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Pourquoi les Maliens rejoignent-ils les groupes armés ?

Leur décision a souvent plus à voir avec la désillusion qu'avec la radicalisation

A member of the the CMA (Coordination des Mouvements de l'Azawad) secure the perimeter of the CMA HQ during the visit of Major General Michael Lollesgaard, Force Commander of the United Nations Multidimensional Integrated Stabilization Mission in Mali (MI UN Photo/Marco Dormino/Flikr

Plus de deux ans après la signature d’un accord de paix par certains groupes armés maliens, l’insécurité s’accroît et se propage.

Lorsque le plus récent chapitre de la longue histoire d’insécurité du Mali s’est ouvert, en 2012, les violences secouaient essentiellement le nord du pays. Au cours des dernières années, toutefois, elles se sont propagées dans les régions du centre. Elles sont aujourd’hui perpétrées par un vaste éventail de groupes.

Pendant le troisième trimestre de 2017, « les conditions de sécurité se sont dégradées et les attaques contre la MINUSMA [la mission des Nations Unies au Mali] et les forces de défense et de sécurité maliennes ont augmenté en nombre et en intensité », a écrit le Secrétaire général des Nations Unies António Guterres dans son plus récent rapport sur la situation au Mali, présenté le 26 décembre au Conseil de sécurité.

« Les groupes terroristes [...] semblent avoir renforcé leurs capacités opérationnelles et élargi leur zone d’opérations, [entraînant] une augmentation du nombre de victimes d’attaques terroristes », même si les attaques entre les parties à l’accord de paix ont cessé, a-t-il ajouté.

« Le processus de paix n’a guère donné de résultats tangibles », a conclu M. Guterres.

D’après Ibrahim Maïga, chercheur auprès de l’Institut d’études de sécurité (ISS) africain, « nous sommes entrés dans une nouvelle phase de la guerre ».

« La situation est beaucoup plus imprévisible qu’en 2012. Elle est beaucoup plus diffuse. Avant, le conflit se limitait aux centres urbains. Maintenant, il touche aussi les zones rurales. Les poches d’insécurité sont aussi beaucoup plus nombreuses », a-t-il dit à IRIN.

Les « acteurs armés non étatiques » — pour utiliser le jargon de l’analyse de conflit — qui commettent ces violences sont nombreux et leurs motivations sont très variées. Les alliances se font et se défont au gré des circonstances.

Ces groupes appartiennent généralement à l’une des quatre catégories suivantes :

La Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA) : une coalition informelle de mouvements armés ayant des intérêts communs, notamment en ce qui concerne l’autodétermination et le contrôle territorial.

La Plateforme des groupes armés : une vaste coalition de groupes armés explicitement progouvernementaux.

Les organisations extrémistes violentes, dont plusieurs opèrent sous la bannière du Jama’a Nusrat ul-Islam wa al-Muslimin (JNIM) [Groupe pour le soutien de l’islam et des musulmans].

Les autres groupes, notamment les unités d’autodéfense locale, qui n’entrent dans aucune des catégories mentionnées ci-dessus.

En raison de la multiplicité de ces groupes, de leur constante évolution et de l’insécurité qui règne dans les zones où ils opèrent, il est impossible de déterminer combien de citoyens maliens se trouvent dans leurs rangs. Parmi les organisations avec lesquelles IRIN s’est entretenu, aucune ne voulait fournir une estimation, même approximative.

On peut cependant avoir une idée de l’ampleur du phénomène en examinant les chiffres avancés en ce qui concerne les membres des groupes signataires de l’accord de paix qui doivent être intégrés dans les forces de sécurité régulières. Le gouvernement estime leur nombre à 4 900, mais certains des signataires de l’accord de 2015 affirment qu’il pourrait être aussi élevé que 14 000. Les forces djihadistes et les unités d’autodéfense ne sont pas parties à l’accord.

Les chercheurs se sont beaucoup intéressés aux motifs qui poussent les citoyens maliens à rejoindre les groupes armés. Selon les résultats de plusieurs études de terrain, la « radicalisation » et les gains financiers sont rarement cités comme des facteurs d’attraction. Les Maliens qui prennent les armes semblent plutôt le faire en réaction à une détérioration de la situation.

« Il existe une multitude de facteurs ; il y a presque autant de motifs qu’il y a de membres » dans les groupes armés, a expliqué M. Maïga, de l’ISS. Les jeunes âgés de 18 à 35 « forment la majeure partie des groupes, des forces de combat. Sans les jeunes, il est difficile d’être un groupe actif et dangereux », a-t-il précisé.

