Dans la course serrée à la présidence sierra léonaise, chaque camp lutte à sa façon pour remporter le soutien des Kamajors, une ancienne force de défense civile. Bien que leurs leaders aient été accusés de crimes de guerre par un tribunal spécial soutenu par les Nations Unies, pour de nombreux citoyens, les Kamajors restent des héros pour avoir défendu leur pays contre de violents rebelles.
Avant la guerre civile au Sierra Leone, qui a duré dix ans et s’est terminée en 2002, les Kamajors étaient des chasseurs traditionnels ; leur communauté s’est élargie pour atteindre plus de 20 000 membres, qui ont combattu aux côtés des forces britanniques et nigérianes pour réintégrer puis défendre le Parti du peuple de Sierra Leone, démocratiquement élu (PPSL). Malgré tout, au cours des élections présidentielles et législatives du 11 août, le PPSL a essuyé une défaite cuisante dans la plupart des régions à forte présence kamajor.
En fin de compte, le PPSL a perdu sa majorité à l’assemblée, et pour le deuxième tour des élections présidentielles, prévu pour le 8 septembre, Solomon Berewa, le candidat du PPSL est devancé par Ernest Bai Koroma, le chef de l’opposition. Au premier tour, M. Koroma a remporté 44 pour cent des voix, contre 38 pour cent seulement pour M. Berewa.
Bien que traditionnellement partisans du PPSL, de nombreux Kamajors ont rejoint un nouveau parti dissident du nom de Mouvement du peuple pour un changement démocratique (MPCD), dont le leader, Charles Margai, est également le principal avocat chargé de la défense d’un des Kamajors inculpés. Pour les prochaines élections, M. Margai, arrivé troisième au premier tour des présidentielles du 11 août, soutient non pas le PPSL, mais le parti d’opposition, son rival de longue date.
Photo: David Hecht/IRIN |
Affiches électorales à Freetown d'un des deux candidats au deuxième tour des élections du 8 septembre |
Son choix est particulièrement significatif, car les Kamajors occupent une place importante dans l’ordre social du groupe ethnique mande ; les Mandes constituent la base de soutien traditionnelle du PPSL, tandis que les groupes ethniques du nord composent en grande partie la base de soutien traditionnelle de l’opposition.
Justice aveugle
Selon Peter Andersen, le porte-parole du Tribunal spécial pour la Sierra Leone, tout commentaire de sa part sur la question des élections serait déplacé, le tribunal étant tenu de rester imperméable à ce type de considérations.
En revanche, la politique sierra léonaise n’a quant à elle jamais été imperméable au tribunal. « Le Tribunal spécial est devenu une question politique importante », a expliqué à IRIN Ibrahim Bangura, le directeur de PRIDE, une organisation non-gouvernementale qui travaille auprès des anciens combattants. « De nombreux Kamajors pensaient que le tribunal jugerait uniquement les rebelles. Aujourd’hui, ils se sentent trahis ».
« De nombreux Kamajors pensaient que le tribunal jugerait uniquement les rebelles. Aujourd’hui, ils se sentent trahis... » |
M. Norman est mort en détention, en février. Son décès a accentué la division entre le PPSL et les Kamajors, une communauté encore structurée de façon militaire, selon M. Bangura.
« Les Kamajors ont été désarmés après la guerre, mais ils n’ont pas été démobilisés, et certains anciens commandants ont plus d’influence que les chefs locaux ».
Le soutien des criminels
Six mois après le décès de M. Norman, et tout juste neuf jours avant le premier tour des élections, le Tribunal spécial a condamné les deux autres inculpés kamajors. Bankole Thompson, le seul juge sierra léonais chargé de l’affaire, n’était pourtant pas d’accord avec ce verdict. Bien que mis en minorité, M. Thompson avait déclaré les Kamajors « non coupables » des huit chefs d’accusation qui pesaient contre eux.
Photo: Special Court |
Leaders kamajors inculpés, lors du premier jour de leur procès devant le Tribunal spécial pour la Sierra Leone, le 3 juin 2004 |
Le Tribunal spécial ne permet aux détenus de faire des déclarations publiques qu’au cours de leurs procès. Toutefois, avant la mort de M. Norman, le chef des Kamajors, son représentant prétendu avait affirmé que celui-ci, ainsi que les deux autres Kamajors inculpés avait quitté le PPSL pour rejoindre le MPCD dissident.
A ce jour, les membres de leurs familles et leurs amis n’ont pas contesté cette déclaration, bien que les partisans du PPSL aient nié sa véracité.
Lorsque le PPSL a compris qu’il avait perdu le premier tour des élections présidentielles dans de nombreux bastions kamajors, trois hauts responsables du parti se sont rendus au tribunal pour rencontrer les deux Kamajors détenus, apparemment pour solliciter le soutien des accusés en vue du second tour.
Peu après la rencontre, une autre déclaration a été faite, prétendument au nom des Kamajors mis en accusation, selon laquelle ils auraient refusé l’offre du PPSL.
Malgré tout, certains Kamajors restent résolument fidèles au PPSL, et cela crée des dissensions. « Pour certains Kamajors, la politique est essentiellement une question d’ethnie », a expliqué M. Bangura de PRIDE. « En tant que Mandes, ils pensent qu’ils doivent soutenir le PPSL, quoi qu’il arrive ».
L’opposition a accusé le PPSL d’avoir réarmé ces Kamajors et de les utiliser pour intimider leurs partisans - une accusation contestée par le PPSL.
Selon certains observateurs, quoi qu’il advienne, si les partis politiques cherchent à obtenir le soutien d’individus inculpés pour crime de guerre, le tribunal qui les a jugés ne reflète guère l’opinion de bon nombre de Sierra Léonais.
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