1. Accueil
  2. Asia
  3. Bangladesh

Pourquoi la nourriture tue au Bangladesh

Bangladesh vegetable street vendor Mubashar Hasan/IRIN
Manger permet de vivre, mais peut aussi tuer. C’est ce qu’ont appris des experts du Bangladesh, pays où l’utilisation excessive de pesticides, l’absence de réglementation sur la vente d’aliments de rue et le manque de sensibilisation à l’innocuité des aliments sont à l’origine de problèmes de santé chez des millions de personnes chaque année.

« Chaque jour, nous consommons des aliments dangereux, qui sont la cause de maladies mortelles », a dit Kazi Faruque, président de l’Association des consommateurs du Bangladesh (CAB), un organisme à but non lucratif.

Au Bangladesh, les enfants de moins de cinq ans sont les plus exposés au risque de consommer des aliments dangereux : au moins 18 pour cent des décès d’enfants de moins de cinq ans et 10 pour cent des décès de personnes adultes sont imputables à la consommation d’aliments dangereux, selon une étude réalisée en 2006 par le Centre de santé animale et de sécurité alimentaire de l’université américaine du Minnesota.

Shah M. Faruque, directeur du Centre pour les maladies d’origine alimentaire et hydrique rattaché au Centre international de recherche sur les maladies diarrhéiques (ICDDR), basé au Bangladesh, a dit à IRIN que cette tendance se poursuit et risque de s’aggraver, car l’urbanisation exerce une pression sur les ressources en eau potable de Dacca, la capitale.

Il a indiqué que sa clinique, établie à Dacca, reçoit entre 300 et 1 000 patients en moyenne chaque jour. La majorité d’entre eux souffrent de diarrhée ou de choléra, deux maladies souvent liées à l’eau ou à la nourriture.

Pesticides et mauvaise planification urbaine

Selon les experts, la sécurité des aliments est parfois compromise dès la production.

« Au Bangladesh, bon nombre d’agriculteurs utilisent des quantités excessives de pesticides sur leur exploitation agricole dans l’espoir de [stimuler] leur production, sans se soucier [de leurs] graves effets sur la santé des consommateurs », a dit Nurul Alam Masud, directeur de Participatory Research and Action Network (PRAN), une organisation non gouvernementale (ONG) locale.

Malgré les mises en garde répétées du gouvernement sur la question, aucun contrôle efficace n’a été mis en place en raison du manque de coordination entre les organismes publics, a dit Hasan Ahmmed Chowdhury, conseiller chargé des politiques de sécurité alimentaire au Fonds des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO).

La FAO recommande une approche de « la ferme à la table », qui s’intéresse à la production, à la récolte, à la transformation, au conditionnement, à la vente et à la consommation des aliments.

Citadins pauvres


En 2009, le Parlement du Bangladesh a adopté la première loi sur la protection des consommateurs qui traite de l’innocuité et de la sécurité alimentaires. Les nouvelles normes prévoyaient l’obligation de l’étiquetage des produits alimentaires, la création de normes relatives aux tests d’innocuité, la recherche d’agents chimiques et microbiens dans les produits et la responsabilisation des producteurs qui encourent des amendes en cas de violations des normes.

Cette loi complète la législation visant à la réglementation sur la qualité des aliments : la Bangladesh Pure Food Ordinance (1959), le Fish and Fish Product Rules (1997) et le Radiation Protection Act (1987).

La Constitution garantit à tous les citoyens le droit d’accès à une alimentation sûre et nutritive – mais les choses sont différentes dans la rue.

« Les vendeurs de rue qui disposent de petits chariots non réglementés nourrissent plusieurs millions de personnes chaque jour, ils n’offrent aucune garantie de sécurité et environ six personnes tomberont malades après y avoir mangé », a dit Sohana Sharmin Chowdhury, directrice en charge du développement urbain et des maladies transmissibles au sein de l’ONG locale Eminence.

Ce risque complique la vie des habitants des bidonvilles qui achètent dans la rue de quoi se nourrir facilement et à peu de frais, a-t-elle dit. « L’accès aux soins de santé est déjà un défi pour [les] habitants des bidonvilles. Le fardeau des maladies liées à la consommation d’aliments insalubres s’ajoute à leur misère ».

Au moins 5 pour cent des 170 millions d’habitants que compte le Bangladesh vivent dans des logements illégaux. Selon une étude réalisée en 2008 par la Banque de développement asiatique (BDA), les pauvres du Bangladesh, et plus particulièrement les pauvres des villes, ont des difficultés à préparer leurs repas chez eux, car ils passent beaucoup de temps à l’extérieur pour gagner leur vie.

« Bon nombre d’entre eux finissent par manger des [plats prêts à être consommé] peu coûteux et de qualité médiocre, achetés dans des petites échoppes ou à des vendeurs de rue », a dit Mme Chowdhury.

Bien que la vente d’aliments de rue soit illégale, et donc non réglementée, les autorités tolèrent la présence de quelque 200 000 chariots de vente d’aliments qui proposent de nombreux plats allant des samossas – de la viande hachée et des légumes roulés dans la farine et frits – au « lassi », une boisson à base de yaourt.

Le profit à tout prix

M. Faruque de la CAB a dit que la « philosophie du profit à tout prix » défendue par les vendeurs met les consommateurs en danger.

Il est courant que les vendeurs d’aliments de rue vaporisent des agents de conservation chimiques, comme la formaline – une solution aqueuse de formaldéhyde vendue dans le commerce – sur le poisson, les fruits et les légumes pour prolonger leur durée de vie et améliorer leur apparence.

Le formaldéhyde est généralement utilisé pour la conservation des corps, du cuir et des textiles, a indiqué Razibul Islam Razon, un docteur en médecine installé dans la capitale et qui a soigné des patients souffrant d’intoxication alimentaire.

