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Le Cameroun paie au prix fort son engagement dans la lutte contre Boko Haram

Cameroonian troops deployed in the country's Far North Region to battle radical Nigerian Islamist group Boko Haram Cameroon Defence Ministry
Il y a un mois, vendeurs et acheteurs se bousculaient au marché principal de la ville camerounaise de Maroua. Aujourd’hui cependant, l’endroit inspire peur et soupçon - à la limite de la paranoïa.

En 13 jours seulement, la région de l’Extrême-Nord a été frappée par cinq attentats-suicides - tous imputés au groupe islamiste nigérian Boko Haram – et la population est sur le qui-vive. Le gouvernement a dépêché des milliers de troupes dans le nord, depuis la lointaine Yaoundé, et des mesures de sécurité draconiennes sont entrées en vigueur sur l’essentiel du territoire.

« Depuis les attaques, personne n’ose se rendre dans mon bar ou se réunir où que ce soit d’autre le long de cette rue », a dit Clément Tchinda à IRIN, devant son commerce du centre-ville de Maroua. « Les affaires ont plus que dégringolé et je ne sais pas quoi faire avec ce qui me reste de marchandises. »

La vague d’attentats-suicides a débuté le 12 juillet dans la ville de Fotokol, au nord de Maroua, à la frontière avec le Nigéria. Deux femmes dissimulant des explosifs sous leurs burqas ont ciblé un bar de l’armée et un camp militaire, faisant 14 victimes dont un soldat tchadien. Les autorités de la région de l’Extrême-Nord ont réagi quelques jours plus tard en interdisant le port du voile intégral, notamment la burqa, et en imposant aux musulmans de demander une autorisation avant tout rassemblement de grande ampleur.

Mais le 22 juillet, Maroua – la capitale de la région de l’Extrême-Nord, située à 100 km à l’intérieur du territoire camerounais – a été ciblée à son tour. Selon les informations disponibles, les auteurs des attaques seraient deux fillettes âgées de neuf ans seulement, habillées en mendiantes. La première explosion a frappé le marché central ; la seconde a ravagé un quartier résidentiel densément peuplé. Trois jours plus tard, samedi dernier, un autre kamikaze – il s’agirait d’une adolescente – s’est fait exploser dans un bar très fréquenté de la capitale.

Personne n’a revendiqué ces attaques, qui ont fait au moins 48 morts et de très nombreux blessés, mais beaucoup sont d’avis qu’il s’agit de représailles liées à l’engagement du Cameroun dans la force régionale de lutte contre Boko Haram. Depuis l’offensive commune lancée plus tôt cette année, les islamistes ont multiplié leurs attaques au Tchad et au Niger, les autres pays membres de la coalition dont les territoires jouxtent le bastion du groupe, situé dans le nord-est du Nigéria. Maroua abrite en outre le commandement des opérations de l’armée camerounaise contre les islamistes.

Mise en péril des moyens de subsistance

Depuis les dernières attaques à Maroua, le gouvernement a pris des mesures drastiques, bien déterminé à éviter que d’autres kamikazes s’infiltrent à l’intérieur du territoire camerounais et s’en prennent à des centres urbains tels que Yaoundé ou Douala, la capitale commerciale du pays. L’interdiction du port de la burqa – qui a été étendue de façon à inclure tous types de vêtements amples, tant pour les femmes que pour les hommes – a été décrétée dans l’essentiel du pays.

« Toute personne cherchant à dissimuler son identité sera considérée comme suspecte, et il est du devoir de chacun de signaler immédiatement de telles personnes et de s’en tenir à l’écart », a dit Donatien Bonyomo, une figure politique locale, lors de l’annonce d’une nouvelle série de mesures draconiennes dans le département central de Noun.

« Aucun individu non identifiable ne doit être vu dans les transports publics, sur une moto ou tout autre moyen de transport », a-t-il ajouté. « Les personnes désireuses de porter [la burqa] doivent rester chez elles. »

En dépit des controverses qu’elle soulève, de nombreux Camerounais – dans un pays où les musulmans, essentiellement concentrés dans la région de l’Extrême-Nord, représentent 20 pour cent de la population – se disent favorables à l’interdiction du port de la burqa.

« Si ça doit permettre de protéger la vie de personnes innocentes, alors [le port de la burqa] doit être interdit », a dit Alijah Moussa, un habitant de Maroua, à IRIN.

Un couvre-feu a été instauré de 20h à 6h dans le nord et les régions frontalières, où les horaires d’ouverture des commerces et des bureaux ont également été restreints de 6h à 18h. D’autres mesures ont été mises en place, notamment d’importantes restrictions de mouvement, des postes de contrôle le long des routes, la fouille arbitraire de personnes, de véhicules et de marchandises, et des contrôles d’identité aléatoires.

