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Boko Haram et l’avenir du Nigeria – Réponses à cinq questions clés

Civilian JTF roadblock in Maiduguri Obinna Anyadike/IRIN

Les mauvaises nouvelles se succèdent dans le nord-est du Nigeria. Dimanche [11 janvier], deux enfants soupçonnés d’être les responsables d’attentats-suicides se seraient fait exploser sur un marché bondé – cette attaque, la seconde commise en deux jours, est liée à Boko Haram et aurait été perpétrée par des jeunes filles bardées d’explosifs. Entretemps, le groupe islamique extrémiste a poursuivi ses attaques plus traditionnelles : la semaine dernière, il s’est emparé de Baga, une ville située à la frontière avec le Tchad et a exécuté des civils (les premiers rapports d’Amnesty International faisaient état d’environ 2 000 victimes, mais ils ont été contestés par l’armée. Les chiffres exacts sont inconnus).

IRIN répond à cinq questions clés, alors que le Nigeria se lance dans une campagne électorale sur fond de violences persistantes.

Les dernières attaques indiquent-elles un changement de stratégie de la part de Boko Haram ?

Non, car l’utilisation de jeunes filles pour des attaques-suicides n’est pas un phénomène nouveau. En décembre, une fille de 13 ans qui portait une veste d’explosifs est entrée dans un marché de Kano, une ville située dans le nord du pays, mais elle n’a pas fait détoner ses explosifs. Le père de l’adolescente, qui est un membre de Boko Haram, lui avait ordonné de porter la veste. Au même moment, deux autres adolescentes choisies par Boko Haram accomplissaient leur mission : l’explosion a fait six victimes, parmi lesquelles les kamikazes.

L’incapacité de l’armée à protéger le territoire n’est pas nouvelle non plus. Boko Haram a proclamé la création d’un califat dans le territoire dont il s’était emparé en août 2014, notamment dans 10 villes majeures des Etats d’Adamawa, de Borno et de Yobe. Boko Haram contrôle 13 des 27 zones de gouvernement local de l’Etat de Borno et deux zones de gouvernement local des Etats d’Adamawa et de Yobe, mais la situation reste très fluide. En général, l’armée a répondu en silence ou avec fanfaronnade. Le mot-clé tendance #JeSuisBaga offrait un commentaire poignant sur la réaction très médiatisée du gouvernement français (et du monde, y compris des autorités nigérianes) aux attaques contre Charlie Hebdo à Paris et le silence d’Abuja sur la tragédie survenue à Baga. Boko Haram semble avoir décidé d’infliger un châtiment particulier à la ville dont il s’est emparé le 7 janvier. Cela est peut-être dû à la résistance affichée par le groupe d’autodéfense appelé « force opérationnelle interarmées civile (Civilian JTF) » qui aurait activement participé aux combats pour tenir la ville lorsque la base militaire a été conquise le 3 janvier. L’ironie est que l’armée nigériane a elle aussi saccagé Baga et tué 183 personnes lors d’un raid de représailles mené en 2013, d’après Human Rights Watch. Cela s’est produit durant une phase antérieure de la guerre, lorsque la campagne ‘gagner le cœur et l’esprit’ lancée par le gouvernement se réduisait à une stratégie contre-productive qui alimentait l’insurrection, une brutale stratégie de choc et stupeur qui ciblait des communautés entières et ne faisait pas de distinction entre les civils et les combattants.

Quelles sont les conditions de vie dans la zone contrôlée par Boko Haram ?

Il y a peu d’informations précises. En général, les populations prennent la fuite à l’arrivée de Boko Haram ; et le groupe salafiste n’est pas très accueillant envers les journalistes. Selon les rapports, les militants du groupe appliquent, comme promis, une version stricte de la charia, en pratiquant notamment des amputations. Des rapports indiquent également que les combattants de Boko Haram ont fait des mariages forcés. Les déplacements sont contrôlés, l’utilisation de véhicules est interdite, apparemment pour empêcher les populations de s’échapper. Le resserrement des marchés locaux lié à la fermeture des réseaux de transport a été exacerbé par la mise en place d’un mécanisme de contrôle des prix. Les marchandises de certains commerçants ont été « libérées » puis distribuées. Certains indices donnent à croire que Boko Haram n’a pas suffisamment d’hommes pour contrôler ses villes efficacement, et l’occupation peut se limiter à quelques barrages routiers, sans véritable tentative de former un gouvernement alternatif. Ainsi, la vie suit son cours presque normalement pour les fermiers traditionnels, par exemple.

