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L’avancée de l’EIIL aggrave la situation humanitaire dans le nord de l’Irak

Samira Said, 27, fled Tikrit with her 20-day old baby for an agricultural shelter area next to the Baharka camp 5km north of Erbil, the capital of the northern semi-autonomous Kurdish region of Iraq, after the militant group ISIS (Islamic State of Iraq an Louise Redvers/IRIN
Alors que les combats se multiplient entre les insurgés islamistes et les forces gouvernementales en Irak, les organisations humanitaires bataillent pour venir en aide aux centaines de milliers de personnes déplacées par les violences. Les politiques ambiguës du gouvernement, le manque de fonds et l’afflux d’acteurs humanitaires ne facilitent pas forcément la tâche.

À Erbil, capitale de la région semi-autonome du Kurdistan, au nord du pays, les hôtels sont encombrés de familles, certaines dormant jusqu’à dix dans une seule chambre. Celles qui n’ont pas le luxe de disposer d’économies dorment dans des parcs, des bâtiments en construction, des mosquées ou des églises.

Le Gouvernement régional du Kurdistan (GRK) a mis sur pied, avec l’aide d’organisations humanitaires, plusieurs camps de tentes près des postes de contrôle qui ponctuent la frontière entre le Kurdistan et le reste de l’Irak. Jusqu’à présent, seulement quelques milliers de personnes s’y sont cependant arrêtées. La plupart préfèrent fuir la poussière et la chaleur du désert et poursuivre leur route jusqu’à une zone urbaine.

La confusion concernant les lieux et modes d’accueil des déplacés a été illustrée la semaine dernière dans une confrontation dont IRIN a été témoin, entre les services de sécurité kurdes, appelés Aysaish, et un groupe d’une centaine de personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays (PDIP) de la ville de Tikrit, dans la province de Salaheddine. Les membres du groupe, tous plus ou moins de la même famille, dormaient dans des parcs ou dans leur voiture autour d’Erbil, mais avaient été rassemblés par les Aysaish et emmenés dans un campement à 5 km de la ville.

Isolé, le camp de Baharka se trouve au milieu de champs vallonnés, près d’une ancienne exploitation agricole. Il avait initialement été créé en 2013 pour héberger des réfugiés syriens. Cette année, il a été rouvert pour aider les déplacés fuyant les affrontements dans la province irakienne d’Anbar, mais encore une fois, personne n’a souhaité y rester.

Le groupe de Tikrit a lui aussi refusé de rester. Ces déplacés ont dit qu’ils préféraient encore rentrer chez eux malgré les dangers plutôt que de s’y installer. Ils ont donc ramassé les matelas, couvertures et autres articles non alimentaires qui y avaient été déposés la veille par diverses organisations non gouvernementales (ONG) et agences des Nations Unies et sont partis.

Cet incident serait un évènement isolé, dû à une incompréhension, mais il souligne les tensions croissantes concernant la prise en charge des PDIP.

Les différentes strates de la crise

Selon les statistiques compilées conjointement par les Nations Unies et le ministère irakien des Migrations et des Déplacements et publiées le 24 juin, la recrudescence de la violence en Irak a fait plus de 1,2 million de déplacés depuis le mois de janvier.

Sur les 18 gouvernorats irakiens, 13 accueillent maintenant des PDIP. Près de la moitié est dispersée dans la province d’Anbar, dans l’ouest du pays, où les extrémistes de l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL) et d’autres mouvements combattent contre les forces gouvernementales depuis janvier, faisant entre 480 000 et 700 000 déplacés en six mois (les chiffres demeurent flous).

Depuis que l’EIIL et d’autres extrémistes ont pris le contrôle de Mossoul, la deuxième plus grande ville d’Irak, le 9 juin, une nouvelle vague de près de 500 000 PDIP est venue gonfler le nombre de déplacés.

