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Ebola et la 'tempête parfaite'

A government health worker in the MOH-led Kenema Ebola Treatment Centre in Sierra Leone attends to a victim. July 2014. Tommy Trenchard/IRIN
Les nouveaux chiffres de l'équipe de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) chargée de la réponse Ebola donnent à réfléchir. Si le nombre de cas continue d'augmenter au rythme actuel dans les trois pays les plus durement touchés, plus de 20 000 personnes auront été infectées en Afrique de l'Ouest d'ici début novembre. Et alors que certains affirmaient qu'il s'agissait possiblement d'une souche moins mortelle du virus - près de la moitié des personnes infectées ayant survécu -, les nouveaux chiffres font état d'un taux de létalité beaucoup plus élevé, avoisinant les 70 pour cent.

Les auteurs attribuent ces changements à l'accès à de meilleures données et au fait que les cas inclus sont des cas dont ils sont absolument certains - des cas dont le diagnostic est clair et pour lesquels ils connaissent l'issue, c'est-à-dire si le patient a survécu ou s'il est décédé. Et contrairement aux estimations précédentes, ces chiffres sont semblables dans l'ensemble des trois pays où l'épidémie est la plus grave - la Guinée, le Liberia et la Sierra Leone. Pour les patients hospitalisés, les taux de létalité sont un peu plus faibles et oscillent entre un peu plus de 61 pour cent en Sierra Leone et 67 pour cent au Liberia. On peut en conclure que l'hospitalisation fait une différence, mais peut-être pas autant qu'on l'aurait espéré.

Les taux de transmission varient cependant beaucoup d'un pays à l'autre. Dans les premiers jours de l'épidémie, la maladie se propageait particulièrement rapidement en Sierra Leone, chaque cas infectant 2,02 autres personnes. Ce taux a été considérablement réduit et est maintenant de 1,38. Le Liberia a lui aussi réussi à réduire un peu son taux de transmission, contrairement à la Guinée, où il a augmenté. En Guinée, le nombre de personnes infectées double tous les 16 jours, alors qu'il double tous les 24 jours au Liberia et tous les 30 jours en Sierra Leone.

Peter Piot et David Heymann, les deux hommes qui ont identifié pour la première fois le virus Ebola en 1976 dans ce qui est aujourd'hui la République démocratique du Congo (RDC), faisaient partie du groupe d'experts qui se sont réunis au Wellcome Trust à Londres cette semaine pour parler l'épidémie actuelle.

Selon M. Piot, le directeur de l'École d'hygiène et de médecine tropicale de Londres (London School of Hygiene and Tropical Medicine), l'ampleur de cette épidémie n'a rien à voir avec celle des épidémies précédentes. « Cela s'explique par ce que j'appelle une 'tempête parfaite', c'est-à-dire une combinaison de facteurs, notamment plusieurs décennies de guerre civile, plusieurs années d'une dictature corrompue entraînant une perte de confiance envers les autorités, des systèmes de santé dysfonctionnels, des croyances traditionnelles fortement ancrées en ce qui concerne la cause de la maladie et, le plus important à mon avis, la lenteur de la réponse. Trois mois se sont en effet écoulés entre le premier cas et l'identification du virus Ebola. Et il a fallu attendre encore cinq mois et 1 000 décès avant que l'OMS ne qualifie l'épidémie d'urgence de santé publique. »

Son collègue, David Heymann, professeur d'épidémiologie des maladies infectieuses à l'École d'hygiène et de médecine tropicale de Londres, a ajouté que les 25 épidémies survenues par le passé avaient été endiguées alors qu'elles sévissaient toujours dans les zones rurales.

