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Le casse-tête des aliments enrichis en Afghanistan

A bread shop on Jalalabad Road, in Kabul, Afghanistan. Bread is not fortified in Afghanistan, and many suffer from malnutrition. Taken in January 2012 Heba Aly/IRIN
A bread shop on Jalalabad Road, in Kabul, Afghanistan
Comment s'attaquer à la malnutrition généralisée dans un pays marqué par la pauvreté, la corruption et la guerre ?

Bien que l'Afghanistan ait reçu des milliards de dollars d'aide au cours de ces dix dernières années, les taux de malnutrition ont sensiblement augmenté et ils sont aujourd'hui bien supérieurs aux seuils d'urgence : selon une étude récente réalisée par l'Organisation centrale des statistiques rattachée au gouvernement et le Fonds des Nations Unies pour l'enfance (UNICEF), un enfant Afghan sur cinq souffre de malnutrition ; dans certaines zones de conflit, un enfant sur trois souffre de malnutrition aigüe ; et 60 pour cent des enfants de moins de cinq ans souffrent de rachitisme.

« Nous enregistrons des taux de malnutrition parmi les plus élevés en Asie ; ils sont équivalents aux taux qualifiés d'inacceptables dans d'autres régions du monde », a dit Michael Keating, Représentant spécial adjoint pour l'Afghanistan, Coordonnateur résident des Nations Unies et Coordonnateur de l'action humanitaire, dans une récente interview. Il a ajouté qu'il avait été « choqué » par les conclusions de l'étude.

Le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA) reconnait que les organisations d'aide humanitaire ont affiché des « lacunes majeures » dans leur capacité à répondre à la crise nutritionnelle, les tentatives des Nations Unies pour établir un « cluster » nutrition ayant échoué en raison de l'insécurité.

Un nouveau projet d'une durée de quatre ans, dont le budget s'élève à 6,4 millions de dollars, est aujourd'hui mis en ouvre par le Programme alimentaire mondial (PAM) et l'Alliance mondiale pour une meilleure nutrition (Global Alliance for Improved Nutrition, GAIN) afin de fournir des aliments enrichis à près de la moitié de la population, soit 15 millions d'Afghans.

Le processus consiste à ajouter des vitamines et des minéraux, comme du fer, du zinc, des acides foliques, de la vitamine B12 et de la vitamine A, à la farine de blé, à l'huile végétale et au ghee, et également à ioder le sel.

L'enrichissement des aliments à grande échelle a permis de réduire la malnutrition dans des pays comme l'Afrique du Sud et l'Égypte, mais cette stratégie peut-elle fonctionner en Afghanistan ? (Cette stratégie a déjà été utilisée en Afghanistan, mais à petite échelle).

« Il y a plusieurs problèmes, outre la question évidente de la sécurité », a dit un expert afghan qui a demandé à garder l'anonymat. « Les Afghans sont-ils prêts à consommer ces aliments ? Comment les convaincre qu'un aliment enrichi est bon pour eux ? Il y a beaucoup de théories conspirationnistes en Afghanistan. Et il y a aussi le problème de la corruption ; comment cette stratégie peut-elle être mise en ouvre afin d'éviter que les personnes qui achètent des sacs de farine de blé enrichie ne la remplacent par une autre farine ? Les mollahs [chefs religieux] et les sages des conseils tribaux joueront un rôle clé dans le succès de cette stratégie. Mais convaincre les voisins de l'Afghanistan de se conformer et de respecter les intérêts de l'Afghanistan, c'est une autre histoire ».

Alors que le budget de l'aide diminue et que les troupes étrangères se retirent d'Afghanistan, les observateurs indiquent que le projet devra respecter certaines étapes incontournables afin d'éviter un nouvel exemple de gaspillage d'argent.