Malgré le climat de peur, nombre de Camerounais se plaignent non pas de la menace que représente Boko Haram, mais de la mise en péril de leurs moyens de subsistance.

« On m’a demandé de ne plus vendre dans la rue », a dit à IRIN Salif Bashir, un habitant de Maroua âgé de 16 ans.

Il vend habituellement des chargeurs de téléphone et autres gadgets aux passants durant les vacances scolaires afin de financer ses études.

« Je ne sais pas comment je vais bien pouvoir subvenir à mes besoins lorsque l’école reprendra en septembre. J’ai peur des attaques, mais je ne peux tout simplement pas rester à la maison. »

Ismael Sani, un chauffeur de camion effectuant du transport de marchandises entre le Cameroun et le Tchad, partage la colère de M. Bashir. « [Lorsque je passe la frontière], mon camion se fait arrêter en plusieurs endroits. Certaines de mes marchandises me sont confisquées et d’autres sont détruites parce que l’armée veut savoir ce que je transporte. »

Identifier l’ennemi

Le besoin soudain d’avoir des papiers d’identité a de fortes implications pour les migrants, les réfugiés et les Camerounais déplacés à l’intérieur de leur propre pays. D’après les autorités locales, on compte aujourd’hui pas moins de 74 000 réfugiés originaires du Nigéria rien que dans la région de l’Extrême-Nord. Des milliers d’autres Camerounais ont fui les violences secouant les zones frontalières et sont désormais déplacés à l’intérieur de leur propre pays. Les opérations camerounaises de contre-insurrection ont entraîné une nouvelle vague de déplacements. Toutes ces personnes ont besoin d’aide.

Faute d’être en mesure de présenter des documents d’identité, plus de 500 migrants et réfugiés originaires du Nigéria, du Tchad et du Niger – qui vivaient dans des villes frontalières au Cameroun – ont récemment été escortés vers des camps situés à la frontière nigériane.

« Ces mesures ne concernent que les sans-papiers », a dit Albert Mekondané Obonou, le préfet du département de Logone-et-Chari, situé dans la province de l’Extrême-Nord, à la pointe nord du Cameroun. « Nous voulons pouvoir identifier toutes les personnes vivant parmi nous, afin de mieux protéger notre territoire et notre peuple. »

Mais de nombreux Camerounais déplacés par les violences disent avoir fui Boko Haram sans leurs papiers. « J’espère que les autorités nous comprendront et qu’elles nous aideront à obtenir des papiers d’identité », a dit Moussa Dhubu à IRIN. Il espère ne pas être renvoyé vers la zone frontalière, où le danger guette, avec d’autres étrangers suspects.

De nombreux réfugiés sont confrontés à des problèmes analogues, car ils n’ont jamais été formellement enregistrés et ont fait le choix de vivre au sein de populations d’accueil ou comme éleveurs nomades plutôt que dans des camps.

« Les nouvelles mesures de sécurité signifient que de larges pans de la population vont souffrir de la faim et de la pauvreté dans cette région où bon nombre d’habitants vivent du petit commerce », a dit David Magulu, professeur à l’université de Maroua.

Bon nombre d’habitants de la province de l’Extrême-Nord sont peu instruits, et n’ont jamais jugé nécessaire de se faire faire des papiers d’identité. « Certains n’ont même pas de certificat de naissance », a fait remarquer M. Magalu.

« Comment ces personnes, qui vivent majoritairement du colportage, vont-elles survivre à ces mesures sans en être victimes ? »

Dans ce genre de situations, l’aide est cruciale. Mais la plupart des projets - y compris ceux autrefois gérés par les Nations Unies, la Banque mondiale, les Chinois ou encore des organismes religieux internationaux - ont été revus à la baisse ou abandonnés en raison de la situation sécuritaire.

Marthe Wandu, la porte-parole de l’ONG locale ADELPA, a dit que certains projets fondamentaux menés par les Nations Unies dans la région de l’Extrême-Nord – notamment celui visant à réduire les taux de mortalité et de morbidité prénatale et infantile liés au VIH/sida – « ont été ralentis par les menaces de Boko Haram ».

Les trois régions les plus gravement touchées de la pointe nord du pays, où de nombreux centres de santé ont fermé, sont inaccessibles.

Selon les Nations Unies, qui ont réévalué le niveau de risque de la région de 3 (modéré) l’année dernière à 5 (élevé) cette année, il est devenu difficile d’acheminer de l’aide aux communautés les plus nécessiteuses de la province de l’Extrême-Nord en raison des risques d’attaques et d’enlèvement. Les camions que le gouvernement loue pour approvisionner l’armée et les camps de PDIP de la région en nourriture exigent désormais une escorte armée. Le Cameroun paie au prix fort son engagement dans la lutte contre Boko Haram.

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