Les tribunaux Gacaca ont jugé au moins 1,5 million de dossiers (4 000 dossiers restant en instance). Cependant, au moins 100 survivants du génocide ont été tués – la plupart après avoir témoigné contre des suspects devant ces tribunaux, selon IBUKA, l’association des rescapés du génocide.
« La plupart [des rescapés] qui ont témoigné devant ces tribunaux sont traumatisés parce que des génocidaires présumés ainsi que des personnes condamnées pour génocide les ont menacés de se venger », a dit Théodore Simburudari, président d’IBUKA.
Gacaca signifie « herbe », car les procès doivent se dérouler en plein air, afin que les rescapés puissent désigner publiquement les suspects. Mais cela les rend aussi vulnérables à des représailles, ajoute Simburudari.
Busingye Deus, un petit commerçant de Kigali, a déclaré à IRIN que son ami Ramadan Uzabukiriho, un rescapé du génocide dont les parents sont morts en 1994, est décédé en mars dans des conditions suspectes, il a été tué peu après avoir témoigné devant l’un de ces tribunaux.
« Je suis sûr qu’il serait toujours vivant s’il n’avait pas témoigné », a dit M. Busingye. L’agresseur de M. Uzabukiriho va être jugé, selon IBUKA.
Des agressions visant des personnes suspectées d’être des « génocidaires » ont également été enregistrées, et des organisations de défense des droits humains ont averti que cela pourrait alimenter des tensions ethniques.
Lors d’un incident rapporté par Human Rights Watch, organisation basée à New-York, Fréderic Murasira, un rescapé du génocide, a été tué près de Mugatwa, dans l’est du Rwanda. Quelques heures après l’agression, des rescapés du génocide ont tué dans un village voisin huit habitants de Mugatwa qui n’avaient apparemment joué aucun rôle dans le meurtre de M. Murasira.
A l’actif des ‘Gacaca’, selon des experts juridiques, les tribunaux sont arrivés à faire dire la vérité aux prisonniers, permettant aux rescapés de savoir exactement ce qui était arrivé aux proches qu’ils ont perdus.
Photo: IRIN |
Un panneau d’affichage à Kigali incitant les gens à prendre part aux Gacaca: Les tribunaux ont jugé au moins 1,5 million de cas, dont 4 000 sont toujours en instance (photo d’archives) |
La Commission nationale de lutte contre le génocide est en train de rassembler des informations pour souligner les succès de ce système, a expliqué Kanimba Misango, président de la commission. Les cas en instance seront renvoyés vers les tribunaux conventionnels.
« Les tribunaux avec des cas en instance auront jusqu’à la fin de l’année pour les clôturer, mais sinon la plupart des tribunaux ferment à la fin de ce mois », a dit M. Misango à IRIN.
Des organisations humanitaires ont loué le système des Gacaca pour avoir réduit la congestion dans les prisons grâce aux peines sans emprisonnement. Le gouvernement a également relâché 1 400 prisonniers, demandant à ce que leur peine de prison soit commuée en heures de travail pour la communauté.
Mais malgré son succès dans l’accélération des procès, le manque de représentation juridique et de juges ayant reçu une formation académique a été pointé comme une faiblesse du système.
« L’absence de représentation juridique dénie à l’accusé son droit à un procès équitable, [et] en tant que juristes, nous aurions dû nous occuper de ces lacunes quand le système a été mis en place », a expliqué à IRIN un avocat basé à Kigali qui n’a pas souhaité donner son nom, ajoutant: « cependant, nous devons accepter le fait qu’à cette époque, il y avait un énorme manque de ressources, tant financières qu’au niveau des effectifs ».
Faiblesses
En 2008, HRW (Human Rights Watch) s’était inquiété du fait que le système des ‘Gacaca’ ne donnait pas aux accusés l’opportunité d’une défense professionnelle. L’organisation avait aussi pointé de nombreux cas de procédures défectueuses, de corruption judiciaire et de fausses accusations, ce qui avait miné la confiance quant à la compétence du système.
Les tribunaux Gacaca ont jugé des cas impliquant des violeurs, ceux qui ont tué ou qui avaient l’intention de tuer, et leurs complices, ainsi que des cas de tortures, des cas d’incitation, des cas liés à des problèmes de propriété, alors que les dossiers des responsables de haut niveau et des organisateurs du génocide étaient confiés à des tribunaux conventionnels.
Des experts juridiques ont aussi souligné qu’au lieu de réconcilier les gens – ce qui constituait l’un des mandats des tribunaux - la plupart des personnes condamnées pour génocide avaient rejeté la réconciliation, la justice réparatrice et le recours à une approche punitive. Cette opinion est partagée par IBUKA.
Il a été difficile pour les rescapés de violences sexuelles de témoigner, car aucune disposition n’avait été prise pour permettre des audiences à huit clos, ce qui signifie que, souvent, ces crimes n’ont pas été signalés.
Chaque année, le gouvernement dédie une semaine à la commémoration des victimes du génocide, mais durant les dernières années, cette semaine a vu un nombre croissant d’agressions de rescapés, selon la police.
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