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Le gouvernement syrien renforce les restrictions à l’accès à l’aide médicale

A make-shift camp for displaced people in Qah, in opposition-controlled northern Syria Jodi Hilton/IRIN
Au cours de ces derniers mois, le gouvernement syrien a renforcé les restrictions relatives à l’acheminement des fournitures médicales dans les zones contrôlées par l’opposition, ont dit à IRIN plusieurs travailleurs humanitaires. Il refuse d’autoriser l’acheminement de fournitures médicales ; s’empare des fournitures médicales transportées par les camions des convois humanitaires ; et impose des négociations au cas par cas pour l’acheminement des kits chirurgicaux.

Ces restrictions viennent s’ajouter aux contraintes pesant sur l’acheminement de l’aide médicale, comme les détournements de convois humanitaires attribués aux groupes d’opposition armés et aux éléments criminels.

« [Les acheminements] étaient quasiment à l’arrêt à la fin du deuxième trimestre 2013 », a dit à IRIN Elizabeth Hoff, représentante de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en Syrie.

L’OMS est parvenue à envoyer « un nombre substantiel » de kits médicaux d’urgence au cours des trois premiers mois de l’année (une quantité suffisante pour soigner 914 000 personnes), mais le nombre de personnes ayant bénéficié de ces kits est tombé à 270 500 entre avril et juin, car l’agence des Nations Unies n’a pas réussi à obtenir les autorisations nécessaires délivrées par le gouvernement. L’OMS a été confrontée à des difficultés similaires concernant l’envoi de médicaments et de fournitures médicales, notamment de ventilateurs, de défibrillateurs et d’incubateurs.

Les travailleurs humanitaires indiquent que le gouvernement craint que les fournitures médicales servent à soigner les rebelles blessés. Conformément au droit humanitaire international, les parties à un conflit doivent permettre le libre passage des fournitures médicales pour les civils, quand bien même ils soutiendraient l’ennemi. Cependant, l’obligation faite à chaque partie de permettre l’accès ne s’applique que dans la mesure où les produits transportés ne seront pas détournés de leur destination ; que les marchandises seront contrôlées ; et que les efforts militaires ou l’économie du camp adverse ne bénéficieront pas d’un avantage certain suite à la distribution de l’aide.

« Le ministère de la Santé a adopté une restriction explicite selon laquelle aucun équipement chirurgical ou aucun équipement pouvant servir à l’opposition ne doit être introduit dans ces zones », a dit Laila Baker, responsable du Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA) en Syrie, qui offre une aide aux femmes qui souffrent de problèmes de santé reproductive. « Nous n’envoyons pas d’aide médicale aux groupes armés. Pour nous, un civil est un civil ».

Dans un rapport de juillet destiné aux bailleurs de fonds, l’OMS a indiqué que : « L’acheminement de médicaments et de fournitures médicales essentiels vers les personnes qui en ont le plus besoin dans les zones contrôlées par le gouvernement ou par l’opposition a été sérieusement retardé au cours de ces deux derniers mois. D’autres produits médicaux essentiels, transportés par un convoi inter-agences, n’ont pu atteindre les zones affectées, ce qui a compromis la disponibilité des soins de santé pour le contrôle des traumatismes et des maladies ».

Si une nette amélioration a été constatée au mois de juillet concernant la délivrance des autorisations, selon Mme Hoff, l’acheminement des fournitures chirurgicales reste un problème.

Dégradation des services de santé

Après plus de deux ans de conflit entre les forces gouvernementales et l’opposition armée, le système de santé syrien s’est détérioré. Des hôpitaux ont été détruits, des membres du personnel médical ont fui le pays et de nombreux médicaments ne sont plus disponibles ou ont atteint des prix prohibitifs. En conséquence, bon nombre de personnes dépendent de l’aide. De plus, l’OMS estime que près de 500 000 Syriens – civils et combattants – sont blessés.

L’accès aux soins s’est détérioré plus rapidement dans les zones contrôlées par l’opposition que dans le reste du pays. Les flambées de rougeole signalent l’insuffisance des vaccinations systématiques et, selon l’organisation Médecins sans Frontières, qui apporte son soutien à plusieurs hôpitaux de campagne et postes sanitaires dans la région du Nord contrôlée par les rebelles, les médicaments utilisés dans le traitement des maladies chroniques, comme le diabète et l’hypertension, sont particulièrement demandés. Certains centres de dialyse, qui procurent des traitements qui peuvent sauver des vies, ne sont plus opérationnels.

« Cela fait 14 mois que sommes assiégés », a dit un activiste de Homs qui se fait appeler Yazan. « Il n’y a que des cliniques de fortune et nous avons des moyens très limités pour soigner les malades ou les blessés ». Les médecins n’ont pas les équipements nécessaires pour soigner les blessures par balle et les blessures provoquées par les éclats d’obus ; dans de nombreux cas, l’amputation est la seule solution, a-t-il dit.