Créer la demande

En Égypte, le pain enrichi a tout d'abord été proposé dans les boulangeries d'État qui fournissent du pain subventionné aux populations pauvres. En revanche, en Afghanistan, les aliments enrichis seront proposés sur le marché : la stratégie commerciale sera donc un élément clé du succès de ce projet, indiquent ses organisateurs.

En général, les femmes se chargent de nourrir leur famille et les hommes s'occupent des achats, a dit Emily Levitt Ruppert, conseillère principale en matière de nutrition des mères et des enfants pour le Centre d'expertise en nutrition de World Vision International.

L'éducation a une forte valeur sociale, tout comme le fait d'avoir des enfants en bonne santé et intelligents, a-t-elle dit, et le mot « vitamine » est en général bien compris. Une des stratégies consiste à convaincre les hommes qu'ils doivent fournir de la farine enrichie à leur famille afin d'avoir des enfants intelligents, en bonne santé et athlétique, et de prévenir les déficiences congénitales.

Ibrahim Parvanta, un consultant international en nutrition, a participé à la mise en ouvre du premier programme d'iodation du sel en 2002, après la chute des Talibans. Cette expérience lui a montré qu'il était facile de convaincre les Afghans. L'iodation du sel et les « sprinkles », des micronutriments en poudre qui permettent aux personnes d'enrichir leur nourriture à domicile, « ont été très bien acceptés », a-t-il dit à IRIN.

La clé, a-t-il dit, a été de s'adresser au cour des Afghans et de leur parler d'argent. « Vous souhaitez que vos enfants réussissent à l'école ? », leur demandait-il. « Et bien voilà ce qu'il faut y [la nourriture] ajouter ».
Selon Purnima Menon, chercheuse à l'Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (IFPRI) de New Delhi, l'enrichissement peut être durable, mais il faut une demande de produits alimentaires enrichis.

« Les Afghans sont-ils prêts à consommer ces aliments ? Comment les convaincre qu'un aliment enrichi est bon pour eux ? Il y a beaucoup de théories conspirationnistes en Afghanistan »
Étant donné la situation économique à laquelle l'Afghanistan fait face, le succès est loin d'être garanti. « Outre la présence de produits concurrents sur le marché, il faut également prendre en compte l'opinion des acheteurs ». Tout changement dans l'aspect ou le goût d'un aliment risque d'encourager le consommateur à se détourner du produit.

Alors qu'un faible pourcentage d'habitants des zones rurales disposent de terres pour cultiver leurs propres récoltes de blé, et que le PAM distribue de la nourriture dans certaines régions, la principale source de produits alimentaires et de céréales repose sur les mécanismes du marché libre - principalement des importations des pays voisins.

« Les Afghans verront les étiquettes qui indiquent que les produits sont enrichis, ce qui est une bonne chose », a dit Marc Van Ameringen, le directeur exécutif de GAIN, « mais l'un des défis auxquels nous sommes confrontés est la manière dont nous allons créer une demande effective dans le monde. Dans bon nombre de pays, elle dépend de la régulation mise en place par le gouvernement, ce qui devrait être le cas ici aussi. Mais en Afghanistan, comme dans beaucoup d'autres pays, se pose la question suivante : comment l'appliquer ? ».

Marketing

Une fois que la demande existe, comment commercialisez-vous votre produit ?

Un tiers de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. Comme dans d'autre pays, les informations sont toujours diffusées par haut-parleurs. Environ 80 pour cent de la population a accès à un téléphone portable, et les annonceurs ont de plus en plus souvent recours aux SMS pour atteindre la population. Les panneaux d'affichage se sont multipliés au cours des dix dernières années. Cependant, avec un taux d'analphabétisme à 80 pour cent, ces stratégies de marketing ne sont pas aussi efficaces, a indiqué Rafiq Kakar, président-directeur général de l'Opinion Research Centre of Afghanistan (ORCA).

La radio est le média le plus efficace, a-t-il dit, avant de souligner que les Afghans se méfient des messages publicitaires diffusés à la radio.

