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Entre crise économique et conflits armés, la stabilité menacée

[Guinea] Girls in a Conakry shantytown in front of an election poster of President Lansana Conte. IRIN
Quelques mois après la réélection de Lansana Conte les Guinéens se battent pour du riz
Lorsque le premier ministre guinéen François Fall a démissionné en mai, deux mois après sa prise de fonction, pour protester contre le blocage des réformes politiques et économiques, le président Lansana Conté n’a pas daigné en informer officiellement l’opinion publique.

Comme il ne s’est pas soucié de lui désigner un successeur.

Connu pour ses humeurs imprévisibles, cet ancien colonel de l’armée guinéenne peut, quand bon lui semble, être dur et parfois insultant avec ses ministres ou les membres de son parti, le Parti pour l’Unité et le Progrès (PUP).

Mais Conté, qui, depuis vingt ans, dirige ce pays d’Afrique de l’Ouest d’une main de fer, a réagi promptement lorsqu’il a fallu calmer les bandes de jeunes gens qui s’étaient attaqués à ses propres camions de riz dans les rues de Conakry, début juillet.

C’est le niveau très élevé atteint par les prix du riz, l’aliment de base des Guinéens, qui ont déclenché les émeutes, poussant les populations à piller les magasins et vider les convois d’un riz destiné à l’exportation.

Pour calmer l’opinion, Conté a immédiatement annoncé que le gouvernement subventionnerait le prix du riz.

Mais les importateurs, qui attendaient de pouvoir décharger plus de 100 000 tonnes de riz au port de Conakry, s’interrogeaient sur la capacité de l’Etat à prendre en charge la subvention de 11 500 Francs guinéens (soit quatre dollars) pour chaque sac de 50 kilos, finalement vendu à la population à 40 000 FG, soit 14 dollars.

Bien que plus bas -- le sac de riz importé se vendait à 60 000 FG, soit 21 dollars avant la décision --, le nouveau prix reste trop élevé pour les Guinéens, dont le revenu moyen s’établit à environ 50,000 FG, soit 18 dollars par mois.

La Guinée subit de plein fouet la hausse des prix du riz sur les marchés internationaux, amplifiée par la dépréciation continue de la monnaie nationale depuis deux ans. Privé de ressources extérieures depuis le retrait des bailleurs de fonds, qui attendent des réformes structurelles, et la baisse de ses recettes d’exportation, l’Etat guinéen manque de devises.

Par conséquent, le dollar américain s’échange désormais sur le marché parallèle avec une prime de 40 pour cent par rapport au taux officiel.

« Leurs estomacs vides conduiront les Guinéens dans la rue »

« La Guinée est une immense marmite qui est en train de bouillir, » a expliqué Jean-Marie Doré, le dirigeant de l’Union pour le Progrés en Guinée (UPG) à l’occasion d’une entrevue accordée à IRIN.

« C’est l’estomac qui va mettre les gens dans la rue après des années de souffrance,» a t-il prévenu ce leader de l’opposition, un mois avant le dernier accès de colère des Guinéens.


Comme Jean-Marie Dore, de l'Union pour le Progres de la Guinee, les opposants sont harceles par les autorites
Celui-ci a eu lieu mercredi, dans la ville de Télimélé, à 200 kilomètres au nord de la capitale, Conakry.

Les habitants de cette ville du Fouta Djalon ont rapporté qu’une manifestation pacifique des enseignants, qui protestaient contre le non-paiement de leur salaire depuis deux mois, avait dégénéré en une protestation violente d’une large partie de la population contre le tout nouveau préfet, Issiagah Marah.

Des témoins ont affirmé que le préfet et sa famille avaient été obligés de fuir la ville, tandis que la police, débordée par les manifestants, assistait impuissante au saccage des bureaux de la préfecture.
“Les émeutes populaires représentent le plus grand risque de destabilisation du régime de Conakry aujourd’hui,” a confié à IRIN Sidikiba Keita, coordinateur du Collectif pour la défense des droits et des libertés en Guinée.
“Ca peut éclater à tout moment: c’est la famine, les gens ne peuvent plus subvenir aux besoins de leur famille,” a t-il dit par téléphone depuis la capitale francaise.
La Guinée possède pourtant le potentiel pour être l’un des plus prospères pays d’Afrique de l’Ouest, avec un tiers des réserves mondiales de bauxite, des gisements de diamants, d’or, de fer et de cuivre. La diversité des climats et l’abondance d’eau permettent de produire assez pour nourrir et faire vivre huit millions de Guinéens.

