Ce rapport tant attendu, intitulé Trop important pour échouer (Too important to fail), est le résultat de sept mois de travail de neuf experts indépendants chargés par le secrétaire général des Nations Unies de trouver des solutions pour combler le fossé qui ne cesse de se creuser entre les besoins humanitaires et les fonds disponibles.
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Outre l’appel à une meilleure « efficacité collaborative » dans le cadre d’une « grande négociation » entre les bailleurs de fonds et les acteurs de l’aide humanitaire, le document de 31 pages demande à la communauté humanitaire d’avoir davantage recours au secteur privé, de mieux encadrer la finance sociale islamique et, éventuellement, d’introduire des taxes de solidarité pour financer les interventions humanitaires.
Le rapport recommande également de repenser les critères d’admissibilité aux financements de la Banque mondiale (notamment pour aider les pays à revenu intermédiaire tels que le Liban et la Jordanie qui accueillent actuellement de nombreux réfugiés syriens), de rapprocher les milieux de l’humanitaire et du développement et de mettre davantage l’accent sur la prévention des crises et la réduction des risques de catastrophe.
Consultez le rapport complet ici.
Présenté en grande pompe aux Émirats arabes unis par le secrétaire général Ban Ki-moon, devant plusieurs chefs d’agences des Nations Unies et ministres des principaux pays donateurs, le rapport fournit une analyse tranchée, quoique pas particulièrement révolutionnaire, des problèmes inhérents au système de financement de l’aide humanitaire.
Le rapport reproche ouvertement aux organisations humanitaires de protéger leurs propres intérêts au détriment de l’efficacité. Cette franchise a été largement saluée. Reste à savoir comment et quand ces recommandations vont se traduire en actions et qui en sera le moteur.
« Le rapport n’en met pas plein la vue en matière de nouvelles idées, mais c’est un rapport joliment présenté et bien ficelé », a dit à IRIN Barnaby Willitts-King, chercheur du Groupe de travail sur les politiques humanitaires de l’Institut de développement d’outre-mer (Overseas Development Institute, ODI).
« Il sera facile d’y adhérer, mais ce sont les détails et leur mise en œuvre politique qui poseront problème. Les évènements des quelques mois qui nous séparent du Sommet humanitaire mondial seront essentiels », a-t-il ajouté.
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Mesures préconisées
Le rapport est bien conçu, mais suffira-t-il à changer les choses ? Consciente du scepticisme du public à ce sujet, Kristalina Georgieva, coprésidente du groupe d’experts et vice-présidente de la Commission européenne, a garanti que les conclusions rendues ne seraient pas « remisées sur une étagère ».
« Ce rapport n’est pas une fin en soi », a-t-elle dit aux journalistes lors de sa présentation à la Cité humanitaire internationale de Dubaï. « Nous devons faire de ces recommandations une réalité. Cela fait des années que nous parlons d’une réforme de l’aide humanitaire. Le moment est venu d’aller de l’avant. »
Pour beaucoup, l’opportunité de l’approche du Sommet d’Istanbul et le coup de projecteur politique porté sur le rapport sont ce qui le rend différent des précédents rapports, pourtant plus détaillés, comme « Envisager l’avenir du financement humanitaire », publié l’année dernière par le Futur du financement humanitaire.
« Ce rapport n’apporte pas grand-chose de nouveau », a remarqué M. Willitts-King. « Mais il présente un aspect plus vendeur et bénéficie du sceau d’un groupe d’experts de haut niveau, influent et crédible, et il devrait donc être bien pris en compte. »
Le rapport s’articule autour de l’idée d’une « grande négociation », qui établirait de meilleurs modes de collaborations entre les bailleurs de fonds, les agences des Nations Unies et les autres parties prenantes du monde de l’humanitaire.
Les recommandations mettent l’accent sur la nécessité d’un dialogue plus soutenu avec les acteurs locaux et nationaux et sur le besoin d’alléger la bureaucratie et de réduire les inefficacités pour limiter les coûts.
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Le rapport préconise ainsi aux bailleurs de fonds de privilégier les financements sur plusieurs années et non préaffectés (pour faciliter l’organisation et l’efficacité des responsables de la mise en œuvre des projets). Il défend également la simplification et l’harmonisation des comptes-rendus exigés, la mise en place d’évaluations des besoins conjointes et indépendantes (pour éviter que les projets se chevauchent et que les organisations privilégient leurs propres intérêts) et, avant tout, une plus grande transparence en matière de structures de coûts et de processus.
Partenariat
Danny Sriskandarajah, secrétaire général de l’organisme de coordination de la société civile CIVICUS et membre du groupe d’experts, a reconnu que toutes ces idées avaient déjà été proposées avant. Mais selon lui, ce n’est pas une raison pour ne pas les appliquer.
« Ce n’est pas qu’une question de bonnes pratiques de don », a-t-il dit à IRIN. « C’est une question de qualité des partenariats entre les bailleurs de fonds et les organisations qui bénéficient de leurs financements. »
« Il s’agit d’essayer d’utiliser les outils financiers, qui déterminent le mode d’attribution des aides et leur préaffectation ou non, pour changer les comportements aussi loin que possible dans la chaîne [de l’humanitaire]. »
Selon M. Sriskandarajah, les membres du groupe de haut niveau ont pris très au sérieux la question de la localisation de l’aide et il s’agit là d’un point essentiel de leurs recommandations.