« Cette crise est très inquiétante, car elle évolue très vite », a dit Sheri Ritsema-Anderson, spécialiste des affaires humanitaires du Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA) basée à Erbil. « Chaque jour, littéralement, de nouveaux combats éclatent et des personnes sont déplacées. »

Le GRK hébergeait déjà plus de 220 000 réfugiés syriens.

« Il y avait déjà une strate de réfugiés et maintenant les déplacés constituent une nouvelle strate », a dit Mme Ritsema-Anderson. « Il existe plusieurs strates de PDIP ici en Irak, dont certaines remontent à dix ans, voire plus. Elles sont réparties dans tout le pays et sont extrêmement complexes. »

Dans un hôtel à moitié construit ouvert sur le devant, à l’ombre de l’ancienne citadelle d’Erbil, des hommes vêtus de blanc sont assis en tailleur sur une couverture étendue entre des sacs de ciment et des barres d’échafaudage.

Des câbles pendent des murs en briques grises nues et les fumées de gazole s’échappant d’un générateur posé sur le trottoir emplissent l’air dont la température avoisine les 40 degrés Celsius.

Au sous-sol, dans une cave au plafond bas, des femmes voilées se blottissent dans un coin sombre. Deux d’entre elles au moins sont enceintes et plusieurs serrent dans leurs bras des bébés ou de jeunes enfants qui se tortillent sous le poids de la chaleur, les yeux rougis par la poussière. Ils n’ont quasiment pas quitté cette pièce depuis des jours et dépendent des passants pour manger et boire.

Ce groupe de 45 personnes au total a dit avoir fui Tikrit la semaine précédente, lorsque des extrémistes de l’EIIL ont pris la ville d’assaut, déclenchant une vague de bombardements de la part des forces de sécurité irakiennes, suivie par l’intensification de la mobilisation des milices sunnites et chiites dans tout le pays.

« Nous avons tout laissé derrière nous, nous sommes juste montés en voiture et avons commencé à rouler », a expliqué Abu Waleed*, qui s’est présenté comme le porte-parole du groupe. « Nous devions partir. Ils attaquaient les civils et des bombes tombaient sur les maisons autour de nous. » (Lire le récit complet d’Abu Waleed)

« Mais maintenant que nous sommes ici, nous n’avons rien. Regardez où nous vivons ! Et même si c’est dangereux, je crois que nous devons rentrer chez nous, car nous ne pouvons pas rester beaucoup plus longtemps ici dans ces conditions. »

Parachutage de personnel humanitaire

Les agences des Nations Unies et les ONG distribuent de grandes quantités d’aide alimentaire, de tentes, de couvertures et de matelas à la population dans tout le Kurdistan et dans certaines zones de la province de Nineveh, à laquelle appartient Mossoul. Dans les camps, elles construisent des latrines et des réservoirs d’eau et offrent des soins de santé aux personnes blessées par les bombes, aux femmes enceintes et aux personnes touchées par des maladies chroniques.

La vitesse et l’ampleur des déplacements a cependant mis à l’épreuve la logistique et la mobilisation. Selon plusieurs personnes avec lesquelles IRIN s’est entretenu, les efforts ont été freinés par des doublons dans les distributions et par le manque de coordination.

Khazair, par exemple, qui est le principal camp à la frontière entre les provinces d’Erbil et de Nineveh, est en train d’être déplacé avec plus de 1 000 PDIP. Or, les travaux de préparation du nouveau site prendront plusieurs semaines et, pendant ce temps, le camp actuel ne fera l’objet d’aucune amélioration en matière d’assainissement ou autre, pourtant nécessaire. (En savoir plus sur les camps de transit)

Un travailleur humanitaire européen basé en Irak depuis près de trois ans a déclaré en plaisantant que c’était l’afflux de personnel humanitaire au Kurdistan – et non l’afflux de PDIP – qui posait des problèmes.