Mais avec un revenu par habitant qui stagne autour de 350 dollars par an, le pays reste lourdement dépendant des importations ; les infrastructures, non entretenues, tombent en ruine et les revenus d’exportation ne cessent de diminuer, en valeur comme en volume.

Selon des sources de la Banque mondiale, la valeur des exportations des ressources minières n’était plus que de 568 millions de dollars en 2003, contre 894 millions de dollars l’année précédente.

Mais ce qui menace la Guinée n’est pas seulement d’ordre économique.

Inquiétudes à propos de la santé de Conté et sa succession

Les diplomates s’interrogent sur l’état de santé du président Conté, 70 ans cette année, qui n’est manifestement plus capable de marcher tout seul à la suite d’un diabète et de problèmes cardiaques.

Ils s’inquiétent surtout du fait que Conté n’a désigné aucun successeur, se contentant d’assister à l’écroulement d’un pays qui n’a connu que deux régimes autoritaires depuis son accession à l’indépendance en 1958.

Faible et divisée selon un découpage régional ou ethnique, l’opposition n’a pas été capable de se faire entendre de façon à devenir une réelle menace pour le pouvoir.

Ces observateurs de la scène politique guinéenne craignent qu’au moment critique, l’armée qui a porté Conté au pouvoir en 1984 soit incapable de contenir les rivalités entre les trois principaux groupes ethniques, les Peul (40 pour cent de la population), les Malinké (26 pour cent) et les Soussou (11 pour cent, dont le chef de l’Etat).

« Les Guinéens ont faim, ils ont peur et sont dégoûtés de la politique, » a expliqué un diplomate européen.

« L’opposition ne peut pas faire le poids et toutes les conditions économiques et politiques jouent maintenant en faveur de plus d’instabilité, » a t-il ajouté.

« Les conditions de vie se détériorent, l’insécurité pose de plus en plus de problèmes notamment pour les investisseurs, les ressources extérieures sont devenues rares et la situation politique est bloquée, » a résumé le diplomate.

« La situation a atteint un seuil critique, » a t-il conclu.

La montée des tensions ethniques dans la lointaine Région Forestière, dans le sud-est de la Guinée, est particulièrement inquiétante.

Les combattants armés circulent

Depuis la fin de la guerre du Liberia, en août 2003, la présence d’anciens combattants en Région Forestière n’a fait qu’accentuer les tensions qui existaient depuis toujours entre communautés.

En juin, au moins deux personnes ont été tuées à Nzérékoré, la capitale de la région, lors d’affrontements entre des membres de l’ethnie Konianké, appartenant au groupe Malinké, et des Guerzé, une des ethnies locales, majoritaire dans la région de la forêt.

Ces échauffourées, communes dans la région, ont mal tourné après que d’anciens membres du LURD, l’un des mouvements rebelles libériens -- les Liberiens unis pour la réconciliation et la démocratie --, aient prêté main forte à leurs cousins malinkés.

L’armée guinéenne, qui s’était rapidement déployée dès les premières rafales d’armes automatiques, a arrêté plus de 200 personnes au cours des rafles du 17 juin, la majorité étant des combattants du LURD et des Konianké, et a confisqué des armes de guerre.

Pendant deux jours, l’activité a tourné au ralenti, les hommes d’affaires de cet ancien carrefour commercial de 500,000 habitants, coincé entre la Sierra, le Liberia et la Côte d’Ivoire, craignant des représailles après l’arrestation des Malinkés.

L’événement a néanmoins été minimisé par le colonel Lamine Bangoura, le gouverneur de la Région Forestière, qui l’a considéré comme « un problème passager ».

« La sécurité a été renforcée aux frontières, les dispositions ont été prises pour éviter de nouveaux troubles mais nous demandons à la population d’être vigilante pour éviter la généralisation des conflits et la destabilisation de notre pays, » a dit le colonel Bangoura à IRIN.

Les diplomates et les travailleurs humanitaires se sont toujours inquiétés de la situation en Région Forestière, considérée comme un baril de poudre prêt à exploser.

Entre 50 000 et 100 000 anciens migrants sont revenus s’installer en Guinée après le déclenchement de la guerre civile en Côte d’Ivoire, en septembre 2002. Ils vivent désormais dans les départements frontaliers, sans source de revenus ni moyens d’existence.

