The Global Slavery Index classe la Mauritanie en tête des pays esclavagistes, avec 155 600 personnes vivant toujours en situation d’esclavage, soit environ quatre pour cent de la population.
L’indice définit l’esclavage comme le fait pour une personne d’appartenir à une autre, ce qui peut inclure des pratiques telles que la servitude pour dettes, le mariage forcé et l’esclavage héréditaire.
Plusieurs militants chevronnés ont été arrêtés le 11 novembre près de la ville mauritanienne de Rosso, non loin de la frontière sénégalaise. Ils sillonnaient la vallée du fleuve Sénégal en organisant des réunions publiques et des rassemblements pour sensibiliser la population à la nécessité d’une réforme agraire en faveur des anciens esclaves. Les descendants d’esclaves sont en effet souvent victimes de discrimination et ont du mal à avoir accès à des terres.
La vallée du fleuve Sénégal compte parmi les meilleures et les seules terres agricoles de Mauritanie, car le désert du Sahara recouvre près des trois quarts du pays.
Biram Dah Abeid fait partie des neuf militants arrêtés. Il est le président de l’Initiative de résurgence du mouvement abolitionniste (IRA) et s’était présenté à la dernière élection présidentielle.
M. Abeid et son organisation ne taisaient pas les liens entre l’héritage de l’esclavage et la pauvreté en Mauritanie.
« Les esclavagistes mauritaniens ont des biens qu’ils doivent presque totalement au dur labeur des esclaves », avait dit M. Abeid à IRIN quelques jours avant son arrestation. « Toute leur richesse provenait du travail de ces esclaves. Les esclaves n’en reçoivent que des miettes. »
Servitude et discrimination
La population mauritanienne est divisée en trois catégories : le groupe arabo-berbère, qui compose la classe dirigeante, les Maures noirs, ou haratines, qui sont les esclaves d’hier et d’aujourd’hui, et d’autres groupes d’Afrique subsaharienne. Bien que minoritaire, le groupe arabo-berbère domine la classe politique et la vie économique du pays. À l’inverse, les Maures noirs et les groupes d’Afrique subsaharienne, qui représentent plus de 70 pour cent de la population, ont des difficultés à trouver du travail.
Cette situation persiste malgré la loi de 2007 qui a érigé l’esclavage en crime.
Aichetou Mbareck était esclave. Elle ne sait pas quel âge elle a, mais sa petite soeur pense qu’elle doit être proche de la quarantaine. Elle a été libérée à Rosso il y a seulement quatre ans. « Mes anciens maîtres me battaient souvent », a dit Mme Mbareck à IRIN, « avec un bâton, un câble électrique ou tout ce qui leur tombait sous la main ». Elle a dit que sa petite soeur l’avait aidée à fuir. « Elle est revenue me chercher après s’être elle-même échappée. Je ne sais pas si j’aurais eu le courage de partir toute seule, sans son aide », a-t-elle avoué.
D’après The Global Slavery Index, le gouvernement n’a jamais réellement fait appliquer ses propres lois contre l’esclavage, ce qui perpétue l’impunité. Seule une personne a déjà été condamnée pour esclavagisme, lors d’un procès jugé en 2011, mais le coupable a fait moins d’un an de prison.
Selon Boubacar Ould Messaoud, président de SOS-Esclaves, la première organisation de lutte contre l’esclavage de Mauritanie, le gouvernement nie l’existence de l’esclavage. « Nous avons remarqué que les juges requalifient systématiquement les cas avérés d’esclavage que nous leur présentons comme des formes justifiées de travail non payé, » a-t-il dit à IRIN.
M. Messaoud et ses collègues militants contre l’esclavage sont inquiets. « La vague d’arrestations de militants des droits de l’homme nous préoccupe et nous appelons à ce que cette campagne de répression cesse immédiatement », a-t-il dit.
Accès à la terre
La réforme agraire pour laquelle M. Abeid et les autres militants faisaient campagne est la dernière offensive de la lutte contre les inégalités créées par l’esclavage.
« En théorie, toutes les terres appartiennent à l’État », a expliqué Bilal Ould Merzeg, ancien ambassadeur et membre fondateur du mouvement politique El Hor, créé en 1970 pour défendre les droits des Maures noirs. « Mais, même à l’échelle nationale, la distribution des terres suit des réflexes féodaux et les terres sont distribuées aux puissants. »
Isselmou Ould Abdelkader, ancien ministre des Affaires étrangères et consultant en droits de l’homme, n’est pas du même avis. « Les terres appartiennent aux tribus », a-t-il dit à IRIN. « Tout le monde y a accès ». Selon lui, le « mode de production esclavagiste » n’existe plus depuis des années. Mais, a-t-il ajouté, il est commun qu’il soit demandé à certains membres de la société – qu’il préfère appeler des cerfs plutôt que des esclaves – de payer un impôt à leurs maîtres, anciens ou non, après la saison agricole.
Que l’on parle de cerfs ou d’esclaves, selon Abdoulaye Sow, professeur de sociologie à l’université de Nouakchott, le problème est le système hiérarchique profondément ancré dans le pays. Une réforme agraire en faveur des esclaves ou anciens esclaves « ébranlerait les fondements de la société mauritanienne, qui est profondément inégale », a-t-il dit.
Le gouvernement mauritanien continue de sévir contre les militants antiesclavagistes. Plusieurs membres de l’IRA ont été arrêtés dans une mosquée de Nouakchott en octobre. Et le 13 novembre, quelques jours après l’arrestation de M. Abeid, la police et la garde nationale ont réprimé avec violence une manifestation menée par des membres et des sympathisants de l’IRA sur le marché principal de Nouakchott.
D’après Mamadou Sarr, président du Forum national des droits de l’homme, l’administration du président Mohamed Ould Abdel Aziz réprime régulièrement les militants contre l’esclavage et les personnes faisant campagne contre la discrimination raciale en général. « Chaque manifestation pacifique a été accueillie par une répression policière extrêmement brutale », a dit M. Sarr à IRIN.
De nombreux Mauritaniens ne se laissent cependant pas intimider. « Ces répressions violentes incessantes sont inutiles », a dit Aliou Diarra, un étudiant à l’université de Nouakchott las des discriminations contre les Négro-Mauritaniens. « Nous avons vu le printemps arabe et nous avons vu ce qui s’est passé au Burkina Faso. Lorsque les demandes de la population, ou d’une grande majorité de la population, sont solides et légitimes, les autorités ne peuvent rien faire pour arrêter notre quête d’égalité. »
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