Plus des deux tiers des 18 millions d’habitants du Mali ont moins de 24 ans.

En 2016, l’ISS a interviewé des dizaines d’anciens membres de groupes djihadistes maliens pour en savoir plus sur leurs motifs. Le groupe de recherche a ainsi établi 15 grandes catégories de motivations : personnelle/individuelle, éducation, protection, sociale, éthique, influence/obéissance, économique, familiale, politique, référent religieux, psychologique, historique, coercition, environnementale, culturelle/communautaire/sociologique/ethnique et inconnue. Les conclusions de l’ISS cadrent avec celles d’autres organisations ayant mené des recherches semblables.

Voici un aperçu de certains des principaux facteurs qui se combinent et incitent les Maliens à rejoindre les groupes armés :

Vide de gouvernance

Depuis des décennies, les perceptions d’exclusion et de négligence alimentent les insurrections dans le nord du Mali. La rébellion de 2012 et les conquêtes des groupes djihadistes ont par ailleurs entraîné un retrait massif de la présence de l’État dans cette région. Le centre du Mali, où le conflit s’est propagé, a aussi connu un exode des fonctionnaires au cours des dernières années.

« C’est une question de gouvernance », a dit à IRIN Amara Sidibé, qui travaille avec une association de jeunes maliens appelée Plus jamais ça, lorsqu’interrogé au sujet de l’attraction qu’exercent les groupes armés sur les civils.

« Les jeunes se sentent abandonnés. L’État est totalement absent ; il n’y a pas de justice, pas d’emploi. Il n’y a pas non plus de centres de santé, d’écoles ou d’endroits où obtenir des documents officiels », a-t-il dit.

Sécurité et protection

Abdoul Kassim Fomba, coordonnateur national de Think Peace Mali, un groupe de réflexion qui travaille sur la construction de la paix et la lutte contre l’extrémisme, a expliqué que « quand l’État est absent, les gens ont tendance à placer leur confiance dans les groupes armés ».

D’après Mercy Corps, une ONG internationale, « l’incapacité du gouvernement en ce qui concerne le maintien de l’ordre et la résolution des conflits communautaires, ainsi que l’impunité grandissante quand il s’agit d’actes violents, ont poussé de nombreux acteurs de ces régions déchirées par les conflits à demander sécurité et justice auprès des acteurs non étatiques ».

« Les jeunes qui rejoignent les groupes antigouvernementaux ou extrémistes violents en particulier tendent à partager des griefs profonds nés de leurs perceptions de la négligence et du mauvais traitement que le gouvernement aurait infligés à leur communauté, notamment à Gao et Tombouctou », indique l’organisation dans un rapport récent fondé sur une recherche de terrain menée en partenariat avec Think Peace Mali.

« Les jeunes non-violents ont davantage tendance à dire que les prestations de services du gouvernement dans leur communauté sont semblables ou supérieures à celles qui se trouvent ailleurs. C’est un élément qui contribuerait à diminuer la probabilité que la communauté soutienne les groupes armés », expliquent les auteurs du rapport.

Dans une analyse de l’insécurité dans le Mali central, l’International Crisis Group (ICG) soutient qu’en l’absence de l’État « une partie des élites locales et des autorités sont aujourd’hui tentées de répondre à l’insécurité en soutenant le développement de groupes d’autodéfense à base communautaire ».

Les avis recueillis par l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI, selon le sigle anglais) et la Coalition nationale de la société civile pour la paix et la lutte contre la prolifération des armes légères (CONASCIPAL) montrent que la notion même de « sécurité » n’est pas toujours perçue de la même manière par les Maliens du centre et du nord du pays.

« Le sens du mot “sécurité” varie d’un interlocuteur à l’autre », indique le SIPRI dans une étude fondée sur les résultats du sondage. Les répondants insistent d’ailleurs sur le fait que « la sécurité est autant une question de développement que d’exposition à la violence ».

Outre les violences physiques, les facteurs en lien avec la sécurité cités par les répondants au sondage incluaient « le chômage, la pauvreté et l’accès aux services publics ».

Justice

L’absence de services publics fonctionnels concerne aussi le secteur de la justice.

Mariam Sy, une jeune architecte qui travaille avec Plus jamais ça, a dit à IRIN : « Le système de justice est vraiment corrompu. Les décisions sont biaisées ; ce sont ceux qui payent le plus cher qui gagnent. »

Pour mettre un terme à la violence, « il faut commencer avec la justice. Nous avons besoin d’un système de justice équitable qui fonctionne. Et pour avoir un système de justice qui fonctionne, il faut qu’il y ait de la volonté politique et des leaders capables de prendre des décisions pour le bien de la population », a-t-elle dit.