La semaine dernière, plusieurs dizaines de fonctionnaires des Nations Unies ont été réaffectés de Bagdad à Erbil pour des raisons de sécurité. Un certain nombre d’ONG internationales ont également renforcé leur présence au Kurdistan.

« De nombreuses personnes ont été parachutées ici ces dernières semaines. Cela crée la confusion et ne facilite pas [l’aide]", a dit le travailleur humanitaire. « Nous avons observé des doublons dans les distributions tandis que l’aide n’atteint pas certains secteurs. Je ne pense pas qu’en tant que communauté humanitaire nous ayons été aussi efficaces que nous aurions dû ou pu l’être. »

Statut ambigu

Contrairement aux réfugiés syriens, qui sont enregistrés dans une base de données centrale et sont autorisés à travailler, le statut juridique des PDIP nouvellement arrivées est moins clair, même si ce sont des citoyens irakiens.

« De nombreuses personnes ont été parachutées ici ces dernières semaines. Cela crée la confusion et ne facilite pas [l’aide]. Nous avons observé des doublons dans les distributions tandis que l’aide n’atteint pas certains secteurs. Je ne pense pas qu’en tant que communauté humanitaire nous ayons été aussi efficaces que nous aurions dû ou pu l’être »
Le GRK gère sa frontière avec le reste de l’Irak avec beaucoup de prudence et tous les Irakiens non kurdes sont soumis à des contrôles de sécurité stricts avant d’être autorisés à entrer sur le territoire kurde.

En l’absence de parrain kurde ou d’autres conditions similaires exigibles pour des raisons de sécurité, l’entrée au Kurdistan n’est pas toujours autorisée. Ceux qui obtiennent un droit d’entrée reçoivent soit un visa de touriste, soit un permis de résidence temporaire.

Ceux-ci ont une durée de 7 à 20 jours et il n’existe pas de règle fixe déterminant où et quand ils peuvent être renouvelés. Les travailleurs humanitaires ont fait appel à une clarification de ces formalités.

« Ils sont censés retourner au poste-frontière par lequel ils sont entrés, mais en raison de leurs ressources limitées et d’autres difficultés, de nombreuses familles ne peuvent pas se permettre de faire le voyage », a dit Jahangir Durrani, chargé de protection pour le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR).

Une source appartenant à la communauté humanitaire a dit à IRIN qu’un certain nombre de PDIP qui étaient revenues à un poste-frontière n’avaient pas pu renouveler leur permis et avaient été renvoyées du Kurdistan vers des régions où des combats avaient encore lieu.

L’accès humanitaire à certaines zones des provinces de Nineveh, Salaheddine et Kirkuk est extrêmement limité. Ceux qui rentrent chez eux dans ces régions sont confrontés à des pénuries alimentaires, d’eau, de carburant et d’électricité et à des services de santé limités.

La sécurité est relativement élevée au Kurdistan, comparée à celle du reste de l’Irak. Personne ne reproche donc au GRK de vouloir contrôler ses portes d’entrée pour éviter d’éventuels dangers. Pourtant, cette position politique sévère fait elle aussi des victimes.

« Le GRK a clairement durci les conditions d’accès », a dit un employé des Nations Unies qui a souhaité garder l’anonymat. « Il paraît que 70 pour cent des personnes venues au Kurdistan ces dernières semaines sont rentrées chez elles parce qu’elles n’ont pas les moyens de rester ici, mais à dire vrai, nous ignorons le chiffre réel. »

« Les autorités ont tendance à penser que si certaines personnes sont rentrées, cela signifie que ce ne doit plus être dangereux, et c’est inquiétant, car à cause de cette attitude, des personnes dans le besoin pourraient se voir refuser l’entrée », a ajouté l’employé des Nations Unies.

Selon Dindar Zebari, adjoint au ministre des Affaires étrangères du GRK, qui dirige l’intervention du gouvernement auprès des PDIP, il revient aux services de sécurité du Kurdistan de contrôler ses frontières et il est trop tôt pour établir une politique en matière de PDIP.

