La théorie sur laquelle se fonde cette pratique intégrée à la plupart des programmes de démobilisation, désarmement et réintégration (DDR) est que des emplois peuvent être créés grâce à des formations et des apports financiers, que l’emploi réduit les risques de ré-enrôlement et qu’une fois armés d’un salaire, les anciens combattants retrouvent plus facilement une certaine stabilité et se réintègrent mieux dans la société.
Ces suppositions ont été testées dans une récente étude dont l’objet était de déterminer si l’emploi pouvait inciter les hommes à haut risque à respecter davantage les lois et à moins se rebeller au Liberia. Soixante-quatorze pour cent des hommes qui ont participé au programme de formation étudié avaient combattu dans la guerre civile qui a déchiré le Liberia pendant 14 ans. L’étude a conclu que les formations et les incitations en espèces avaient favorisé les emplois réguliers et qu’en conséquence, les hommes avaient résisté aux tentatives d’enrôlement de la part de mercenaires qui tentaient de les recruter lors d’un conflit voisin. Mais rien ne prouvait que l’emploi ait facilité leur réintégration dans la société : ils demeuraient violents et continuaient à se comporter de manière antisociale.
L’organisation non gouvernementale (ONG) Action on Armed Violence (AOAV) travaille avec d’anciens combattants et d’autres jeunes hommes en difficulté, souvent impliqués dans des activités minières ou d’exploitation forestière illégales dans des zones sensibles reculées. L’ONG leur offre une formation et du matériel agricoles. Ce programme générateur de revenus a donné aux chercheurs – Christopher Blattman de l’université Columbia et Jeannie Annan, du Comité international de secours – une occasion selon eux unique d’étudier la réinsertion par l’emploi.
D’après leur étude, même les hommes les plus à risque étaient « extrêmement intéressés par l’agriculture » après la formation d’AOAV. Mais même s’ils passaient 20 pour cent de temps en plus à leurs activités agricoles, ils n’abandonnaient pas leurs activités illégales. Ils adaptaient plutôt leurs différentes activités et gagnaient tout juste 12 dollars de plus par mois. Le plus important est que ces hommes étaient à 24 pour cent moins favorables aux tentatives d’enrôlement faites par les mercenaires lorsque la guerre a éclaté en Côte d’Ivoire en 2011 et qu’aucun n’est parti combattre.
Les résultats de l’étude ont été publiés dans le Social Science Research Network.
Les programmes de DDR par l’emploi ont généralement un faible taux de réussite. L’objectif premier est souvent d’obtenir la signature d’un accord de paix et non une réinsertion économique durable. Cette déficience a été observée de la République centrafricaine à la République démocratique du Congo.
L’étude indique que le fait que la plupart des programmes de DDR privilégient un seul type d’activité ne reflète pas la réalité, qui veut que les personnes défavorisées multiplient les sources de revenus pour limiter les risques. Les capitaux en liquide sont par ailleurs essentiels. Le programme d’AOAV a montré, presque par hasard, le pouvoir des incitations en espèces. En raison d’un problème d’approvisionnement, près d’un tiers des hommes qui attendaient leur deuxième livraison de matériel agricole se sont vu dire qu’ils recevraient des espèces à la place, à condition qu’ils ne participent pas à des activités minières ou de mercenariat. Cette incitation financière a eu des effets positifs.
« Cela peut avoir des conséquences sur les politiques mises en place en ce que les transferts ponctuels ne suffisent pas à prévenir les activités criminelles ou de mercenariat. Les incitations continues, telles que les programmes de travail contre rémunération ou autres transferts conditionnels, pourraient être des compléments importants », a remarqué l’étude.
Malgré le succès économique relatif de ces hommes, le programme a eu « peu d’effet sur les agressions, sur la participation à la vie locale et à la politique ou sur les attitudes vis-à-vis de la violence et de la démocratie ». Autrement dit, peu de progrès ont été observés en matière d’intégration sociale. En outre, même si l’intervention d’AOAV a eu un impact positif, 12 dollars de plus par mois représentent un faible retour sur investissement.
« Le rapport coût-efficacité repose donc sur le rendement social difficile à quantifier de la baisse du crime et de la violence », a indiqué l’étude. Dans un pays fragile sortant d’un conflit, le jeu en vaut sans doute la chandelle.
Pour en savoir plus :
• Un difficile retour à la vie civile pour les filles soldats
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