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Le Burundi en proie à l’instabilité à l’approche des élections

Police prevent Agathon Rwasa from meeting his supporters in Bujumbura (August 2013) Desire Nimubona/IRIN
The police have increasingly broke up opposition party gatherings
Si le haut degré de mobilisation des partis non dirigeants est un indicateur du risque d’instabilité politique, le Burundi est un pays à surveiller de près à l’approche des élections présidentielles prévues l’année prochaine.

Le Secrétaire général des Nations Unies, Ban Ki-moon, a rencontré le président Pierre Nkurunziza. Les États-Unis ont également dépêché un envoyé spécial sur place pour s’entretenir personnellement avec le président. Le Conseil de sécurité des Nations Unies a publiquement exprimé son inquiétude. Et il ne s’agit là que des principaux protagonistes d’un concert de protestations qui s’élève pour exprimer une inquiétude grandissante.

Alors que le pays se prépare activement aux nouvelles élections qui se dérouleront l’année prochaine à une date encore indéterminée, plusieurs problèmes laissent présager l’imminence d’une crise : des violences d’origine politique, des atteintes aux activités de l’opposition et à la presse, l’érosion de l’accord de paix sur le partage du pouvoir, et enfin, le projet du président de briguer un troisième mandat qualifié d’inconstitutionnel.

En attendant, les relations s’enveniment entre le gouvernement – dirigé par le Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces pour la défense de la démocratie (CNDD-FDD), parti majoritairement hutu – et le Bureau des Nations Unies au Burundi (BNUB) qui sont censés participer ensemble au processus de stabilisation postconflit du pays. À l’origine de cette dégradation des relations, la transmission d’un rapport confidentiel envoyé au siège des Nations Unies par le BNUB, faisant état d’une distribution d’armes aux Imbonerakure, les jeunes affiliés au CNDD-FDD, célèbres pour leur militantisme musclé. Le gouvernement a qualifié ces allégations d’absurdes et de dangereuses.

Le Burundi a tourné la page de la guerre civile voilà presque dix ans. Le conflit s’était embrasé en 1993, juste après les premières élections présidentielles du pays, qui opposaient la majorité hutu à la minorité tutsi, alors dominante. Les deux camps se disputaient notamment l’accès au pouvoir politique.

Après une visite au Burundi au mois d’avril, l’ambassadrice des États-Unis aux Nations Unies, Samantha Power, la première représentante du gouvernement américain à se rendre dans ce pays d’Afrique centrale, a déclaré qu’elle avait fait le déplacement à cause d’une série de « signes alarmants ».

Ces signes sont notamment : « la décision de mettre un terme [fin 2014] à la mission des Nations Unies dans un contexte d’instabilité politique considérable, le procès expéditif de 21 jeunes affiliés à l’un des principaux partis de l’opposition, les lois restrictives qui touchent les médias et les tentatives de révision de la constitution », a-t-elle déclaré.

Le 21 mars, 47 membres du Mouvement pour la solidarité et la démocratie (MSD) ont été condamnés à des peines de prison, dont 21 membres à la prison à vie, à cause d’une manifestation à Bujumbura qui a tourné à l’affrontement avec les forces de sécurité. Le président du MSD, Alexis Sinduhije, également inculpé pour sa participation à l’événement, s’est réfugié dans la clandestinité.

« Si l’on considère d’une part la crise politique à laquelle on associe d’autre part la distribution d’armes, vous avez exactement les ingrédients du type de violence que le Burundi a réussi à éviter pendant un bon nombre d’années. Après tous les progrès accomplis par le Burundi, il serait absolument tragique que le pays connaisse une crise politique majeure, et encore pire bien sûr, qu’il sombre dans la violence », a déclaré Mme Power.

