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Faut-il être plus audacieux concernant l’accès humanitaire au Soudan ?

Aerial bombing has destroyed the homes of many and made areas completely uninhabitable in Blue Nile state in Sudan ENOUGH Project
Il y a longtemps qu’obtenir un accès humanitaire dans des régions comme les États du Sud-Kordofan et du Nil Bleu au Soudan n’est pas une mince affaire. Or, d’après les spécialistes de l’aide humanitaire, il se pourrait que les choses se compliquent davantage pour de nombreuses grandes ONG (organisations non gouvernementales) internationales qui sont réticentes à prendre des risques.

Les Nations Unies demandent de toute urgence un accès humanitaire pour lancer une grande campagne de vaccination contre la polio dans le sud du Soudan. Dans le même temps, deux nouvelles publications de l’Institut de développement d’outre-mer (Overseas Development Institute, ODI) de Londres révèlent que la population se retrouve pratiquement coupée de toute aide humanitaire dans certaines zones du Soudan.

Il n’en a pas toujours été ainsi. Au cours du conflit qui ravage le Darfour depuis des années, il y a eu des moments où il était possible de travailler des deux côtés de la ligne de front. Le document sur le Darfour décrit ce que l’auteur, Jonathan Loeb, appelle « un âge d’or », de 2004 à 2006. Pendant cette période, le gouvernement soudanais était disposé à autoriser l’accès humanitaire. Des intermédiaires permettaient de négocier avec les groupes rebelles la circulation des travailleurs humanitaires en toute sécurité au Darfour.

M. Loeb raconte en détail comment cela était organisé. Des pourparlers de paix à l’extérieur du pays permettaient aux bailleurs de fonds et aux agences des Nations Unies de rencontrer les dirigeants rebelles. Un coordonnateur humanitaire était ensuite désigné pour servir d’intermédiaire aux organisations internationales. Le Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA) dirigeait les négociations concernant l’accès. L’OCHA travaillait pour cela en étroite collaboration avec le service de sécurité des Nations Unies, dont les responsables avaient établi un solide réseau de contacts avec les chefs rebelles.

Le document décrit la façon dont les agences doivent avancer en terrain miné et répondre à tout un ensemble de dilemmes moraux. Une agence des Nations Unies comme l’OCHA pouvait-elle signer un accord pour l’accès avec des acteurs armés non-étatiques ? (Elle l’a fait.) Devait-elle accepter que ces groupes délivrent des permis d’accès – des visas en réalité – pour entrer sur leur territoire ? (Cela allait trop loin et les rebelles ont fait marche arrière.) Enfin, le plus délicat, pouvait-elle accepter que les rebelles – qui craignaient que le personnel humanitaire ne les espionne pour le compte du gouvernement – décident seuls, selon les personnes ou leur appartenance tribale, quels étaient les employés autorisés à travailler sur leur territoire ?

C’est une question toujours délicate au Soudan et, même si cela semble contraire aux pratiques humanitaires classiques, les ONG n’y étaient pas totalement opposées. Dans son rapport, M. Loeb déclare que « cette adhésion et compréhension découlaient en grande partie du fait que la HAC (Commission gouvernementale d’aide humanitaire du Soudan) surveillait les ONG et tentait de contrôler le recrutement des citoyens soudanais au sein des agences des Nations Unies et des ONG. Des responsables de la HAC faisaient pression sur de nombreuses organisations humanitaires pour qu’elles emploient du personnel ayant des liens privilégiés avec le gouvernement ». Les agences essayaient de contourner ces exigences du mieux qu’elles pouvaient.

Mais tous ces accords prudents se sont détériorés en 2006, quand les groupes rebelles ont éclaté en factions rivales, avant d’être totalement rompus en 2009, lorsque le président Omar el-Béchir a été inculpé par la Cour pénale internationale (CPI). En représailles, les ONG ont été expulsées, notamment celles qui travaillaient derrière les lignes rebelles. Les ONG restées en poste ont eu peur de compromettre leur travail auprès des populations beaucoup plus nombreuses dans les zones gouvernementales. Les Nations Unies se sont retirées. À la fin de l’année dernière, seules deux ONG, le Conseil danois pour les réfugiés (DRC) et Médecins Sans Frontières-Espagne, ont même tenté d’apporter de l’aide dans le Jebel Marra (bastion rebelle au Darfour) – mais seulement à très petite échelle.

