Plus de 220 travailleurs de la santé ont succombé au virus, y compris de nombreuses sages-femmes, et, dans ce système de santé déjà fragile, la formation et la marge de manoeuvre pour remplacer ces employés qualifiés sont limitées. Il y a aussi la crainte des hôpitaux et des médecins qui continue de persister au sein de la population locale. Les Sierra-Léonais ont en effet été traumatisés par une épidémie qui a fait près de 4 000 victimes et ils continuent d’être témoins chaque semaine de nouvelles infections, bien que leur nombre soit faible.
Selon un rapport de la Banque mondiale publié en juillet et intitulé Healthcare Worker Mortality and the Legacy of the Ebola Epidemic [Mortalité des travailleurs de la santé et héritage de l’épidémie d’Ebola], le taux de mortalité maternelle sierra-léonais pourrait augmenter de 74 pour cent à cause de la crise actuelle. Il atteindrait ainsi des niveaux n’ayant pas été observés depuis la fin de la guerre civile, en 2002.
« Nous avons rencontré plusieurs difficultés pendant l’épidémie d’Ebola. Voyant cela, de nombreuses femmes enceintes ont décidé de ne pas se rendre à l’hôpital. Il se peut que cela ait donné lieu à l’augmentation [récente] des taux de mortalité [des femmes enceintes] », a dit à IRIN A.P. Koroma, surintendant médical au Princess Christian Maternity Hospital (PCMH), aussi appelé Cottage Hospital, à Freetown.
Quatre-vingt-cinq décès maternels ont été enregistrés à l’hôpital depuis l’annonce de l’épidémie, en mai 2014, ce qui, selon M. Koroma, représente « une nette augmentation par rapport aux années précédentes ».
« Les gens étaient craintifs, et ils le sont toujours », a-t-il ajouté.
Avant Ebola, 10 700 femmes en moyenne donnaient naissance chaque année au Cottage Hospital. Depuis l’épidémie, ce chiffre a chuté pour atteindre 6 723.
Le plus récent taux de mortalité maternelle n’a pas encore été rendu disponible au niveau national, mais on s’attend à ce qu’il ait augmenté vu le taux de fréquentation des hôpitaux et les risques que supposent les accouchements à la maison en Sierra Leone.
« Pendant l’épidémie d’Ebola, les gens avaient l’impression qu’ils pouvaient contracter le virus s’ils se rendaient à l’hôpital », a expliqué M. Koroma. « Nous avons fait de notre mieux [...] pour venir en aide aux femmes qui sont venues à l’hôpital, mais certaines d’entre elles sont arrivées trop tard. On leur avait dit que si elles avaient des saignements – l’un des symptômes d’Ebola –, aucune infirmière ou aucun médecin ne voudrait les toucher tant qu’un test de dépistage d’Ebola n’aurait pas été fait. Or, cela peut prendre jusqu’à trois jours. »
Parmi les femmes qui ont décidé de se rendre à l’hôpital, certaines sont décédées en attendant le résultat du test de dépistage.
L’hôpital a désormais accès à un test de diagnostic rapide qui permet d’obtenir un résultat en moins de trois heures.
Malgré cela, et malgré l’amélioration générale des mesures de sûreté, de nombreux hôpitaux craignent toujours d’accueillir les femmes enceintes. Les accouchements mettent en effet le personnel en contact direct avec les fluides corporels.
« Lorsque nous avons commencé à entendre parler des décès de nos collègues, tout le monde s’est mis à avoir peur et personne ne voulait toucher les patients », a expliqué M. Koroma.
Mais ce ne sont pas toutes les femmes qui décident de se tenir à distance des hôpitaux.
« Des amis m’ont dit que je risquais d’attraper Ebola si je venais à l’hôpital… j’ai commencé à avoir peur », a dit Mary Conteh, une jeune femme de 22 ans de Freetown qui a donné naissance plus tôt ce mois-ci. « Mais j’ai finalement décidé de venir au Cottage Hospital… Je remercie le Seigneur que mon accouchement se soit bien passé. »
Pénurie de travailleurs de la santé
Selon le rapport de la Banque mondiale, la Sierra Leone a perdu environ 7 pour cent de ses infirmières et sages-femmes à cause d’Ebola. Il s’agit d’une perte considérable pour un pays qui n’en avait déjà qu’un peu plus de 1 000 avant l’épidémie.
« C’est un choc terrible, surtout pour un système de santé déjà affaibli », a dit David Evans, économiste senior au Groupe de la Banque mondiale. « Et si on devait la mettre en chiffres, on se rendrait compte que la perte de travailleurs de la santé due à l’épidémie d’Ebola est responsable de 1 850 décès additionnels de femmes par année [en Sierra Leone]. »
Les experts estiment que des investissements supplémentaires sont absolument nécessaires pour pallier les lacunes dans les soins prodigués aux mères si la Sierra Leone souhaite prévenir une nouvelle hausse de son taux de mortalité maternelle.
« Il n’y a pas 1 000 solutions possibles », a dit M. Evans. « Ces pays et les communautés internationales qui les soutiennent doivent embaucher davantage de travailleurs de la santé et fournir les ressources nécessaires pour s’assurer qu’ils sont bien payés et qu’ils ont envie de rester en Sierra Leone pour y travailler. Et ils doivent aussi s’assurer qu’ils ont des équipements de protection en attendant qu’Ebola disparaisse complètement. »
À court terme, pour éviter une augmentation supplémentaire de la mortalité maternelle, M. Evans suggère de mettre en place une mesure palliative, c’est-à-dire d’employer des travailleurs de la santé et des assistants de naissance étrangers en attendant que les capacités locales se développent et que des travailleurs issus de la population locale reprennent le flambeau à plus long terme.
Les femmes de Sierra Leone disent prier pour cela.
« Tout ce que je veux, c’est que mon bébé soit en santé », a dit Frances Tucker, une jeune femme de 25 ans enceinte de cinq mois. « Je ne veux pas avoir les problèmes que d’autres femmes ont eus en restant à la maison parce qu’elles avaient peur de venir à l’hôpital [...] mettant ainsi en péril leur vie et celle de leur bébé. »
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