Après plusieurs mois de siège, les habitants des zones des environs de Damas, qui sont contrôlées par les rebelles, manquent eux aussi de nombreuses fournitures médicales. Un médicament aussi banal que les sels de réhydratation aurait pu permettre de sauver une fillette de quatre ans du district de Hajar al Aswad qui souffrait d’indigestion depuis quelques jours. « Elle vomissait et souffrait de déshydratation », a dit Susan Ahmed*, une activiste du centre de Damas. « Elle aurait eu besoin de certains médicaments, mais il n’y avait rien. Alors sa mère l’a regardée mourir ».

La violence et l’insécurité ont joué un rôle important dans la détérioration des soins de santé : les axes de ravitaillement ont été coupés et les populations ont des difficultés à atteindre les centres de soins de santé qui sont encore opérationnels. Dans certains cas, les centres et les fournisseurs de soins de santé ont été spécifiquement pris pour cible.

Selon Suheib, un étudiant qui vit dans la campagne autour d’Alep, le seul hôpital de sa zone d’habitation n’accueille plus de patients, car le groupe islamiste Jabhat al-Nusra s’y est installé. De plus, indiquent les travailleurs humanitaires, les groupes d’opposition armés et les éléments criminels se sont emparés des fournitures pour les redistribuer à leurs partisans ou les revendre sur le marché.

« Si l’Armée syrienne libre [rebelle] détourne une cargaison au point d’entrée d’Alep et dit ‘Désolé, rien ne rentre dans les [zones] contrôlées par le gouvernement ', pour moi, ce sont les revers de la même médaille », a dit M. Baker. « Nous voulons la levée de toutes les restrictions, quelle qu’elles soient ».

Une aide (im)partiale

Mais le refus délibéré du gouvernement d’autoriser l’acheminement de l’aide médicale dans les zones contrôlées par les rebelles, en particulier dans le nord de la Syrie, constitue un obstacle bien plus important, indique l’opposition.

« Dans la zone libérée, le système de santé entier fait face à un boycott. Il est paralysé. Ils n’ont rien », a dit Adib Shishakly, vice-président de l’Unité de coordination de l’aide (Assistance Coordination Unit, ACU) créée par l’opposition syrienne pour coordonner l’aide dans les zones contrôlées par les rebelles. L’ACU est une branche de la Coalition nationale des forces de l’opposition et de la révolution syrienne, mais elle indique être un organe non politique et neutre.

À la fin du mois de mai, a indiqué Mme Hoff de l’OMS, tous les médicaments et équipements médicaux ont été retirés d’un convoi humanitaire à destination du gouvernorat d’Idlib - en grande partie contrôlé par l’opposition.

Au début du mois de juin, l’OMS a reçu des rapports faisant état de 1 200 cas de diarrhée dans la ville de Talbiseh, située dans le bastion rebelle de Homs. L’OMS et le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) ont préparé des kits de traitement de la diarrhée pour les envoyer dans la zone, mais 70 pour cent du contenu des kits ont été retirés, a dit Mme Hoff. Seuls cinq kits « amputés » sont arrivés à destination, après un retard important, sans les fournitures qui auraient pu servir pour réaliser des opérations chirurgicales, comme les solutions intraveineuses et les équipements d’infusion nécessaires pour réhydrater les victimes de diarrhée aigüe ou sanglante.


« Ils ouvrent les kits médicaux aux points de contrôle », a dit un travailleur humanitaire qui a demandé à garder l’anonymat. « À chaque point de contrôle, ils prennent des équipements, car ils disent qu’ils pourraient servir aux combattants ».

M. Shishakly a dit que les équipements médicaux que les agences des Nations Unies ont indiqué avoir envoyé ne parviennent que rarement à leur destination, dans les zones contrôlées par les rebelles.

« Nous avons de plus en plus de difficultés à livrer des fournitures médicales à l’opposition », a dit un second travailleur humanitaire, basé à Damas. « Cela a toujours été difficile. Mais [il y a eu] un réel durcissement de la position. Je pense qu’il y a eu un changement – une détérioration de l’accès aux soins médicaux.

« Désormais, l’aide médicale est très partiale dans le pays », a-t-il ajouté. « Nous ne pouvons pas travailler de manière impartiale ».

Progrès récents

Après des pressions intenses exercées par les hauts responsables des Nations Unies, la situation s’est améliorée au cours de ces dernières semaines, a dit Mme Hoff de l’OMS. L’organisation vient de passer une commande pour la livraison de médicaments pour un montant de 22 millions de dollars, et une importante cargaison de fournitures médicales, comprenant notamment trois kits chirurgicaux, est acheminée vers Idlib.

Des fournitures médicales sont également acheminées vers les zones contrôlées par l’opposition dans le cadre d’opérations lancées depuis la Turquie. Selon des sources humanitaires, cette aide transfrontalière représente une grande partie de l’aide médicale acheminée vers les zones contrôlées par les rebelles.