Des ONG trop frileuses ?

Les problèmes plus au sud dans les provinces du Nil Bleu et du Sud-Kordofan sont apparus à cause de violents affrontements plus récents qui ont surgi après le vote pour l’indépendance du Sud. À cette période-là, les agences étaient déjà ce que Irina Mosel et Ashley Jackson décrivent dans leur rapport sur ces régions ; « très réticentes à prendre des risques et soucieuses de préserver leurs relations avec le gouvernement ». De plus, les groupes de l’opposition se montrent désormais méfiants et hostiles à l’égard des Nations Unies, à cause de l’échec des forces de maintien de la paix à assurer en priorité la protection des civils. Durant ces conflits, l’accès humanitaire n’a connu aucun « âge d’or ».

Nicola Bennett, conseillère en politiques humanitaires pour l’OCHA au Soudan du Sud, affirme qu’il y a de nombreuses demandes qui réclament une intervention plus poussée de l’OCHA et d’autres acteurs des Nations Unies. « C’est peut-être en partie pour ouvrir la voie, ou pour protéger les ONG, qui ont le sentiment de se retrouver en mauvaise posture si elles se font remarquer », a-t-elle déclaré. « Cela implique de travailler plus étroitement avec le service de sécurité des Nations Unies… – soit avec des acteurs humanitaires qui prennent part à l’évaluation des risques [ce qui est déjà très difficile], soit, si possible, avec des agents de sécurité qui se consacrent à cette tâche – et de vraiment réfléchir à la sécurité des acteurs humanitaires. La majorité travaille plutôt dans le cadre de la mission de maintien de la paix, donc leur conception de la gestion de la sécurité et de leur principal destinataire va être complètement différente. »

Des travailleurs humanitaires « qui n’avaient pas froid aux yeux »

Il est possible d’accéder aux États du Nil Bleu et du Sud-Kordofan en passant par la frontière avec le Soudan du Sud ou – dans le cas du Nil Bleu – depuis l’Éthiopie, avec ou sans l’autorisation du gouvernement soudanais. Il y a vingt ans, lors de la guerre civile au Soudan, un nombre limité d'agences humanitaires et d’églises étaient prêtes à s’y rendre. Peter Moszynski, journaliste et militant qui a connu cette période, affirme que cette époque est révolue.

« Cela a beaucoup empiré, à cause des expulsions dans le cas du Darfour », a-t-il déclaré à IRIN. « Certaines organisations étaient prêtes à faire des choses qu’elles n’admettraient peut-être pas et qu’elles ne referaient certainement plus aujourd’hui. C’était vraiment une génération de travailleurs humanitaires qui n’avaient pas froid aux yeux. Maintenant, ils ont le réflexe de se dire : "nous n’allons rien faire qui puissent compromettre nos autres opérations". Maintenant, vous avez toute cette idée de "calcul professionnel" ; les gens se préoccupent d’abord de leur carrière. Le monde des organisations humanitaires a changé. »

Le peu d’aide qui arrive dans ces régions provient de petites opérations, plus ou moins indépendantes. C’est de toute façon insuffisant pour lancer une campagne de vaccination complète. Mais, d’après M. Moszynski, « il faut mettre en avant les aspects positifs qu’il y a à envoyer un minimum d’aide, plutôt que de faire les choses dans les règles ».

Le Sud-Kordofan et le Nil bleu sont également victimes de leur situation géographique et de leurs populations relativement peu nombreuses. Pour les organisations humanitaires, ce n’est pas une priorité autant que l’est le Darfour. Pour les diplomates, c’est moins important que d’empêcher une guerre d’éclater à la frontière entre le Soudan et le Soudan du Sud.

Irina Mosel affirme que cela ne peut pas durer indéfiniment. « Nous devons continuer à agir, mais la question cruciale est de savoir jusqu’à quel point. Beaucoup d’acteurs pensent qu’il faut fixer un calendrier. Si nous continuons à dire qu’il y a un accord et que cet accord n’est pas respecté par la suite, à partir de quel moment pouvons-nous envisager d’autres options ? Et tout cela est bien sûr largement déterminé par l’importance des besoins… Il y a de plus en plus d’éléments qui indiquent que la situation humanitaire est alarmante, et cela devrait suffire à montrer qu’il faut absolument un calendrier avec une fin. »

eb/cb-fc/amz


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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