Division sur l’accord d’Arusha

Le 10 avril, dans une déclaration à la presse, les membres du Conseil de sécurité « ont rappelé qu’il était urgent que le gouvernement burundais prenne des mesures pour mettre fin à l’impunité tout en garantissant le droit à une procédure régulière, et que tous les partis politiques condamnent publiquement toutes les formes de violence politique et tous les actes d’incitation à la haine ou à la violence, conformément à la Constitution du Burundi et à l’accord d’Arusha ».

Signé en 2000 après des années de pourparlers, l’accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation – souvent appelé l’accord d’Arusha – a été conçu pour mettre fin à la guerre civile et désigner les modalités de partage du pouvoir entre les différents groupes ethniques, afin de garantir une stabilité et une paix durables. Le CNDD-FDD actuellement au pouvoir ne comptait pas parmi les signataires.

Selon Jean-Marie Ntahimpera, professeur de sciences politiques à l’Université Lumière de Bujumbura, la crise actuelle est due à la volonté du gouvernement de saboter l’accord d’Arusha qui est « la source de stabilité du pays », a-t-il dit.

Il a expliqué que cette volonté se traduisait dans les importantes modifications de la constitution que le gouvernement entend faire adopter sans consulter l’opposition ni la société civile.

« Il est clair que les partisans du CNDD-FDD exercent des pressions pour essayer d’accéder à plus de postes [gouvernementaux]. Ils estiment que l’accord d’Arusha confère suffisamment de postes et de poids aux Tutsis, alors qu’ils ne sont qu’une minorité, et ils veulent enterrer cet accord pour que les membres qui n’occupent pas de poste puissent s’en emparer. »

Dans un pays où le secteur privé est très restreint, le gouvernement reste la principale source d’emplois dans le secteur structuré.

« Le pays est stable depuis quelques années et il doit le rester. Pour cela, cet accord doit être respecté, les autres partis politiques doivent pouvoir travailler normalement, le processus démocratique doit être accepté et la constitution, respectée », a déclaré M. Ntahimpera.

Selon Yolande Bouka, de l’Institut d’études de sécurité, l’atteinte à l’équilibre des pouvoirs pourrait entraîner le risque, même faible, que « l’armée tente de s’immiscer dans le conflit ».

Considérant que la violence politique de ces dernières années était due aux partis plutôt qu’au clivage hutu-tutsi, Mme Bouka avertit que si les dirigeants du pays « touchent à l’accord d’Arusha, il y a un risque de ré-ethnicisation de la lutte pour le pouvoir... si le gouvernement va trop loin et provoque une division au sein de l’armée, si les officiers [tutsis] ont le sentiment qu’ils ont beaucoup à perdre… »

« L’accord d’Arusha est davantage menacé aujourd’hui qu’il y a quelques années. Le gouvernement est plus téméraire qu’avant », a-t-elle ajouté.

« S’il l’on fait le bilan de tout cela, il semblerait qu’il essaye de se maintenir au pouvoir par tous les moyens possibles », a dit Mme Bouka.

En février, il y a eu un événement politique majeur ; le vice-président du pays, Bernard Busokoza, de l’Union pour le progrès national (Uprona), le seul parti d’opposition représenté au parlement et à majorité tutsi, a été évincé. Cela a entraîné la démission de trois ministres du gouvernement de l’Uprona qui ont été remplacés par des membres de la faction progouvernementale de l’Uprona, non reconnue par le courant principal du parti.

Tollé de l’opposition

Léonce Ngendakumana, président de l’Alliance des démocrates pour le changement (ADC-Ikibiri), une coalition de 10 partis d’opposition, est particulièrement véhément dans ses critiques du gouvernement « autoritaire ». Dans une lettre du 6 février adressée au Secrétaire général des Nations-Unies, Ban Ki-moon, il a écrit que le pays risquait de connaître « un génocide politico-ethnique ».

Faisant écho aux conclusions établies de longue date par les défenseurs des droits de l’homme, M. Ngendakumana reproche au gouvernement « les exécutions extrajudiciaires, les tortures morales et physiques, les emprisonnements et harcèlements des militants et leaders des partis de l’opposition, de la société civile et des médias ».