Non seulement certains craignent que le rapport ne conduise à aucun changement réel, mais on lui reproche également d’avoir émis des recommandations trop indulgentes et pas assez spécifiques alors que des problèmes aussi complexes que les « querelles de territoire » et les « intérêts particuliers » étaient abordés.
Une source proche du groupe d’experts a dit à IRIN qu’il s’agissait d’une stratégie délibérée visant à s’assurer d’une adhésion politique plus large dès le départ et à inciter les pays donateurs à s’approprier certains points et les placer à l’ordre du jour du sommet d’Istanbul.
Le nouveau Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), Filippo Grandi, a dit que son organisation était « très intéressée » à participer à une grande négociation.
Il a convenu que des améliorations étaient indubitablement nécessaires en matière d’évaluation des besoins, de transparence et de collaboration avec les acteurs locaux, mais il a reconnu que de tels engagements n’étaient pas faciles à prendre.
« Le rapport nous rappelle de cruelles vérités », a dit M. Grandi. « Il faudra un incroyable effort d’initiative collective pour franchir certains obstacles structurels et culturels et pour surmonter les réticences qui mettent un frein à des collaborations plus efficaces. »
Et ensuite ?
Lilianne Ploumen, ministre hollandaise du Commerce extérieur et de la Coopération au développement, a dit qu’elle espérait depuis longtemps une grande négociation. « Tout le monde appelle toujours à une meilleure coordination, mais personne ne veut être coordonné », a-t-elle remarqué.
Elle a assuré lors de la présentation du rapport que les Pays-Bas étaient fermement résolus à mettre cette grande négociation à l’ordre du jour du sommet d’Istanbul.
Elle a d’ailleurs proposé d’accueillir une première réunion pour « en étudier les détails afin qu’à Istanbul les gouvernements et autres acteurs concernés, même non étatiques, n’aient plus qu’à signer. »
Bien que les organisations non gouvernementales internationales (ONGI) aient brillé par leur absence lors de la présentation de dimanche, très centrée sur les Nations Unies et les gouvernements, elles ont accueilli favorablement le rapport.
« C’est une excellente idée de changer les règles des transactions entre les bailleurs de fonds et les organisations humanitaires », a écrit Julian Srodecki, directeur technique des dons humanitaires de World Vision International, sur le blogue de l’organisation.
« Cela pourrait grandement améliorer la qualité des actions humanitaires et entraîner des gains d’efficacité grâce auxquels plus d’argent parviendrait à ceux qui en ont le plus besoin, à savoir les populations touchées par des catastrophes. »
Anne Street, responsable des politiques humanitaires de la CAFOD, un organisme d’aide catholique basé au Royaume-Uni qui soutient l’initiative de Futur du financement humanitaire, a elle aussi salué la publication de ce rapport. « Je pense que la difficulté sera de mener à bien les recommandations du rapport », a-t-elle cependant précisé.
« Il est crucial que les ONGI y participent et des discussions de haut niveau ont déjà lieu au sein de la communauté des ONGI concernant les engagements que nous pouvons formuler dans le cadre de cette grande négociation et qui rendront l’aide humanitaire plus efficiente, plus efficace et plus appropriée. »
Mme Georgieva a admis que les prochaines étapes n’allaient pas être faciles. « Cela va nécessiter beaucoup de volonté politique et de changements culturels et dépendra de l’initiative des organisations et des bailleurs de fonds », a-t-elle dit.
« Je pense que le secteur est mûr pour changer et que c’est souhaité. Si nous voulons lever davantage de fonds, nous devons offrir plus de transparence et inspirer la confiance dans notre secteur [et] nous pouvons faciliter cela en nous réunissant dans le cadre de cette grande négociation. »
Le chef des affaires humanitaires admet que les Nations Unies ont peut-être bien besoin de changer
Il avait aussi dit que mettre l’accent sur des actions concrètes issues du Sommet humanitaire mondial était « ennuyeux », « banal » et « irréaliste ».
Dimanche, pourtant, lors de la présentation du rapport du Groupe de haut niveau sur le financement humanitaire, l’homme politique britannique qui dirige le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA) avait changé de discours.
« Le sommet présentera un éventail concret d’actions et d’engagements qui nous permettront, aux Nations Unies, aux États membres, aux populations touchées, à la société civile, au secteur privé, aux jeunes et à la communauté humanitaire dans son ensemble, de mieux nous préparer et de mieux réagir à ces évènements », a-t-il dit.
Reconnaissant que le rapport formulait de « franches critiques » et soulignait que « les querelles de territoire, les limites mal définies de l’humanitaire et d’autres actions, qui s’effectuent de manière cloisonnée, ainsi que les questions relatives aux données [étaient] des obstacles », il a salué « ces remarques honnêtes et critiques qui vont non seulement nous pousser, mais nous autoriser à changer. »
« Pour être franc, je sais que nous pouvons faire bien plus pour réduire les dépenses et les charges administratives de notre système. Mais je sais aussi qu’il est difficile de changer, surtout [dans un système] d’une telle ampleur et d’une telle complexité. »
« Car nous dévoilons des risques et des mesures d’incitation de nature institutionnelle, tant du côté des humanitaires que des bailleurs de fonds, mais si les choses sont faites correctement, avec bonne volonté, cela conduira a de meilleurs résultats pour les populations dont le sort nous préoccupe et que nous avons tous pour tâche de servir. »
« Nous sommes tous déterminés à faire de notre mieux avec des ressources extrêmement précieuses et l’élan viendra du plus haut niveau de nos organisations et se répandra dans l’ensemble du système sous l’impulsion du secrétaire général. »