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Les Nigérians ne sont pas au bout de leurs peines pour atteindre l’autosuffisance alimentaire

Nigerian farmer Anthony Morland/IRIN

En périphérie de Kano, au nord du Nigeria, le quartier de Dawanau bourdonne d’animation. C’est le plus grand marché aux céréales d’Afrique de l’Ouest. Ici, des fortunes passent quotidiennement de main en main et des sacs de millet, de sorgho et de niébé sont chargés sur des camions pour être acheminés jusqu’au Tchad, au Mali ou au Sénégal.

Pourtant, les petits paysans qui, loin de cette plaque tournante, produisent plus de 90 pour cent de la nourriture du Nigeria ont toutes les peines du monde à répondre à la demande du marché.

Les grandes plaines du nord du pays sont idéales pour l’agriculture, et le riz s’avère particulièrement lucratif. Cette denrée de base est un incontournable de tous les évènements sociaux et de certains des plats les plus populaires du Nigeria, comme le « Jollof », une spécialité épicée servie à la moindre occasion. Le Nigeria est à la fois le pus grand producteur de riz d’Afrique et son plus grand importateur. L’insuffisance de l’offre est comblée par des importations — majoritairement de Thaïlande et d’Inde — dont la valeur est estimée à plus de huit millions de dollars par jour. Il en va de même pour d’autres céréales comme le blé ou le maïs : avec ses 190 millions d’habitants, le Nigeria est un gros producteur, mais aussi un importateur net.

Étant donné la profusion de terres arables, qu’est-ce qui empêche donc le Nigeria d’aider les agriculteurs à augmenter leurs rendements et d’arrêter la fuite de la production vers l’étranger ? La réponse réside dans la tyrannie du pétrole. Avant le boom pétrolier de 1970, l’agriculture était le pilier de l’économie nigériane et le pays était capable de répondre à la demande nationale tout en exportant. Mais le pétrole brut a changé la donne. Le système politique s’est retrouvé avec une manne financière colossale et l’agriculture s’est étiolée. Aujourd’hui, le Nigeria importe environ 20 milliards de dollars de nourriture par an. Mais la baisse des revenus du pétrole et la pénurie de dollars ont persuadé le gouvernement du président Muhammadu Buhari à replacer l’agriculture au centre des priorités.

Cultiver sa propre nourriture

Derrière le slogan « Nous devons produire ce que nous mangeons », le gouvernement favorise l’agrobusiness comme moteur de croissance économique et comme moyen pour les millions de petits paysans d’échapper à la pauvreté et à l’insécurité alimentaire. L’État s’est fixé l’objectif ambitieux de devenir autosuffisant en riz d’ici 2018 et exportateur net d’ici 2020.

Afin d’encourager la production nationale, la Banque centrale du Nigeria a introduit des restrictions en matière d’accès au dollar pour l’importation de 41 produits alimentaires et augmenté les droits de douane à l’importation (de 10 à 60 pour cent pour le riz). La banque a également limité les importations aux frontières terrestres dans le but de lutter contre la contrebande.

En annonçant cette année qu’il investissait un milliard de dollars dans la production de riz au Nigeria, Aliko Dangote, l’homme le plus riche d’Afrique, semble avoir validé la stratégie du gouvernement. Le groupe Dangote prévoit de produire un million de tonnes de riz blanchi étuvé d’ici cinq ans, soit 16 pour cent de la demande nationale. D’autres acteurs majeurs ont suivi, notamment le conglomérat TGI, dont le siège se trouve à Lagos et qui a ouvert en août une rizerie d’une capacité de 120 000 tonnes, et Olam Nigeria, succursale d’Olam International, basée à Singapour, qui prévoit d’accroître sa production de riz.

Un certain nombre d’initiatives publiques ont par ailleurs été mises en œuvre dans le but de promouvoir l’agriculture à petite échelle. C’est notamment le cas de l’Anchor Borrowers’ Programme, un projet à 300 millions de dollars créé en 2015 par la Banque centrale du Nigeria et proposant des prêts à faible taux et des subventions aux intrants agricoles à des centaines de milliers de petits paysans. La Banque mondiale soutient elle aussi la stratégie agricole du Nigeria, avec un prêt de 200 millions de dollars en faveur de la production de riz à petite et moyenne échelles.

Cette incitation du gouvernement à l’autosuffisance semble porter ses fruits. Malgré l’impact de l’insurrection de Boko Haram sur l’agriculture dans le nord-est du pays, la production de céréales a augmenté, notamment en ce qui concerne le riz, aidé par la hausse du prix de ce produit.

