Samedi 18 avril
Comme tous les journalistes, je reçois un appel concernant une manifestation « pour la paix » organisée par le parti au pouvoir, le Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces de défense de la démocratie (CNDD-FDD). Les porte-paroles du gouvernement invitent tous les médias et tous les journalistes à communiquer sur cet évènement et le diffusent sur les réseaux sociaux. L’objectif est de montrer que l’annonce controversée du président Pierre Nkurunziza de briguer un troisième mandat lors des élections de juin bénéficie d’un certain soutien.
Lors de cet évènement, conduit par le président du parti Pascal Nyabenda, certains manifestants crient « tuzobamesa! » aux passants. En kirundi, cela signifie littérallement « Nous allons vous lessiver ». Cela me rappelle le langage de la guerre civile de 1993-2005. À l’époque, une variante du même verbe, « mumese! » était employée pour dire « Tuez-le ! » Je fais partie de la « génération grenade » : j’étais au secondaire dans les années 1990, quand les écoles étaient souvent la cible d’attaques à la grenade.
Vendredi 24 avril
J’apprends que Ie congrès du parti au pouvoir a officiellement désigné M. Nkurunziza comme son candidat, même s’il a déjà exercé deux mandats présidentiels de cinq ans. Cela devrait l’empêcher de se représenter, bien que ses sympathisants estiment que le premier mandat ne comptait pas, car il avait alors été désigné par le Parlement et non élu par la population. Je commence à penser à ma famille : ma femme et mes deux enfants.
Les organisations de la société civile, les partis d’opposition et même certains membres du CNDD-FDD opposés à la candidature de M. Nkurunziza annoncent qu’ils vont descendre dans la rue. Jusqu’à présent, je pensais que ça se calmerait et que le président allait se contenter de ses deux mandats et laisser quelqu’un d’autre lui succéder. Son parti a une bonne avance dans les sondages.
Dimanche 26 avril
Les rues de Bujumbura débordent de manifestant. Vers 8 h 30, je prends des photos dans le district de Nyakabiga. La police commence à disperser les manifestants à l’aide de gaz lacrymogène. Je n’ai rien pour me protéger et cours m’abriter. Je vois des enfants pleurer. Certains policiers semblent tirer à balles réelles.
La mort d’un garçon de quinze est ce qui me touche le plus. Je viens de quitter Mutakura, dans le nord de la capitale, lorsqu’un collègue m’appelle pour me dire qu’un adolescent a reçu une balle dans la tête alors qu’il avait les mains en l’air. Il s’appelait Jean Népomuscène Komezamahoro. Né en 2000, il avait le même âge que l’Accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation, qui a favorisé la fin de la guerre.
Je vois des femmes pleurer lorsqu’elles apprennent que le garçon est mort. Cette nuit-là, je reçois un appel venant du même quartier. On me dit que des hommes en uniforme ont fait irruption dans une maison et tué deux personnes, dont un homme de 40 ans qui travaillait pour Toyota Burundi.
Lundi 27 avril
Je quitte le centre de Bujumbura pour me rendre dans le quartier de Musaga, au sud de la capitale. Ici, les manifestants sont plus implacables, déterminés à affronter le régime de M. Nkurunziza. Hier, un homme a été tué. Les manifestants ont accusé la police et les services de renseignement. Aujourd’hui, je suis témoin de la fermeture forcée de la Radio Publique Africaine (RPA), la station de radio la plus écoutée du pays.
Jeudi 28 avril
De retour à Musaga. Des collègues et moi-même essuyons des tirs. Personne n’est blessé. Le Rubicon de la liberté de la presse est franchi quand les réseaux sociaux et de téléphonie mobile sont coupés. C’est très problématique pour les journalistes.
J’apprends que des membres de l’Imbonerakure (la jeunesse du CNDD-FDD) armés de matraques ont attaqué des collègues travaillant pour Bonesha FM. Plus tard, j’entends que la police a tiré sur des journalistes de la RPA la nuit dernière à Mutakura. Mon fils de trois ans commence à poser des questions : « Papa, est-ce qu’ils ont tiré sur toi ? Dis-moi, papa, qui a tiré sur toi. Et pourquoi ? » Je ne réponds pas. Une chose est claire, pourtant : les troubles ont touché le coeur des enfants, dont le mien.
Jeudi 30 avril
Je décide d’emmener ma famille loin de la ville. Je ne suis pas le seul. C’est normal en de pareils moments. Tôt le matin, nous nous rendons en voiture vers le sud, à Musaga, et j’essaye d’emmener ma famille à la campagne. À un barrage routier, un groupe de manifestants me reconnaît en tant que journaliste. Ils disent qu’ils me comprennent, mais que s’ils nous laissent passer, tout le monde demandera la même chose. Ils me suggèrent de leur confier ma famille pour qu’elle marche jusqu’au bus à l’autre bout du district. Je refuse et nous rentrons chez nous.
Vendredi 1er mai
C’est pareil plus au sud, à Kanyossha. Encore une fois, je ne peux pas passer les barricades. La nuit apporte de bonnes nouvelles : une trêve de deux jours a été décrétée pour enterrer les victimes et laisser au président le temps de reconsidérer sa décision.
Weekend des 2 et 3 mai
Nous refaisons les bagages. Dimanche, vers 6 h du matin, mon fils me fait au revoir de la main. Il s’en va avec sa baby-sitter, ma femme et trois autres membres de la famille, avec l’idée de revenir lorsque la situation se sera calmée. Mais où peut-on être sûrs d’être au calme quand différentes communes se joignent au mouvement ? Je remarque de jeunes inconnus devant ma maison lorsque je remplis la voiture. Je zoome sur eux avec mon appareil-photo.
Lundi 4 mai
Je me rends dans le centre pour travailler comme d’habitude. En montrant ma carte de presse, j’arrive à passer les barricades. Les manifestants ne sont pas toujours aimables envers les journalistes proches du gouvernement. Parfois, nous sommes malmenés par la police et les Imbonerakure.
À midi, je vois des manifestants affronter les forces de police. Ils voulaient bloquer le Boulevard du 28 Novembre, la rue principale qui traverse Bujumbura. Des balles réelles sont tirées sur les manifestants et des policiers sont blessés par des grenades. Les blessés crient. Des manifestants ont du sang sur leurs vêtements. Aucune ambulance n’est en vue. Plus tard, j’apprends que la première dame elle-même a dû faire demi-tour lorsque son convoi a tenté de traverser le pont de la République, par lequel passe ce boulevard.
Effrayé par les tirs et les explosions, je cherche un endroit plus calme. Un garçon de 12 ans et deux autres personnes ont été tués aujourd’hui. Quarante-cinq personnes et 15 policiers ont été blessés.
Je décide de ne pas travailler aujourd’hui. Je dois repenser ma stratégie de sécurité personnelle. Mais demain, je dois reprendre mes fonctions et couvrir l’enterrement du caporal Euraim Hatungimana, tué alors qu’il protégeait des manifestants. Son meurtrier serait un agent des services secrets.
Je veux que les gens comprennent ce qui se passe au Burundi, surtout ces derniers jours, où les droits des enfants ont été violés par des manifestants et par la police. C’est au moins une chose qu’ils ont en commun.
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