Ces populations de la Région Forestière, les « retournés » et leurs hôtes, disent éprouver une certaine rancœur, après avoir été oubliés par l’assistance humanitaire déployée en masse pour les quelques 60 000 réfugiés Sierra-leonais, Libériens et Ivoiriens qu’accueille le pays depuis plus de dix ans.

Cela d’autant plus que d’anciens rebelles du LURD pourraient leur causer des ennuis.

« Le risque de violence va au-delà d’une possible crise de succession dans la capitale, » a écrit l’organisation International Crisis Group (ICG) dans son dernier rapport sur la Guinée, publié en décembre dernier.

Le groupe d’experts, basé à Bruxelles, a admis être particulièrement préoccupé par la situation dans le sud-est de la Guinée.

« Le nombre important d’armes et de combattants irréguliers en circulation est l’un des plus importants sujets d’inquiétude, » a dit l’organisation.

Les combattants du LURD entrent maintenant en Côte d’Ivoire

Des sources diplomatiques et humanitaires ont confirmé que Conté a été le principal soutien du LURD, qui opérait depuis ses bases arrières en Guinée entre 1999 et 2003.

Les incessantes coupures d'eau obligent les Guinéens a aller s'approvisionner dans la rue
Ces sources ont dit s’inquiéter des informations selon lesquelles plusieurs centaines de combattants désoeuvrés du LURD seraient revenus en Guinée, ignorant les appels des Nations unies, qui garantissent la sécurité au Libéria et demandent la restitution des armes.
Le président Conté a toujours nié soutenir la rébellion contre l’ancien chef de l’Etat libérien Charles Taylor, malgré une opposition farouche à son régime.

Pourtant, des habitants à Nzérékoré, qui fréquentent des anciens combattants du LURD, ont rapporté que ceux-ci sont convaincus que non seulement le pouvoir de Conakry les a abandonnés une fois Taylor en exil au Nigeria, mais qu’il se tourne maintenant contre eux.

Ils ont également affirmé craindre que Conté soit en train d’entraîner le pays dans le conflit latent qui couve en Côte d’Ivoire, toujours coupée en deux depuis la fin officielle de la guerre, il y a un an.

Ils ont dit suspecter des envois d’anciens rebelles dans l’ouest ivoirien, frontalier avec la Guinée et le Liberia, afin de se débarrasser de ces hôtes gênants pour la sécurité du pays.

Plusieurs sources ont confirmé à IRIN que le président Conté tentait de réexporter les anciens combattants libériens pour renforcer les milices pro-gouvernementales qui sévissent dans le grand ouest ivoirien, une zone riche en plantations de cacao dont la Côte d’Ivoire est le premier producteur mondial.

« Il a déjà envoyé des anciens combattants libériens en Côte d’Ivoire pour aider le président (Laurent) Gbagbo à se débarrasser de ses propres rebelles, » a dit un membre d’une organisation locale de défense des droits de l’homme.

« Une telle politique va à l’encontre des intérêts de la Guinée, » a t-il ajouté.

De retour à Conakry, 850 km plus à l’ouest, les populations éprouvent bien des difficultés à faire face à la détérioration des infrastructures, à la hausse des prix des biens de consommation et à la stagnation voire au déclin de leurs revenus.

« Regardez la misère dans laquelle on vit »

Le réseau électrique national dans la capitale fonctionne rarement et bien que la Guinée se vante d’être le château d’eau de l’Afrique de l’Ouest, les robinets des deux millions d’habitants de Conakry peuvent rester secs pendant des jours.

« Regardez la misère dans laquelle on vit, » s’est exclamé Alpha, un jeune homme de 19 ans, vêtu d’un vieux tee-shirt d’un rouge passé, parsemé de trous. Il attend, comme des dizaines d’autres dans cette rue défoncée par les pluies et le manque d’entretien, de pouvoir remplir son bidon d’eau au robinet public.

« Rien ne marche : il n’y a pas d’électricité, pas d’eau, on a l’air misérable, » a t-il dit, exaspéré, dans un haussement d’épaules.

« Le manque d’eau et d’électricité est seulement dû à la mauvaise gouvernance, » a déclaré l’ancien premier ministre Fall dans une interview publiée dimanche.

Avant son bref passage à la tête du gouvernement, Fall a occupé le portefeuille des Affaires étrangères et a représenté la Guinée aux Nations unies. C’était une figure respectée, bénéficiant d’une bonne réputation au niveau international.