Nigerian farmer
ILRI/Stevie Mann
Mixed crop and livestock farmer, Oyo State

Travailler dur avec peu d’aide

Pourtant, selon Mahmoud Daneji, directeur général de l’Autorité de l’agriculture et du développement rural de l’État de Kano, la plupart des paysans nigérians peinent encore à joindre les deux bouts. M. Daneji critique l’approche descendante du gouvernement : « On peut avoir un programme tout à fait louable, mais tant que les bénéficiaires potentiels n’y participent pas, ce programme est voué à l’échec. »

Le haut fonctionnaire a noté toute une liste de problèmes auxquels les paysans font face : le manque d’accès à des semences de qualité, à des engrais, à des services de vulgarisation agricole efficaces et à des crédits. Malgré toutes les initiatives mises en place pour doper la production, les paysans continuent de travailler à main nue dans des champs qui ne sont pas irrigués, ont difficilement accès aux marchés en raison du mauvais état des routes et sont de plus en plus menacés par un changement climatique face auquel ils sont mal préparés.

Dans une enquête publiée l’année dernière, des paysans affirmaient que le manque d’engrais était leur principal problème, et ce, malgré un programme de subventions publiques mis en place depuis déjà longtemps. Près des trois quarts des répondants disaient ne pas être au courant d’une quelconque aide des pouvoirs publics. Selon Abdulrashid Magaji, président de l’All Farmers Association of Nigeria, cela s’explique par le fait que la majorité des programmes publics n’atteignent pas leur cible et atterrissent plutôt dans les poches des « favoris politiques et des proches associés des politiciens ».

La Banque centrale a par exemple lancé en 2013 un système de partage des risques pour les prêts à l’agriculture fondé sur des mesures d’incitation afin de faciliter l’accès au crédit auprès des banques. Or, cette année, dans l’État de Kano, seulement 3 700 agriculteurs sur 523 000 sont en passe d’obtenir un prêt. D’après M. Magaji, la grande majorité des paysans ne savent pas comment faire pour bénéficier de ce système dont ils ont tant besoin. Mal renseignés, les paysans nigérians doivent passer par des intermédiaires, ce qui réduit leurs profits, car la chaîne de valeur est alors rompue, les solutions de stockage ne sont pas adaptées et les systèmes d’information sur le marché sont mal organisés. « Ici, les agriculteurs sont laissés pour compte », estime Jibrin Jibrin, directeur du Centre pour l’agriculture en zone aride de l’université Bayero, à Kano. « Les économistes de la Banque mondiale vous diront de ne pas protéger le marché, mais ce système ne fonctionne pas pour nos paysans. »

Les riz et les tomates de Dangote

L’initiative de Dangote s’attelle à quelques-uns de ces problèmes. Son « programme pour les petits cultivateurs associés » prévoit de distribuer des semences, des engrais et d’autres intrants et de former près de 50 000 exploitants de fermes petites et moyennes en échange de l’utilisation de leur terre et de leur force de travail. L’entreprise promet de payer les agriculteurs au prix moyen du marché pour leur récolte de riz, après déduction du coût des intrants fournis.

Mais la majorité des petits paysans interrogés par IRIN à Kano se montraient peu convaincus par ce programme. Ils doutaient d’obtenir un prix juste et de pouvoir répondre aux normes de qualité de l’entreprise. Certains ont rappelé l’échec d’un projet précédent de Dangote : une usine de concentré de tomate à 13 millions de dollars installée à Kano l’année dernière. L’usine est actuellement à l’arrêt, malgré des contrats signés avec quelque 5 000 agriculteurs pour fournir les tomates nécessaires pour une production annuelle de 400 000 tonnes de concentré.

Sur le papier, le projet semblait pourtant judicieux : le Nigeria produit environ 1,5 million de tonnes de tomates par an, la plupart des plats nigérians sont à base de concentré de tomate et, le gouvernement menaçant d’interdire l’importation de concentré, la construction d’une usine locale semblait être un investissement prometteur. Mais les agriculteurs n’ont pas pu produire des tomates en quantité et en qualité suffisantes pour cette usine dernier cri. Premièrement, un nuisible, la mineuse de la tomate, a décimé une bonne partie des récoltes. Ensuite, les problèmes habituels ont entravé tout progrès : manque d’engrais et d’irrigation, semences de piètre qualité, mauvais état de routes et absence de stockage réfrigéré. La pauvreté des infrastructures rurales risque d’ailleurs d’engendrer des pertes après récolte de près de 9 milliards de dollars par an pour l’ensemble du pays, et ce sont les petits producteurs qui en pâtissent le plus.

Depuis les années 1970, l’État a mené toute une série de campagnes très médiatisées pour résoudre les problèmes du secteur agricole. Petit à petit, des solutions semblent se mettre en place, mais l’objectif final — un pays autosuffisant — échappe toujours aux décideurs. « J’ai pitié de moi, j’ai pitié pour les paysans, j’ai pitié pour l’association, car nous avons beaucoup de problèmes », se désole M. Magaji, président du syndicat des agriculteurs. « Soyons sincères, nous avons encore beaucoup de chemin à faire. »

lu/oa/ag-ld

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