« Les communautés sont mieux organisées ; on y parle une même langue, il y a des anciens, des chefs de village qui contribuent à maintenir l'ordre. Il est dès lors beaucoup plus facile et plus efficace d'endiguer une épidémie dans une zone rurale. Kikwit, le foyer de l'épidémie importante qui a sévi en RDC en 1995, n'était qu'à cinq heures de route de la capitale. En stoppant une épidémie alors qu'elle sévit encore dans les zones rurales, on s'évite les problèmes complexes de la ville, où il y a une rupture dans la gouvernance traditionnelle et toutes sortes d'obstacles liés à la présence de cultures et de langues différentes. »

Les participants à la réunion de Londres ont tous insisté sur la nécessité de mettre en place des mesures classiques de santé publique - recherche des sujets contacts, quarantaine, éducation en matière de santé - pour surveiller la propagation de la maladie. M. Heymann a dit qu'il appartenait aux gouvernements africains de trouver des moyens novateurs pour retracer les sujets contacts. Ils sont en effet les mieux placés pour savoir quelle est la meilleure manière d'atteindre leur population. M. Heymann a ajouté, en faisant référence au récent confinement général de trois jours en Sierra Leone : « Ils ont réussi à communiquer à plus de 70 pour cent des ménages du pays comment protéger les communautés de l'épidémie. Et cela semble s'être fait sans qu'il y ait de violences. Je pense que cela allait à l'encontre de la plupart des recommandations que le gouvernement avait reçues de la part de la communauté internationale, mais c'était peut-être, en fin de compte, ce qu'il croyait devoir faire, et c'est peut-être l'innovation qui fera la différence. »

Chris Whitty, conseiller scientifique en chef du Département britannique pour le développement international (DFID), a dit que la recherche de sujets contacts s'était résumée, jusqu'à présent, à la recherche active de cas. « Ce que nous devons faire maintenant, c'est passer à une approche plus passive de l'identification des cas dans laquelle nous inciterons les personnes qui présentent des symptômes à se manifester beaucoup plus tôt. Il est évident qu'il faut, pour que cela fonctionne, que ces personnes aient une possibilité réelle d'être mieux soignées que si elles restaient chez elles. Il est important de prévoir d'autres incitations, mais il ne faut pas non plus qu'il y en ait trop, sans quoi nous nous retrouverons avec des foules devant les centres, ce qui risquerait de favoriser la propagation de la maladie. Il faut inciter toutes les personnes qui présentent des symptômes à se manifester, procéder rapidement à des tests de dépistage et renvoyer chez elles celles qui n'ont pas Ebola. Cela peut sembler très facile, mais il est en réalité très difficile de faire les choses correctement. »

Des travailleurs de la santé continuent de contracter le virus

Il faut aussi réussir à soigner en toute sécurité les personnes atteintes d'Ebola. Il arrive encore que des travailleurs de la santé soient contaminés par le virus, y compris parmi les travailleurs internationaux ayant été formés dans les meilleurs établissements. Selon Jeremy Farrar, directeur du Wellcome Trust, même les meilleurs systèmes ne sont pas parfaits. « Il fait extrêmement chaud. Il est très difficile de travailler pendant des heures dans ces combinaisons. Les travailleurs de la santé ont peur. Ils ont probablement une famille qui les attend à la maison. Ils ont aussi peur que n'importe qui. Il est très difficile de respecter toutes les précautions. Et rappelez-vous que ce que vous voyez dans les journaux et à la télévision, ce sont les cliniques les plus 'aseptisées'. Si vous allez dans d'autres cliniques rurales d'Afrique de l'Ouest, il se peut très bien qu'il n'y ait pas d'équipements de protection individuels ; il se peut même qu'il n'y ait pas suffisamment de gants pour tout le monde. »

« Le moment critique, c'est lorsque vous enlevez la combinaison, avec la sueur et tout », a ajouté M. Piot. « Pourtant, la plupart des personnes infectées ne l'ont pas été dans les établissements qui s'occupent des patients atteints d'Ebola. Nombre d'entre elles ont été contaminées alors qu'elles aidaient des femmes à accoucher ou dans d'autres situations du genre et dans les services de santé réguliers où il n'y a pas de gants de protection. Les règles de MSF sont très sévères : vous pouvez travailler pendant 4 à 6 semaines seulement et on vous renvoie chez vous au moindre signe de fatigue ou de détresse, car une toute petite erreur peut être fatale. Il est cependant impossible d'appliquer ces règles à l'échelle d'un pays. »