Selon Afrobarometer, « le système judiciaire malien a fait face à des menaces et [à des] perturbations profondes durant les dernières années, surtout dans le Nord, où son accès était limité pendant l’insurrection […]. L’accès à la justice demeure gravement compromis ».

« La confiance publique envers la justice est basse, et les perceptions de corruption sont élevées. Les retards, les complexités du système et les perceptions de parti pris poussent beaucoup de Maliens à ne compter que sur les autorités traditionnelles et locales pour dispenser la justice, plutôt que de s’engager dans des procès », indique l’organisation, qui mène des enquêtes publiques sur l’ensemble du continent africain au sujet des attitudes envers la démocratie et la gouvernance.

D’après le rapport de Mercy Corps, « les jeunes citent leur expérience de l’injustice, dont l’abus et la corruption, comme facteurs motivant leur adhésion aux groupes armés antigouvernementaux ».

Et selon l’étude de l’ICG sur le Mali central, « les groupes radicaux savent trouver leur place en se rendant utiles et en soutenant certains groupes contre d’autres. Ils apportent une forme de protection, des armes et un savoir-faire militaire, mais aussi une réponse à une forte demande locale de justice, de sécurité et, plus largement, de moralisation du politique ».

Communauté et identité

La quête de réussite et de valorisation sociales influence fortement la décision des jeunes Maliens de recourir à la violence, selon une recherche publiée par Interpeace et l’Institut malien de recherche-action pour la paix (IMRAP). La « crise d’autorité » et « l’absence de continuité éducative » entre la famille, la communauté et l’école laissent de nombreux jeunes « sans encadrement ».

La recherche, qui a été menée sur le terrain, conclut par ailleurs que les jeunes commettent des actes de violence pour exprimer leur besoin de trouver leur place dans la société, d’être reconnus et valorisés.

« Trop d’analyses perçoivent les jeunes comme des éléments passifs sur qui une violence est exercée, ou comme des êtres vulnérables faciles à mobiliser/endoctriner. Or, cette étude démontre que les jeunes sont des acteurs à part entière des dynamiques de violence et ils exercent leurs propres choix — même si ces choix sont souvent limités et/ou définis par le contexte », indique le rapport de recherche.

M. Fomba, de Think Peace Mali, a fait remarquer que des choix importants comme ceux-ci sont parfois faits à un niveau collectif, et non individuel.

« Il existe de nombreux groupes armés qui défendent les intérêts de leur propre communauté. Les communautés s’identifient donc avec certains groupes armés. Pour montrer leur bonne foi, certaines familles décident que l’un de leurs membres doit rejoindre le groupe pour aider ce dernier à défendre la communauté », a-t-il dit à IRIN.

La recherche menée par Think Peace Mali et Mercy Corps cite également des jeunes qui « voient les groupes armés comme un tremplin pour rejoindre l’armée et ainsi obtenir un emploi stable. […] Ces jeunes citent le besoin d’une stabilité économique à long terme et d’une meilleure position sociale comme facteurs qui les ont poussés à rejoindre un groupe armé ».

La voie à suivre

D’après Mercy Corps, « c’est au niveau communautaire qu’il faut chercher les solutions pour prévenir la violence. Il faut reconnaître l’influence marquée de la communauté et agir sur les facteurs de risque au niveau collectif pour augmenter nos chances de détourner les jeunes de la violence ».

« Si la gouvernance locale se fait plus inclusive et plus efficace au moment de fournir des services publics, les perceptions de marginalisation qui ont incité les communautés à soutenir les groupes armés finiront par changer. »

Ou, comme l’indique l’ICG, qui met par ailleurs en garde contre les risques de retour de bâton associés à la réponse essentiellement militaire du Mali aux enjeux sécuritaires : « Résoudre les conflits locaux permet de contenir l’extrémisme violent beaucoup plus qu’endiguer l’extrémisme violent ne permet de résorber les crises locales. »

« Nous avons un long chemin à parcourir », a dit Mme Sy. « Il se peut qu’il faille attendre 20 ans pour qu’on ait le Mali dont on rêve, mais il faut bien commencer quelque part. Nous refusons de perdre espoir. Nous n’avons pas d’autre choix : c’est notre pays. »

am/oa

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