De sources diplomatiques, Fall était censé apporter un vernis de respectabilité au régime de Conté, après que celui-ci ait perdu ses derniers soutiens au sein de la communauté des donateurs.

Fall, par manque d’autorité, n’a pas pu imposer d’authentiques réformes, et a choisi de quitter sa fonction lors d’une visite officielle en Europe.

Il vit désormais à New York, d’où il dénonce les défauts du régime.

« Nous avons constaté que 50 pour cent des marchandises qui entrent en Guinée sont exonérées. Et nous savons bien quels sont les auteurs de ces exonérations, » a dit Fall au service d’informations sur internet, Guineenews.

« Nous avons voulu mettre fin à ces exonérations (…) pour permettre au gouvernement d’engranger les recettes douanières. Mais vous savez, les habitudes en Guinée sont très dures et les hommes qui sont à ces postes sont des hommes très proches du président, » a t-il poursuivi. « Nous n’avons malheureusement pas été entendus. »

La Banque mondiale a suspendu son aide à la Guinée le mois dernier en raison du non-paiement des arriérés de dette. Et l’Union européenne, de loin le plus important bailleur de la Guinée, a gelé son programme de coopération et les 221 million d’euros (274 millions de dollars) de financement pour des raisons de mauvaise gouvernance.

La Banque africaine de développement (BAD), le Bureau international du travail (BIT), le Fonds international pour le développement de l’agriculture (FIDA) sont quelques uns des bailleurs de fonds à avoir suspendu leur aide à la Guinée pour des raisons similaires.

« Nous commençons à nous lasser. Ils ne font pas d’efforts »

Les Etats-Unis eux-mêmes, partenaire clé de la Guinée après le désengagement de l’Union soviétique à la mort du président fondateur Ahmed Sékou Touré en 1984, ont convenu en avoir assez de cette situation.

« La Guinée a été un bon ami des Etats-Unis mais nous commençons à en avoir assez : ils ne font pas d’efforts, » a dit un diplomate américain basé à Conakry.

« L’environnement actuel, notamment les tensions ethniques dans le sud-est, va nous donner des éléments nouveaux d’appréciation pour modifier notre stratégie, » a commenté ce diplomate. Il a ajouté ne pas avoir noté des signes positifs de changement.

Les partis d’opposition sont néanmoins tolérés en Guinée, comme les quotidiens privés. Mais les radios et télévisions privées ne sont pas autorisées à émettre malgré les pressions extérieures et les opposants sont tenus par une courte laisse.

Le Front républicain pour un changement démocratique (FRAD), qui regroupe sept partis d’opposition, n’est pas parvenu à s’entendre sur une personnalité crédible, capable de développer une stratégie nationale et de surmonter les divisions régionales et ethniques.

Ses représentants sont en outre harcelés par les autorités. Plusieurs d’entre eux, comme Doré ou l’ancien premier ministre Sydia Touré, ont été arrêtés pour avoir tenté de déstabiliser le pays et sont empêchés de voyager.

Le FRAD avait boycotté les élections présidentielles de décembre dernier, en l’absence d’une commission électorale indépendante et sans avoir eu accès aux media d’Etat.

Conté, qui s’était présenté face à un candidat de circonstance, a été reconduit pour un troisième mandat de sept ans, avec 95,2 pour cent des voix et un taux de participation de 85,6 pour cent.

Ces chiffres officiels ont été contestés par l’opposition, qui a crié à la fraude. Selon le FRAD, seulement 15 pour cent de la population a effectivement voté lors de cette élection.

Le gouvernement a ignoré les critiques et continue de répondre par la force à toute menace sur son autorité.

Les autorités ont souvent justifié cette option en citant les exemples des pays voisins qui, en l’espace de dix ans, ont tous sombré dans la guerre civile. La Guinée a été le seul pays à y échapper.

Mais un membre de l’Organisation guinéenne des droits de l’homme (OGDH) à Conakry a mis en garde : « Plus le gouvernement réprime le mécontement populaire, plus le risque de radicalisation est important.»

« Nous sommes à un tournant d’un jeu dangereux, » a dit un diplomate.

« Le risque d’instabilité en Guinée menace toute la région, et ce sera le cas tant que la crise dure en Côte d’Ivoire, » a t-il dit. « On est à deux doigts de basculer. »

This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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