Soyons clairs sur une chose : les recherches actuelles n'auront aucun effet sur la situation dans les mois à venir. Mais si l'épidémie se poursuit en 2015, ce qui risque fort d'arriver, et s'il y a d'autres épidémies, ce qui est inévitable en raison de l'existence d'un réservoir animal, alors cette épidémie d'Ebola sera la dernière que nous devrons endiguer sans disposer de vaccins et de médicaments pour traiter et prévenir l'infection.
Le défi actuel est de s'assurer que le personnel de santé se sent adéquatement soutenu et de persuader ceux qui ont quitté leur poste de retourner au travail. Le Royaume-Uni a demandé à des volontaires de son propre système de santé de se rendre en Sierra Leone. Douze lits seront réservés aux travailleurs de la santé infectés dans le centre qui sera prochainement construit près de Freetown par l'armée britannique et opéré par Save the Children. Sally Davies, conseillère principale du gouvernement britannique en matière de santé publique, a dit : « L'Afrique de l'Ouest a besoin de certains experts, mais elle n'a probablement pas besoin de beaucoup plus de médecins et d'infirmières. Elle doit surtout réussir à persuader ses propres travailleurs de la santé qu'ils sont en sécurité et qu'ils toucheront un salaire pour qu'ils regagnent leurs postes. »

Ebola moins contagieux que la rougeole

La bonne nouvelle, c'est qu'Ebola est moins contagieux que la rougeole, par exemple, car chaque patient en infecte seulement un ou deux autres. Le rapport de l'OMS souligne qu'il faut réduire d'un peu plus de la moitié le taux de transmission pour réussir à contrôler l'épidémie et finalement éliminer le virus chez l'homme. S'il existait un vaccin contre Ebola, cet objectif pourrait être atteint en mettant en place une couverture vaccinale supérieure à 50 pour cent.

Des travaux sont d'ailleurs en cours pour développer un tel vaccin. Il existe un vaccin expérimental, mais les études d'innocuité à petite échelle sur l'homme ont commencé la semaine dernière seulement aux États-Unis et à l'Université d'Oxford, au Royaume-Uni. Il ne sera pas prêt de sitôt, même si tous les essais sont concluants et que des mesures sont prises pour accélérer sa production. Lors de la réunion organisée à Londres, M. Farrar a dit : « Soyons clairs sur une chose : les recherches actuelles n'auront aucun effet sur la situation dans les mois à venir. Mais si l'épidémie se poursuit en 2015, ce qui risque fort d'arriver, et s'il y a d'autres épidémies, ce qui est inévitable en raison de l'existence d'un réservoir animal, alors cette épidémie d'Ebola sera la dernière que nous devrons endiguer sans disposer de vaccins et de médicaments pour traiter et prévenir l'infection. »

L'épidémie actuelle offre au moins l'occasion de tester de nouveaux traitements. Des efforts sont actuellement déployés en Afrique de l'Ouest pour identifier des sites appropriés pour la tenue d'essais cliniques et recueillir des données de base sur la progression normale de la maladie afin de permettre une évaluation. M. Farrar a ajouté qu'il fallait également déterminer les options à tester.

« Comme vous pouvez vous imaginer, l'OMS et nous tous avons reçu de nombreuses suggestions de traitement, des bains de sel à la chloroquine, et les suspects habituels, les stéroïdes et les statines, ont été évoqués. Ce qui importe, pour l'heure, c'est de faire preuve de bon sens et d'examiner ce qui a été proposé afin que les meilleures interventions puissent être testées précocement, que celles qui fonctionnent puissent être appliquées à grande échelle aussi rapidement que possible et - ce qui est très, très important - que celles qui ne fonctionnent pas ou qui sont dommageables puissent être cessées. »

