L’Ouganda fait partie des meilleurs endroits où vivre pour les réfugiés et les demandeurs d’asile. Le pays leur accorde le droit de travailler, de se déplacer librement et d’accéder aux services sociaux — cette politique progressiste a été largement saluée par la communauté internationale.
En théorie, les réfugiés ne sont pas obligés de rester enfermés dans les grands camps installés aux frontières du pays. Mais, en pratique, bon nombre d’entre eux n’ont pas les compétences ou les moyens nécessaires pour trouver un emploi ou monter une affaire à l’extérieur des camps de réfugiés tentaculaires.
L’Ouganda accueille actuellement plus d’un million de réfugiés et de demandeurs d’asile, et notamment plus de 800 000 Sud-Soudanais, dont 572 000 sont arrivés depuis juillet 2016, fuyant la guerre civile et la crise alimentaire qui s’aggrave dans leur pays. La grande majorité de ces personnes sont hébergées dans les camps de réfugiés établis dans le nord de l’Ouganda. Sur place, on leur a alloué des parcelles de terre et fourni des matériaux pour construire un logement rudimentaire. Elles reçoivent également une aide alimentaire et un accès à des services de santé et d’éducation de base.
« Selon la politique d’accueil des réfugiés en Ouganda, vous recevez de l’aide lorsque vous êtes dans le camp », a expliqué Moses Nsubuga, du Refugee Law Project, une organisation non gouvernementale (ONG) basée à Kampala. « Dès l’instant où vous quittez le camp pour vous établir dans un centre urbain, comme Kampala, ils s’attendent à ce que vous vous débrouilliez tout seul ».
Fuite
Kampala accueille actuellement 90 000 réfugiés et demandeurs d’asile, en grande partie originaires de République démocratique du Congo, du Burundi et de Somalie. Selon le gouvernement, les chiffres ont augmenté de plus de 20 pour cent depuis l’année dernière. Les Sud-Soudanais, qui ont tissé des liens étroits avec l’Ouganda au cours des troubles qui ont secoué leur pays pendant 60 ans, sont au nombre de 10 776, d’après le Bureau du Premier ministre.
Joyce Keji* et ses quatre enfants ont fui le Soudan du Sud et rejoint l’Ouganda quand les combats ont repris entre les forces fidèles au président Salva Kiir et celles de son vice-président de l’époque, Riek Machar, en juillet 2016. Le dernier coup a été porté par les soldats du gouvernement qui ont pillé son logement à Juba, la capitale, et menacé sa vie. « Ils sont entrés et ils ont cassé l’armoire, pris des choses dans les chambres de mes enfants, les matelas et les clés de la voiture », s’est-elle souvenue. « Ils ont tout pris ».
Joyce est partie pour la capitale ougandaise avec ses enfants, tandis que son mari, ingénieur, est resté à Juba. Mais l’installation à Kampala n’est pas facile. Elle vit avec une connaissance et fait des ménages pour gagner de l’argent, mais cela lui suffit à peine. « Quand je suis arrivée, cela a été dur pour moi. Je ne connaissais pas la ville et tout était difficile », a-t-elle dit à IRIN. « Aujourd’hui, je m’y habitue, au moins, [mais] nous souffrons. La sécurité, ça va, mais on a faim ».
Formation en coiffure
Mme Keji était vendeuse sur un marché de Juba, elle a donc une expérience du commerce. Elle a mis tous ses espoirs dans une formation en coiffure proposée par le Service jésuite des réfugiés (JRS) pour se tailler une place à Kampala.
Dans le petit salon de coiffure du JRS, certains apprennent les techniques de tressage et de tissage, pendant que d’autres jouent les modèles pour la dernière leçon de style.
« J’espère pouvoir suivre la formation, et quand je l’aurai réussie et que j’aurai fini d’apprendre, j’ouvrirai mon propre salon pour gagner de l’argent », a dit Mme Keji. Mais sans capital, cela reste un objectif à long terme.
