la guerre
L’emploi du secteur formel est estimé à 15 pour cent et le taux d’alphabétisation, à 56 pour cent. La croissance du PIB de 7,1 pour cent en 2008 ne s’est pas encore traduite par une augmentation appréciable du niveau de vie et des opportunités d’emploi. Dans les « ghettos » urbains du Liberia, où de nombreux jeunes migrants s’installent, la pauvreté est criante.
Emanuel Sonny et ses parents ont été arrêtés dans le comté de Grand Bassa, au centre du Liberia, et Emanuel a été enrôlé de force dans la milice du Front national patriotique du Liberia (NPFL) de Charles Taylor à l’âge de 12 ans. « Je ne voulais pas me battre, donc j’étais content d’être démobilisé », a-t-il dit à IRIN.
Aujourd’hui âgé de 21 ans, il n’a pas réussi à trouver un véritable travail et, comme de nombreux anciens combattants, il travaille en tant que « pen-pen », ou conducteur de moto-taxi, et gagne entre 150 et 300 dollars libériens (entre 2,11 et 4,22 dollars) par jour. Il a un enfant d’un an, mais ne vit pas avec sa mère. Ses parents, qui vivent aujourd’hui à Monrovia, « m’aident parfois ».
Tevid Nelson, 33 ans, a dit que, pendant la guerre, on le connaissait sous le nom de « Corporal Siwa Siwa » et qu’on le craignait alors qu’il combattait dans le nord du Liberia et en Sierra Leone. « J’ai aimé la guerre. Moi-même je souffrais [car il a été enrôlé de force], mais en tant que soldat, tout était facile pour moi, je pouvais avoir tout ce que je voulais. Je n’ai rien volé aux personnes âgées ceci-dit, juste aux jeunes ; votre sac, par exemple, je l’aurais pris ».
Lorsque les Libériens évoquent une possible réapparition des conflits, ils craignent surtout les anciens combattants des zones urbaines qui n’ont, semble-t-il, rien à perdre et qui sont toujours en contact avec d’autres combattants.
Selon David Konneh, directeur général de Don Bosco Homes, qui s’occupe des anciens enfants soldats, lors de la démobilisation, l’accent n’a « pas vraiment été mis sur les traumatismes qu’ils avaient vécus, mais sur la façon de les “préparer” à la réintégration ». Même à ce moment-là, on ne leur a pas donné toute la formation et toutes les compétences nécessaires à l’amélioration de leur vie. « Des personnes peuvent facilement profiter de leur pauvreté », a-t-il dit à IRIN. « La situation est manifestement fragile ».
Guérison spirituelle
À en juger par l’apparition d’églises de guérison et de centres de prières dans tous les quartiers de Monrovia, les Libériens sont de plus en plus nombreux à se tourner vers le salut spirituel. « La spiritualité constitue l’un des principaux atouts des Libériens qui souhaitent surmonter le passé », a dit Mme Baessler. « C’est une façon de laisser les atrocités derrière soi et d’avancer ».
Johnson Goumolor, 20 ans, est confiant dans son avenir. Il était étudiant à Monrovia quand il a été arrêté par le NPFL dans la rue, et il a passé un an au sein de la milice en tant que porteur de munitions. Après la démobilisation, il est retourné à l’école ; il est désormais étudiant à l’université et paye ses études en donnant des cours particuliers le soir. Ses parents sont morts pendant la guerre. « Je crois que je dois me comporter comme un homme. Bien que je me sente seul, je mets Dieu avant tout le reste et par la grâce de Dieu, j’aurai une meilleure vie ».
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