« La majorité de l’aide médicale acheminée vers les zones libérées passe par la frontière turque », a dit à IRIN Samer Araabi, responsable de plaidoyer de l’ACU basé en Turquie. Cependant, il a indiqué que l’aide médicale transfrontalière acheminée par l’ACU et d’autres organismes n’est qu’« une goutte d’eau au regard des besoins totaux ».

« Il est quasiment impossible de combler [les manques] », a ajouté M. Shishakly, qualifiant les ressources de l’ACU, qui ne couvrent pas plus de 10 à 15 pour cent des besoins, d’« infimes ».

L’insécurité est une telle contrainte pour les organisations non gouvernementales (ONG) internationales qui interviennent illégalement dans le nord de la Syrie que la majorité de l’aide médicale est fournie par les réseaux de la diaspora syrienne, comme l’Union des organisations syriennes de secours médicaux. Selon Suheib, l’étudiant d’Alep, les zones touchées par les combats ont également reçu des fournitures envoyées par le Qatar et l’Arabie saoudite, notamment des médicaments pour soigner les cas de leishmaniose - une maladie de la peau – qui se sont multipliés en raison d’un manque d’hygiène.

Si l’accès est relativement aisé depuis la frontière turque, M. Araabi a indiqué que l’ACU a dû faire face aux pressions exercées par des groupes comme l’Armée syrienne libre pour distribuer des fournitures médicales aux rebelles, mais elle a soutenu que son aide n’était destinée qu’aux civils.

Une évaluation menée par l’ACU dans le nord du pays, région contrôlée par les rebelles, au mois de mai a conclu que « les besoins prioritaires les plus fréquemment signalés concernent le secteur de la santé » - une évolution en comparaison avec le début de l’année, période au cours de laquelle la nourriture était considérée comme la première des priorités. Sur les 15,6 millions d’habitants que comptent les sept gouvernorats du nord de la Syrie, 10,3 millions vivaient dans des zones où les services de santé étaient insuffisants, a montré l’évaluation (certains travailleurs humanitaires ont remis en question la véracité des informations de l’ACU, soutenant que les chiffres semblent exagérés). Trois des 116 sous-districts ont signalé que « beaucoup de personnes meurent, car les services de santé sont insuffisants ». Dix autres ont indiqué que « beaucoup de personnes mourront bientôt ».

« Beaucoup de personnes meurent d’hémorragies, car il n’y a rien pour arrêter les saignements », a dit M. Shishakly. Musab Alguetadh, porte-parole des rebelles dans la région du Damas rural, a ajouté que, en raison des graves pénuries de médicaments, « parfois, les gens meurent alors qu’ils ne souffrent que de blessures superficielles. Les forces du régime ont imposé un blocus étouffant sur la majorité des zones de Damas ».

Mesures désespérées

Il est extrêmement dangereux d’essayer de faire entrer des fournitures médicales dans les zones du Damas rural contrôlées par les rebelles, a dit Ahmed, l’activiste. « Si les soldats vous arrêtent en possession de nourriture, en général, ils la prennent et ils la jettent dans la rue. S’ils vous arrêtent avec des médicaments, ils risquent de vous tuer ».

En conséquence, les habitants recourent à des mesures désespérées. Les activistes jettent des sacs en plastique remplis de fournitures médicales dans les quartiers assiégés de Muadhamiya, à l’extérieur de Damas, depuis les rues avoisinantes. Un jeune homme de ces quartiers a été abattu par un sniper alors qu’il tentait de récupérer un de ces sacs en plastique, a dit Ahmed.

Malgré les restrictions, l’OMS a maintenu son aide à plusieurs ONG locales, qui ont fourni des soins de santé à 60 000 habitants des zones inaccessibles au gouvernement, particulièrement à Alep, Homs et dans la région du Damas rural. En collaboration avec le ministère de la Santé, il a mis en place un Système d’alerte et de réponse précoces (Early Warning Alert and Response System, EWARS) pour les maladies transmissibles qui, selon Mme Hoff, « fonctionne très bien à travers la Syrie ».

De manière globale, au cours du premier semestre 2013, l’OMS et ses partenaires ont fourni des kits d’aide médicale d’urgence pour venir en aide à plus de 1,5 million de personnes. Grâce au soutien apporté à ses partenaires - le ministère de la Santé, le ministère de l’Enseignement supérieur, le Croissant-Rouge arabe syrien et un réseau d’ONG – l’organisation a pu vacciner et offrir des soins et des traitements (insuline, dialyse, etc.) à 2,7 millions de personnes souffrant de traumatismes ou de maladies chroniques (hypertension, asthme, etc.) ainsi que des soins de santé de base dans les zones contrôlées par le gouvernement et dans les zones contrôlées par l’opposition à Alep, Homs, Idlib, Hassakeh, Lattaquié et Damas.

Mais l’aide reste très insuffisante.

*nom d’emprunt

gk-ha/cb-mg/amz


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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