« A l’heure où je vous parle, des femmes et des enfants se trouvent à la périphérie de N’Djamena, en train de fouiller partout pour trouver des branches mortes, de la bouse de vache ou, éventuellement, des petits morceaux de charbon », a expliqué à IRIN Merlin Totinon Nguébétan, représentant de la branche tchadienne du Programme des Nations Unies pour les établissements humains (ONU-HABITAT), depuis la capitale. « Les gens ne peuvent pas cuisiner ».
« Les femmes qui accouchent ne trouvent même pas un seul morceau de charbon pour pouvoir chauffer de l’eau pour se laver », s’est indignée Céline Narmadji, de l’Association des femmes pour le développement du Tchad.
Selon les syndicats et autres organismes de la société civile, le gouvernement n’a pas préparé la population, ni mis d’autres sources d’énergie domestique à la disposition de la population avant d’interdire complètement le transport du charbon et du bois de chauffe dans la capitale en décembre, pour préserver l’environnement, selon les autorités.
Le charbon de bois est la seule source d’énergie domestique utilisée par environ 99 pour cent des Tchadiens, ont indiqué à IRIN des habitants de N’Djamena. Or, depuis que le gouvernement a interdit l’acheminement du charbon de bois à N’Djamena, et confisqué, dit-on, tout le charbon de la ville, il est devenu quasi impossible de s’en procurer, selon les travailleurs humanitaires et les habitants.
Et lorsqu’on y parvient, le sac qui se vendait auparavant à environ 6 000 francs CFA (12 dollars) coûte désormais sur le marché noir environ quatre fois cette somme.
Changement climatique
Selon les représentants du gouvernement, l’interdiction imposée sur l’utilisation du charbon de bois participe d’un effort d’empêcher l’abattage des arbres pour la fabrication de combustible, une mesure essentielle, ont-il expliqué, pour lutter contre la désertification.
Le gouvernement a déjà tenté par le passé d’empêcher l’abattage des arbres, mais des mesures particulièrement sévères ont été prises ces dernières semaines, selon les travailleurs humanitaires et les habitants.
« Les Tchadiens doivent chercher d’autres formules pour faire la cuisine et oublier le charbon de bois et le bois de chauffe », a récemment déclaré Ali Souleyman Dabye, ministre de l’Environnement, à la presse, à N’Djamena. « Faire la cuisine est une nécessité fondamentale pour chaque foyer. D’un autre côté ...avec le changement climatique, chaque citoyen doit protéger son environnement ».
Selon les autorités, l’interdiction porte uniquement sur le charbon de bois fabriqué à partir de bois vert, et non de bois mort. Pourtant, l’acheminement du bois et du charbon de bois à N’Djamena a été totalement interdit, selon les habitants.
Au beau milieu de la panique et des protestations contre l’interdiction, un autre représentant du gouvernement a déclaré, au cours d’une conférence de presse tenue le 14 janvier, que le gouvernement avait commis une erreur en ne préparant pas le public à cette mesure, mais il n’a annoncé aucun changement à cet égard.
« C’est de la bévue ; l’erreur est humaine », a déclaré Nouradine Delwa Kassiré Coumakoye, président du Conseil économique, social et culturel du Tchad. Il a appelé les Tchadiens à garder leur calme, affirmant que le gouvernement pouvait « résoudre cette crise et trouver une solution ».
Le 15 janvier, le Premier ministre tchadien a rencontré le président d’une association nationale de défense des consommateurs, selon le site Internet du gouvernement.
Les familles « crient »
Les habitants et les experts du secteur humanitaire ont déclaré à IRIN que l’interdiction imposée sur l’utilisation du charbon de bois avait aggravé les conditions de vie déjà difficiles des populations de la ville. « Toutes les familles de N’Djamena crient », a expliqué à IRIN Delphine Djiraibé Kemneloum, coordinatrice du Comité de suivi de l'appel à la paix et à la réconciliation.
« La situation est assez grave parce que les Tchadiens ont toujours utilisé du charbon de bois pour cuisiner et chauffer l’eau », a indiqué M. Nguébétan, d’ONU-HABITAT. De nombreux Tchadiens gagnent également leur vie en vendant du charbon de bois.
« Nous sommes tous d’accord sur le fait que la désertification est un grave problème que le Tchad doit traiter », a-t-il convenu. « Mais le gouvernement doit proposer des solutions alternatives à la population, en complément de ses mesures ».
Le gouvernement a évoqué des solutions alternatives telles que le propane, mais « uniquement de manière abstraite », a noté M. Nguébétan.
A N’Djamena, selon la population, peu d’habitants utilisent le propane, une denrée rare. Ceux qui en ont les moyens se rendent de l’autre côté de la frontière, au Cameroun, pour y acheter du gaz.
Manifestations réprimées
Le 14 janvier, les soldats de l’armée et la police ont dispersé la foule qui s’était réunie dans la capitale pour protester contre les mesures prises par le gouvernement, et plus généralement, contre le coût élevé de la vie, ont rapporté les habitants de la capitale.
« Ils ont frappé des manifestants, principalement des femmes », a indiqué Mme Narmadji, de l’association de femmes, qui faisait partie des manifestants.
« Tant que le gouvernement ne changera pas les choses, nous ne renoncerons pas », a-t-elle déclaré. « Mieux vaut mourir rapidement et en masse, plutôt que continuer à succomber d’une mort lente, comme nous le faisons actuellement ».
« Nous sommes déjà morts », a-t-elle finalement ajouté.
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