Pourquoi les résultats de l’armée sont-ils si mauvais ?

Le Nigeria vient de montrer que les dépenses militaires ne suffisent pas à acheter la sécurité. Le budget 2014 de la défense s’élevait à 2,1 milliards de dollars et l’enveloppe totale consacrée à la sécurité atteignait 5,8 milliards de dollars – le poste le plus important du budget du gouvernement. Et pourtant, l’excuse habituellement donnée est que la puissance de feu de l’armée est inférieure à celle de Boko Haram, malgré les hélicoptères de combat, les avions d’attaque au sol et les drones de surveillance inscrits à l’inventaire officiel. Le rapport récemment rédigé par une cour martiale est plus représentatif de la réalité sur le terrain : dans ce rapport, les soldats se plaignaient de n’avoir que 60 munitions et de devoir se rendre sur le front par leurs propres moyens dans un camion-benne. Ils avaient cinq mois de salaire en retard.

La corruption serait le principal ennemi, car l’argent et le carburant destinés aux troupes seraient détournés par les officiers. L’incapacité répétée de détruire les munitions et les équipements avant de perdre les positions au profit de Boko Haram est un autre facteur, tout comme – malheureusement, étant donné l’expérience du Nigeria en matière de maintien de la paix – l’incompétence militaire. Lorsque les troupes sont correctement dirigées et équipées, elles gagnent leurs batailles. Mais plusieurs rapports montrent que l’armée est incapable d’utiliser les renseignements fiables fournis par ses alliés. Et le gouvernement a dépensé des fortunes dans des contrats de défense opaques, de nouveaux hélicoptères de combat, des véhicules blindés résistants aux mines et peut-être même une flotte d’avions de lutte antiguérilla neufs et jamais utilisés par une autre force aérienne.

Quelles sont les retombées humanitaires ?

Le gouvernement indique que les combats ont déplacé 1,5 million de personnes à l’intérieur du pays. Des interrogations demeurent sur la méthodologie utilisée par l’Agence nationale de gestion des urgences qui a fourni ce chiffre, mais les Nations Unies le reprennent. D’après le Centre de suivi des déplacements internes, en général, les Nigérians fuient vers les Etats voisins de Bauchi, Gombe et Taraba ainsi que vers le centre et la ceinture centrale du pays. Ces zones sont dans une moindre mesure également affectées par les violences et « une compétition croissante pour les ressources entre les PDIP [personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays] et les communautés hôtes dans les points chauds ».

L’aggravation de la sécurité alimentaire dans une région qui a déjà quelques-uns des plus mauvais indicateurs de situation nutritionnelle et de mortalité du pays est une autre cause d’inquiétude. Suite aux bouleversements sur les marchés locaux et à la baisse des revenus agricoles, le Réseau de systèmes d’alerte précoce contre la famine (FEWSNET) a indiqué que « en l’absence d’une assistance humanitaire correctement ciblée, jusqu’à trois millions de personnes ne pourront pas satisfaire leurs besoins alimentaires de base d’ici à juillet 2015 ».

Que réserve l’avenir ?

Tous ces évènements auront un impact sur les élections déjà explosives et très polarisées du 14 février. L’entourage du président Goodluck Jonathan, qui est originaire du sud du pays, dit depuis longtemps que Boko Haram est une conspiration fomentée par les représentants politiques du Nord pour torpiller son mandat. Les électeurs du Nord, qui voteront en grand nombre pour son rival Muhammadu Buhari, pensent quant à eux que Boko Haram a été créé par le gouvernement pour déstabiliser leur région.

La Commission électorale nationale indépendante dit que, dans le Nord-Est, 80 pour cent des personnes en âge de voter ont leur carte d’électeur officielle – un résultat presque incroyable étant donné le niveau d’insécurité dans la région. Mais il y a des réserves sur la manière dont les élections peuvent être organisées conformément aux lois électorales actuelles dans les zones touchées par le conflit. Au vu de la terrible histoire des élections et des éternelles violences qui les entourent au Nigeria, il semble peu probable que le scrutin se déroule dans le calme ou que l’un des deux camps accepte la défaite avec grâce et sang-froid. Quel que soit le vainqueur, il risque d’y avoir des troubles et des manifestations sanglantes, et seul Boko Haram en tirera profit. Mais le point positif est que la population et les représentants politiques prennent de plus en plus conscience de la nécessité du changement. Et si la sagesse l’emporte, la démocratie nigériane sortira renforcée de ces élections et portera un coup plus efficace à l’extrémisme.

oa/rh/ha-mg/amz

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