« Avec autant de PDIP, des défis importants nous attendent et il est difficile de prendre des décisions dès maintenant. Il faut que ces dernières restent en cohérence avec les mesures de sécurité en place et nous devons décider de quelles sont les meilleures pratiques. Franchement, je ne sais pas », a-t-il dit à IRIN lors d’une interview dans son bureau à Erbil.

Personne ne sait vraiment combien de personnes exactement ont été déplacées depuis que l’EIIL a fait irruption dans la ville de Mossoul, au nord du pays et, plus largement, dans la province de Nineveh.

En l’absence de base de données d’enregistrement officielle, les agences des Nations Unies ont créé un outil de cartographie en ligne pour tenter de suivre les déplacements des familles et de mettre en évidence leurs besoins en matière de protection afin de pouvoir intervenir de manière plus efficace.

Des réunions étaient prévues cette semaine pour analyser un éventuel système d’enregistrement des PDIP et clarifier la question du renouvellement des permis de séjour.

Manque de fonds

Les difficultés du GRK sont également financières. Les dépenses sont gelées jusqu’à ce que le budget irakien pour 2014 soit adopté par le Parlement, ce qui ne se produira pas tant qu’un nouveau gouvernement ne sera pas formé. Étant donné le niveau de détérioration de la situation sécuritaire et les pressions en faveur d’un changement de direction, cela pourrait prendre plusieurs semaines, voire plusieurs mois.

« C’est un gros problème pour nous », a dit M. Zebari en soupirant. « Nous sommes très peu soutenus par le gouvernement fédéral, même si ces personnes sont des citoyens irakiens. »

« Cela fait cinq mois que nous n’avons pas pu payer les salaires des fonctionnaires au Kurdistan et maintenant nous devons trouver des fonds pour construire des camps et aider ces gens », a ajouté l’adjoint au ministre. « Il est urgent que nous recevions de l’aide de la communauté internationale. »

Il devient cependant difficile d’obtenir des financements des bailleurs de fonds pour l’Irak. Les troubles qui secouent le pays depuis plus de dix ans et semblent ne pas vouloir cesser et les réserves de pétroles qui portent à croire que le gouvernement est bien assez riche n’incitent pas les donateurs à mettre la main à la poche.

En mars, la Mission d’assistance des Nations Unies pour l’Irak (UNAMI) a lancé un appel de 103 millions de dollars pour venir en aide aux personnes déplacées d’Anbar. Trois mois plus tard, à peine dix pour cent de ce montant ont été collectés. Les fonctionnaires des Nations Unies ont averti la communauté internationale que les programmes risquaient d’être compromis si des fonds n’étaient pas réunis rapidement. Cette semaine, l’appel a été porté à 312 millions de dollars pour prendre en compte l’escalade de la situation dans l’ensemble du pays et le nombre croissant de PDIP.

Si l’offensive de l’EIIL (et la contre-attaque des forces de sécurités irakiennes) a été le déclencheur de l’exode de masse provenant de Fallujah et Ramadi en janvier, l’avancée du groupe djihadiste dans le centre de l’Irak a reçu bien plus d’attention de la part des médias que ses activités à Anbar.

Mme Ritsema-Anderson, d’OCHA, a dit qu’elle espérait que cette plus grande visibilité génère davantage d’intérêt de la part des bailleurs de fonds et permette de réunir plus de financements pour intervenir.

« Si nous n’obtenons pas plus de fonds rapidement, nous n’allons pas pouvoir suivre le rythme des besoins, ce qui risque d’aggraver la situation », a-t-elle dit. « Nous devons mettre en place des systèmes de base et renforcer toutes les fondations pour ne pas être réduits à éteindre le feu. »

*nom fictif

lr/ha/cb-ld/amz

This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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