Les effets d’une exposition à court terme à ce produit chimique incluent : l’irritation des yeux, du nez et de la gorge, la toux, la respiration sifflante, la nausée et l’irritation de la peau. S’agissant des effets d’une exposition à long terme sur la santé, il faut noter que le formaldéhyde a été identifié comme un agent cancérogène pour l’homme.

Shah Monir Hossain, un conseiller principal de la FAO au Bangladesh, a dit que l’insuffisance rénale, le cancer et l’atteinte hépatique – tous potentiellement mortels – peuvent être imputés à la consommation de produits alimentaires insalubres, mais que « l’ampleur des maladies d’origine alimentaire était inconnue pour l’instant ». Il a prédit que la situation s’améliorera grâce au renforcement de la surveillance.

Mais le secteur privé a riposté

« Nous disposons d’un équipement spécial pour détecter la présence de formaline dans la nourriture à la source afin de garantir que nos consommateurs ont accès à une nourriture saine », a dit Sabbir Hasan Nasir, directeur exécutif d’une entreprise qui gère 40 centres commerciaux tout-en-un qui servent environ 20 000 clients par jour à travers le pays.

« Les clients peuvent même contrôler la nourriture dans notre magasin et chercher la présence de formaline dans les aliments grâce à une machine », a-t-il ajouté.

Dernièrement, l’ONG locale Citizens Solidarity a envoyé une note au gouvernement et lui a demandé de prendre les mesures juridiques nécessaires pour obliger les vendeurs à mettre un terme aux pratiques de vente contraires à l’éthique.

Mais même lorsque les vendeurs ne sont pas conscients de vendre des aliments insalubres, leur manque de connaissance, combiné à leurs longues heures de travail et à leur santé fragile, représente une menace pour la santé de leurs clients, selon une initiative lancée conjointement par la FAO et le gouvernement en 2010 afin de promouvoir la vente d’aliments sains dans les rues.

Les chercheurs qui ont pris part aux projets ont testé 426 échantillons d’aliments collectés auprès de vendeurs de Dacca qui n’avaient pas bénéficié d’une formation à l’hygiène alimentaire et 135 échantillons collectés auprès de vendeurs qui avaient bénéficié d’une formation. Les échantillons des vendeurs qui n’avaient pas suivi de formation présentaient presque tous une numération bactérienne « très » élevée, tandis que les échantillons des vendeurs qui avaient bénéficié d’une formation respectaient en général les normes internationales de sécurité alimentaire.

Les chercheurs ont demandé au gouvernement d’élaborer une politique visant à « assister, soutenir et contrôler » la vente d’aliments de rue.

Efforts du gouvernement

Le gouvernement compte établir l’autorité de contrôle de l’innocuité et de la qualité des aliments du Bangladesh (Bangladesh Food Safety and Quality Control Authority) chargée de renforcer le contrôle des aliments vendus dans la rue et de criminaliser la vente d’aliments insalubres, a dit à IRIN le ministre de l’Alimentation et de la Gestion des catastrophes, Muhammad Abdur Razzaque.

Conformément à la loi nationale sur l’innocuité et la qualité des aliments (National Food Safety and Quality Act) adoptée en 2013, cette autorité sera créée dans un délai de deux mois, a dit Ahmed Hossain Khan, directeur général de la Direction générale de l’alimentation rattachée au même ministère.

La loi remédie aux faiblesses de l’actuel système de réglementation de l’innocuité des aliments, y compris le manque d’application des lois de contrôle des aliments tout le long de la chaîne d’approvisionnement. Elle introduit également un système de surveillance des maladies d’origine alimentaire et expose les grandes lignes d’un plan de réponse d’urgence en cas d’épidémie de maladies d’origine alimentaire.

« Nous avons identifié les failles de notre système d’innocuité des aliments et cette loi nous permettra d’améliorer notre réglementation de l’innocuité des aliments », a dit M. Khan.

Cependant, Nazrul Islam, professeur agrégé à l’école d’économie de Dacca (Dhaka School of Economics), a indiqué que les politiques de réglementation n’ont pas permis de résoudre le problème de l’innocuité des aliments et que le gouvernement doit étudier les causes économiques de l’insalubrité des aliments : la classe marginale des agriculteurs qui nourrissent les habitants du Bangladesh.
 
La première étape, a-t-il suggéré, est de garantir aux agriculteurs l’achat de leurs produits à un prix juste, un grief de longue date des producteurs qui accusent les intermédiaires et les consommateurs de profiter de la situation.

« Cela pourrait encourager les agriculteurs à remettre en cause les pratiques non éthiques », a dit M. Islam, ajoutant que l’amélioration des services de développement agricole, l’amélioration de l’accès à l’information des agriculteurs et la mise en œuvre des mesures réglementaires strictes sont également importantes.

La Banque de développement asiatique soutient les établissements de production agricole qui achèteront la production de 50 000 agriculteurs sous contrat à des prix garantis.

Mais il ne faut pas s’arrêter là, a dit M. Islam. « Le plus grand défi auquel le pays doit faire face dans sa mission de garantie de la sécurité alimentaire pour ses … habitants est l’innocuité des produits alimentaires ».

L’Indice 2012 de la faim dans le monde montre que le Bangladesh affiche un niveau de faim « alarmant », car seule une petite partie de la population a accès à une alimentation nutritive et suffisante.

mh/pt/rz-mg/amz


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

Partager cet article

Become a member of The New Humanitarian

Support our journalism and become more involved in our community. Help us deliver informative, accessible, independent journalism that you can trust and provides accountability to the millions of people affected by crises worldwide.

Join