M. Ngendakumana s’est entretenu avec IRIN à la mi-avril et a affirmé « qu’aucun parti n’était autorisé à organiser des réunions alors que les membres du parti présidentiel se réunissaient régulièrement ».

« Les armes sont distribuées comme des petits pains dans le pays aux jeunesses affiliées au CNDD-FDD », a-t-il ajouté.

Démenti du gouvernement

Le 15 avril, le gouvernement a catégoriquement nié cette accusation dans un communiqué de 1 700 mots en accusant le BNUB, à la suite de ses déclarations confidentielles divulguées aux Nations Unies à New York, de compromettre les relations avec le gouvernement, ainsi que la stabilité même du pays.

Dans cette déclaration, le gouvernement demande aux Nations Unies de vérifier ces allégations et de « s’assurer qu’il ne s’agit pas d’une campagne destinée à couvrir l’entrée des armes dans le pays pour perturber la sécurité, créer un chaos pouvant saboter les prochaines élections ».

(Le gouvernement maintient que M. Ngendakumana est « allergique » aux élections, car l’opposition n’a aucune chance de les remporter. L’opposition affirme que ses chances sont largement compromises, car les dés sont pipés.)

Le gouvernement demande également que des « mesures appropriées » soient prises contre les responsables « pour rétablir un climat de confiance » entre le BNUB et le gouvernement du Burundi.

Par ailleurs, le BNUB récuse les allégations selon lesquelles il mènerait « une campagne ayant pour but de ternir l’image du pays », en rappelant que « la concertation a toujours été au centre des relations avec les autorités du Burundi ».

« Les Nations Unies n’ont d’autre intérêt que de voir se réaliser pleinement l’aspiration des Burundais pour une nation prospère, stable et paisible et où les valeurs démocratiques s’épanouissent », a affirmé le BNUB.

Contrôle des médias par l’État ?

M. Ngendakumana, de l’opposition, a également déclaré que le gouvernement contrôlait les organes de presse publics et qu’il s’en servait pour diffuser des messages politiques bien avant le début de la campagne électorale officielle.

« Le président a demandé lui-même la révision de la constitution [qui a failli être approuvée en mars] pour briguer illégalement un troisième mandat. Ce qu’il a fait est illégal. La constitution limite à deux le nombre de mandats du chef de l’État. C’est même clairement énoncé par l’accord d’Arusha. »

Mais de hauts fonctionnaires du gouvernement soutiennent que le premier mandat de M. Nkurunziza ne compte pas, car il n’avait pas été élu par un vote direct, mais désigné par les membres du parlement.

Établissant un parallèle évident avec les appels au meurtre diffusés par la radio Mille Collines lors du génocide rwandais il y a 20 ans, les politiciens de l’opposition accusent Rema FM, une station de radio privée progouvernementale, d’exhorter ses auditeurs à « rester vigilants ».

En écoutant la station, IRIN a relevé que certains animateurs de Rema FM appelaient les auditeurs à rester « vigilants » avec ceux qui sont mécontents des actions du gouvernement, qualifiant ces derniers de « saboteurs ».

Un important leader de la société civile a porté plainte contre Rema FM pour avoir qualifié ses critiques du gouvernement de rébellion ; la station, de son côté, porte plainte pour la comparaison avec le génocide rwandais.

Le politologue M. Ntahimpera a qualifié de démesurés les propos sur le génocide. « Les politiciens de l’opposition utilisent ce terme pour montrer que les choses sont graves. Mais il n’y a pas de signes de génocide. Il s’agit plutôt de cas de violations des droits de l’homme liés à la restriction de l’espace politique de l’opposition. Il est préférable de définir les choses comme elles sont, plutôt que d’exagérer ».

Aujourd’hui, la communauté internationale « regrette ce qui s’est passé au Rwanda en 1994 et tente d’empêcher l’explosion du Burundi », a-t-il ajouté.

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This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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