« Nous savons que la population fait davantage confiance aux sages des conseils tribaux ou aux leaders religieux. Ils croient tout ce que les sages leurs disent - même si cela concerne quelque chose qu'ils n'aiment pas ».

Dans ses précédentes campagnes de publicité, le PAM a eu recours aux messages diffusés à la radio, mais s'est également appuyé sur des médecins, des cliniques, des dépliants, des posters, des brochures ainsi que des papillons publicitaires.

Ce dont nous avons besoin, a ajouté M. Parvanta, le consultant, c'est d'un système de suivi - pour commercialiser les produits enrichis sur les bons marchés, savoir exactement où ils arrivent et vérifier l'impact des produits alimentaires sur la population. Les importateurs de farine de blé et les producteurs nationaux pourraient fournir des conseils sur la conception de ce système, a-t-il dit.

Le projet devrait enregistrer de meilleurs résultats dans les zones urbaines que dans les zones rurales, a-t-il dit, mais avec 13 minoteries nationales participant au projet, « nous atteindrions toujours de 25 à 35 pour cent de la population, ce qui est loin d'être négligeable ».

L'accès aux zones éloignées ou aux zones de conflit sera forcément limité, concèdent les travailleurs humanitaires.

« Le défi consiste à s'assurer qu'ils interviennent dans les zones où on a le plus besoin d'eux », a dit Aidan O'Leary, directeur du bureau d'OCHA en Afghanistan. « Les zones les plus touchées sont toujours les zones les plus affectées par les conflits ».

Encourager le gouvernement à prendre le projet en main

En fin de compte, disent les représentants du PAM, l'objectif est que le gouvernement prenne le projet en main.

« Fondamentalement », a dit Doordje Voovic, participant à l'initiative « Achats pour le progrès » qui prévoit l'achat de produits alimentaires aux producteurs locaux, « ce projet est lié au système d'offre d'un pays. Nous sommes au début de la chaîne, mais le résultat final est hors de notre contrôle ».

Étant donné la faiblesse du gouvernement central et les hauts niveaux de corruption, la capacité du gouvernement à mettre en ouvre ce genre de projets est souvent très limitée, indiquent les observateurs. Le projet a donc besoin d'Afghans correctement formés, capables d'absorber et d'appliquer les projets, puis de les mener correctement, a dit M. Parvanta.

« L'un des plus gros problèmes est qu'il n'y a pas suffisamment de ressources pour donner aux Afghans les qualifications nécessaires pour [réaliser les projets] », a-t-il dit.

Le Baromètre nutrition récemment publié par Save the Children et World Vision mesure les engagements pris au niveau national pour répondre à la malnutrition. Il a noté un accroissement de l'engagement politique à combattre la malnutrition en Afghanistan par le biais de la mise en ouvre de la politique et de la stratégie nationales en matière de nutrition (National Public Nutrition Policy and Strategy), et de la politique et de la stratégie pour l'alimentation du nourrisson et du jeune enfant (Infant and Young Children Feeding Policy and Strategy). Il a cependant souligné qu'il ne s'était pas traduit par des résultats, car « aucune de ces politiques n'a, pour l'instant, été mise en ouvre de manière efficace ».

L'un des éléments clés du projet d'enrichissement est le développement, la transcription dans la loi, la diffusion et la mise en application de normes nationales, a dit M. Van Ameringen, notamment parce que 60 à 70 pour cent de la farine de blé et 90 pour cent de l'huile consommées dans le pays sont importées. Les discussions engagées avec les producteurs des pays voisins ont déjà commencé, a-t-il indiqué.

L'objectif final du projet d'enrichissement est d'atteindre la durabilité.

Par exemple, les minotiers qui participent au projet ne dégageront pas des profits immédiatement, indique Carrie Morrison, responsable de la santé et de la nutrition pour le PAM, mais les gains financiers potentiels s'apprécieront lorsque le gouvernement standardisera le processus.

bm/ha/cb-mg/amz


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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