Les formations peuvent permettre aux nouveaux arrivants de profiter de la politique progressiste d’accueil des réfugiés mise en œuvre par le pays. Mais il serait faux de croire que les réfugiés urbains se remettent sur pied facilement. « Le fait est que la majorité des réfugiés installés en Ouganda arrivent tout juste à survivre », selon David Kigozi de l’Initiative internationale pour les droits des réfugiés.
Mauvais accueil
Beatrice Taban*, une camarade de formation de Mme Keji, est arrivée du Soudan du Sud l’année dernière avec sa tante. Elle est bien consciente des difficultés à surmonter pour survivre en ville. Cela fait presque un an que cette jeune femme de 25 ans n’a pas vu sa mère et ses sœurs qui sont hébergées dans un camp de réfugiés. Mais elle dit qu’il leur serait trop difficile de la rejoindre. « Il y a un problème, si elles nous rejoignent ici », a expliqué Mme Taban. « Ici, il faut payer les factures et c’est très difficile. Si je trouve du travail et que je m’en sors bien, elles pourront venir me voir ».
Le conflit qui se joue de l’autre côté de la frontière nuit à l’économie ougandaise. Le ministère des Finances a mis en garde contre un ralentissement du marché des exportations, traditionnellement dynamique, après l’effondrement de la demande au Soudan du Sud. Entretemps, un épisode de sécheresse a entraîné une hausse du prix des produits alimentaires. Avec un taux de chômage des jeunes à 22 pour cent, il devient de plus en plus difficile de gagner sa vie en ville. « Les Ougandais n’ont déjà pas de travail, alors il est difficile pour les réfugiés d’en trouver », a expliqué M. Nsubuga du Refugee Law Project.
Outre les difficultés économiques, les Sud-Soudanais de Kampala doivent faire face à l’accueil glacial de certains habitants, qui ont une image négative de leurs voisins du Nord. « [Ceux] qui viennent sont très riches, ils s’installent à l’hôtel et ils ne partent pas », a dit un conducteur de moto-taxi, évoquant les stéréotypes sur les Sud-Soudanais agressifs et tape-à-l’œil avant la guerre civile. C’est une image basée sur les ministres et les chefs militaires qui, après l’indépendance de 2013, ont acheté des propriétés et installé leur famille à Kampala pour bénéficier d’un style de vie agréable.
Cependant, selon Augustine Gatwal, un Sud-Soudanais qui vit principalement en Ouganda depuis 2007, ces stéréotypes ne correspondent pas au profil des réfugiés qui fuient la crise actuelle. « J’estime qu’environ 50 pour cent des ménages sud-soudanais de Kampala sont partis s’installer dans les camps de réfugiés, car ils n’ont plus les moyens de payer un loyer et d’envoyer leurs enfants à l’école », a-t-il dit à IRIN.
Problèmes plus graves
M. Gatwal dirige la Young-adult Empowerment Initiative, une organisation caritative qui aide les femmes et les jeunes originaires du Soudan du Sud à s’adapter à la vie dans les camps de réfugiés et à Kampala. « Nous travaillons sur des questions liées à la paix, car quand ils arrivent, ils se montrent très hostiles », a-t-il expliqué. « C’est très difficile de s’adapter à un environnement paisible et bon nombre d’entre eux souffrent de traumatismes liés à la guerre et ont été témoins de beaucoup d’évènements qui les ont choqués ».
Mais ce n'est pas ce qui met le plus en péril la politique de la porte ouverte aux réfugiés de l’Ouganda. Le mois dernier, le Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, Filippo Grandi, a prévenu que le pays risquait d’être submergé par l’ampleur du flux de réfugiés sud-soudanais et qu’il était urgent que la communauté internationale renforce ses contributions financières.
Le HCR a lancé un appel de fonds d’environ 501 millions de dollars pour financer ses opérations en Ouganda cette année. Pour l’instant, il n’a reçu que 73 millions de dollars — soit 15 pour cent de la somme demandée. « Nous atteignons le point de rupture. L’Ouganda ne peut plus gérer seul la plus importante crise en Afrique », a dit M. Grandi.
* Nom d’emprunt
cm/oa/ks-xq/ld
PHOTO D’EN-TÊTE : Kampala. CRÉDIT PHOTO : Weescam2010