Soigner Ebola avec le plasma sanguin

Un comité a été créé par l'OMS pour étudier les différentes options. L'une des pistes de recherche les plus prometteuses pourrait concerner non pas un médicament, mais le sang des convalescents, qui auraient développé des anticorps contre le virus. L'infirmière britannique qui s'est rétablie après avoir été transférée par avion à Londres pour y être soignée fait partie de ceux qui se sont portés volontaires pour donner du sang afin d'en tirer un plasma qui pourrait permettre d'aider d'autres personnes et qui a donc une certaine valeur. Mme Davies a admis : « Nous cherchons tous à trouver un patient convalescent pour voir si cela fonctionne. »

Mme Davies, hématologue de formation, a cependant précisé : « La plasmaphérèse [prélèvement du plasma sanguin] est une opération complexe. Les donneurs doivent être en santé, l'opération nécessite pas mal de matériel, la présence d'infirmières spécialistes et l'utilisation d'une technique aseptique. Son application dans les pays affectés serait problématique. » D'autres participants ont souligné que ce genre de traitement fonctionne pour certaines maladies, mais pas pour d'autres, et qu'il peut parfois empirer les choses.

MM. Heymann et Piot, qui ont utilisé cette technique au Zaïre en 1976, ont rapidement réagi à ces interventions. « La plasmaphérèse est possible dans un contexte rural », a dit M. Heymann. « Je suis resté là-bas pendant deux mois et demi après la fin de l'épidémie et j'ai prélevé chaque semaine le sang de 13 survivants. Je gardais le plasma et je leur réinjectais leurs globules rouges... Ce sérum a été utilisé pour la première fois au Royaume-Uni lorsqu'un assistant de laboratoire qui travaillait sur Ebola a été contaminé par le virus. À Kikwit [dans le sud-ouest de la RDC], par exemple, ils ont utilisé le sang total. Cela a été fait de manière ponctuelle ; il n'y a pas eu d'essais cliniques. La seule chose que ces expériences n'ont pas démontrée, c'est que c'est dangereux. À Kikwit, des patients ont reçu du sang total de survivants d'Ebola. Ils ne sont pas morts et le technicien en laboratoire n'est pas mort non plus. Le problème, c'est que les essais cliniques n'ont pas encore été faits et qu'ils doivent être faits. »

Le virus pourrait muter

Une autre série de statistiques tirée du nouveau rapport de l'OMS permet de faire la lumière sur un autre point : la nature de ce virus en particulier. À tous les égards - les personnes infectées, les temps d'incubation, les symptômes, le taux de létalité -, le virus qui a provoqué cette épidémie semble identique à des souches « Zaïre » rencontrées lors d'épidémies précédentes de la maladie.

Évidemment, le virus peut encore muter. « Certains signes laissent penser que le virus est en train de s'adapter », a dit Ben Neuman, virologue à l'Université de Reading. « En gros, plus il reste longtemps chez l'homme, plus il devient étrange. Il n'y a cependant aucune preuve que cette évolution est maléfique, qu'elle rend nécessairement le virus pire qu'il ne l'est. Dans les épidémies précédentes, notamment l'épidémie de H1N1, en 2009, le virus s'est plutôt adouci avec le temps en s'adaptant au corps humain, et c'est peut-être ce qui se produit dans ce cas aussi. »

Tous les experts se sont cependant entendus sur le fait que les hypothèses concernant le changement de mode de transmission du virus - qui deviendrait transmissible par l'air - étaient irresponsables et extrêmement improbables. M. Piot a fait une analogie avec le VIH. « Le VIH est transmis sexuellement chez les chimpanzés. Il n'est jamais devenu transmissible par l'air même s'il a contaminé des dizaines de millions de personnes. Ce serait un bond énorme et soudain dans l'architecture du virus. La véritable question qu'il faut se poser, à mon avis, c'est : deviendra-t-il endémique ou non ? En d'autres mots, continuera-t-il d'être transmis à faible niveau, contrairement à ce qui s'est produit lors des épidémies passées, où il a simplement disparu chez l'homme ? Cela, nous l'ignorons. »

eb/cb - gd/amz


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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