C’était le résultat d’une campagne de vaccination sans précédent conduite dans la quasi-totalité du pays, y compris dans la vaste région orientale sous le contrôle de l’État islamique (EI) autoproclamé.
Même cette menue victoire est pourtant menacée, à présent que les combattants islamistes ont pris des mesures répressives contre certains groupes d’aide humanitaire, et que d’autres ont été mis en fuite par la législation antiterroriste.
Alors qu’une campagne d’immunisation d’envergure se prépare à l’échelle du pays, quelles chances les plus d’un million d’enfants vivant en Syrie dans des territoires occupés par l’EI ont-ils de recevoir le vaccin ?
Succès passé
En octobre 2013, pour la première fois depuis 1999, la Syrie a confirmé la résurgence de la polio – une maladie débilitante et incurable, mais facilement évitable. Ce virus d’origine hydrique prolifère dans les régions souffrant de mauvaises conditions sanitaires, de malnutrition et de systèmes publics défaillants. L’Irak et la Syrie, toutes deux frappées par la guerre, ainsi que les pays voisins accueillant les réfugiés dans des conditions de promiscuité, sont des terrains propices à la maladie.
L’annonce de 2013 avait déclenché une campagne d’immunisation de grande envergure, et en janvier 2015, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) avait déclaré qu’aucun nouveau cas n’avait été enregistré en un an.
L’émergence de l’EI, qui s’est emparé de vastes pans de territoire à l’est de la Syrie et à l’ouest de l’Irak l’été dernier, a compromis ce succès.
L’attitude des combattants à l’égard des organisations non gouvernementales (ONG) s’est durcie avec le temps. Au départ, bien que certains groupes d’aide humanitaire aient été poussés au départ, nombre d’entre eux ont pu rester à condition que leur mission soit d’ordre purement humanitaire.
Orhan Mohammed, le directeur de l’Unité de coordination de l’aide (ACU) – une organisation d’aide humanitaire alignée avec l’opposition officielle syrienne – a dit à IRIN fin 2014 que l’EI avait autorisé l’accès des équipes de vaccination.
Mais la situation a changé cette année. Aux mois de février et mars, les combattants ont pris des mesures répressives contre les organisations d’aide humanitaire, aussi bien syriennes qu’étrangères, œuvrant à l’intérieur de leur territoire. Seul un petit nombre reste en activité dans les zones occupées par l’EI, et les combattants formulent à présent des requêtes politiques que les groupes d’aide humanitaire n’ont pas l’intention de satisfaire.
« Ils ne veulent pas laisser les médecins travailler seuls à l’administration des vaccins », a dit M. Mohammed. « Ils veulent placer les médecins sous la houlette d’un prince de leur califat. Nous avons refusé. »
Boraq al-Basha, le directeur général du Syrian Relief Network – un groupe composite représentant plus de 60 ONG syriennes – a dit qu’il avait lui aussi constaté une hostilité grandissante à l’égard des groupes d’aide humanitaire depuis le début de l’année. « [L’EI] se prend pour l’État », a-t-il dit. « Pour eux, tout individu travaillant pour une ONG est présumé non-croyant ou espion, alors ils ont mis fin aux projets. »
Un certain nombre d’ONG internationales recevant des financements de la part des États-Unis ou d’autres pays occidentaux ont également cessé le travail dans les régions sous le contrôle de l’EI par crainte de la législation antiterroriste. Les groupes d’aide humanitaire sont plus susceptibles d’être passibles de poursuites s’ils sont soupçonnés d’appuyer une organisation terroriste. En Somalie en 2011, les ONG ont rapporté qu’une législation analogue les avait empêchées de faire leur travail, qui aurait permis de sauver la vie de milliers de personnes mortes de famine.
Si l’ACU ne travaille pas dans les territoires occupés par l’EI, elle dirige la Syria Immunization Task Force. M. Mohammed a expliqué que certaines régions tenues par l’EI n’avaient pas connu de campagne de vaccination depuis près d’un an, et qu’il était désormais « hautement probable » qu’une épidémie se déclare.
La population exacte des pans de territoire syriens et irakiens occupés par l’EI reste indéterminée, mais elle pourrait s’élever à 10 millions. Des témoignages semblent indiquer que certains déplacés syriens se soient volontairement installés dans ces régions au calme relatif, souvent pour échapper aux barils d’explosifs lâchés par le gouvernement syrien.
Adam Coutts, un expert en santé publique spécialisé dans l’impact de la crise syrienne, a dit que la ville de Deir az-Zour, où une épidémie de polio avait été confirmée en 2013, suscitait particulièrement l’inquiétude.
[http://reliefweb.int/disaster/ep-2013-000163-syr]
« L’inquiétude est grande, compte tenu de l’interruption des efforts d’immunisation et du fait que les foyers de contamination [originaux] étaient concentrés à Deir az-Zour [qui se trouve] aujourd’hui sous le contrôle de l’EI. »
Un nouvel espoir ?
Ces dernières semaines, cependant, M. Mohammed a dit que les ONG avaient constaté une volonté de renouer le dialogue de la part de l’EI.
La campagne de vaccination prévue devrait commencer à la fin de la semaine, et les ONG syriennes renouvèlent leurs avances pour encourager les militants à les laisser travailler.
« Il semblerait qu’ils soient un peu plus flexibles à présent, et ils émettent des signaux laissant à penser qu’ils pourraient nous accorder une autorisation », a dit M. Mohammed de l’ACU. « S’ils ouvrent cette porte [les équipes de vaccination] s’y engouffreront. »
« [Mais] pour l’heure, ils ne nous ont pas donné d’autorisation », a-t-il ajouté.
Le responsable d’une organisation médicale travaillant dans les territoires occupés par l’EI – qui a demandé à garder l’anonymat pour des raisons de sécurité – a dit que des intermédiaires travaillaient d’arrache-pied pour inciter les combattants à redonner leur accord pour une campagne de vaccination.
« Pour nous c’est très difficile de savoir, l’EI est totalement imprévisible – nous ne savons pas comment ils vont réagir », a-t-il dit. « Mais nous ne pouvons pas échouer, nous devons réussir. Nous espérons que nous le pourrons. »
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