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La Libye toujours en attente de justice

Visitors, including ex-prisoners and family members, roam through the cells of Libya's notorious jail, Abu Salim, during an exhibit marking the anniversary of a 1996 massacre of an estimated 1,200 inmates by their guards (file photo) Iason Athanasiadis/UNSMIL
Chaque fois qu'un ascenseur s'arrête entre les étages ou qu'il entend le bruit de serrure d'une porte qui se ferme, le cour d'Ali Elakermi s'emballe. Des plus de trente années qu'il a passées comme prisonnier politique dans la fameuse prison libyenne d'Abu Salim, il a conservé la phobie des espaces confinés.

Il en garde également de nombreuses cicatrices. M. Elakermi a été battu et torturé suite à son arrestation en 1973, à 22 ans, au motif qu'il était membre d'un parti politique islamique lors d'une purge visant notamment les intellectuels et les islamistes orchestrée par le chef de l'État d'alors, Mouammar Kadhafi.

Ses bourreaux le coupaient avec des lames de rasoir, et frottaient ses blessures avec du sel. M. Elakermi et d'autres détenus de la prison de Tripoli ont été forcés à écouter des enregistrements de discours du colonel Kadhafi durant des heures.

« Ils les passaient toute la journée. Ensuite ils passaient des chansons militaires. Certains prisonniers sont devenus fous », a dit M. Elakermi. Pour garder toute sa tête, il a enseigné le français à un codétenu Italien qui, en échange, lui a appris l'italien.

Libéré en 2002, M. Elakermi est le deuxième prisonnier politique libyen à avoir passé le plus d'années derrière les barreaux. L'une des personnes qu'il blâme pour son supplice paraîtra devant le tribunal de Tripoli le 19 septembre.

Abdallah Al-Senoussi, l'ancien chef des renseignements militaires libyens et beau-frère du colonel Kadhafi, est accusé de crimes à la prison d'Abu Salim, notamment d'avoir orchestré le massacre de plus de 1 200 prisonniers en 1996. Environ 21 autres personnes du premier cercle de Mouammar Kadhafi devraient comparaître avec lui au banc des accusés, notamment son fils, Saïf Al-Islam. (Mouammar Kadhafi a été tué en 2011).

L'audition est purement administrative. Les procureurs remettront officiellement le détail de leurs enquêtes à la chambre d'accusation, dont les juges examineront les preuves pour la première fois et décideront si ces affaires doivent déboucher sur un procès.

Les chefs d'accusation officiels ne sont pas encore clairs, mais il est probable que soient retenus le meurtre, la persécution, l'incitation au viol et l'incitation au meurtre de civils et de manifestants lors du printemps arabe libyen. Les autres chefs d'accusation pourraient inclure la corruption financière, le détournement de fonds publics et l'introduction de mercenaires depuis l'étranger.

Les tribunaux se disputent le procès

L'audience sera suivie avec intérêt - et inquiétude - par les procureurs de la Cour pénale internationale (CPI) à La Haye, où MM. Senoussi et Saïf Al-Islam Kadhafi sont également accusés du meurtre et de la persécution de manifestants à Tripoli, Zaouïa, Benghazi, Misrata et ailleurs en Libye lors de la révolution de février 2011.

La CPI a été instaurée pour juger les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité dans des pays où l'État ne veut pas ou ne peut pas le faire. Mais la Libye soutient qu'elle est en mesure de tenir des procès équitables et a contesté la recevabilité du dossier de la CPI.

La Cour ne l'entend pas de cette oreille. Au terme de longues querelles juridiques, les juges ont débouté la Libye de sa demande de garder M. Kadhafi au mois de mai - une décision définitive reste encore à prendre concernant M. Senoussi.

Bien que la Libye ne soit pas un membre de la CPI, la Cour est intervenue à la demande du Conseil de sécurité des Nations Unies.

« Certains gardiens, je les pardonne. Le gardien qui m'a battu, je le pardonne. Mais il y a certains crimes qui sont impardonnables »
Cependant, les chances sont faibles que l'un ou l'autre de ces hommes comparaisse à La Haye dans un avenir proche.

« La Libye a clairement indiqué qu'elle ne les remettrait pas », a dit Hanan Salah, chercheuse sur la Libye chez Human Right Watch (HRW).

« C'est très déconcertant de les entendre dire publiquement qu'ils ne les remettraient en aucun cas à la CPI, alors qu'ils ne sont pas capables de prouver qu'ils sont en mesure et ont la volonté de conduire un procès équitable. La Libye est obligée de coopérer avec la CPI. C'est un vrai problème s'ils ne le font pas ».

Opinion publique

Dans les rues de Tripoli, où les pannes d'électricité et les coupures d'eau sont monnaie courante et où l'insécurité est en hausse en raison de milices hors de contrôle, un habitant a dit qu'il doutait que le gouvernement se risque à contrarier davantage une population déjà excédée en remettant MM. Kadhafi et Senoussi.

« Il est peu probable que le gouvernement les remette à La Haye, car ils subissent une forte pression de la rue », a dit Omar Almosmary, un journaliste originaire de Benghazi. « Les Libyens seraient très déçus s'ils les remettaient à la CPI car ils ont envie de vengeance ».

L'analyste politique libyen Tarek Magerisi est également d'avis que l'opinion publique souhaite que MM. Kadhafi et Senoussi soient jugés en Libye où, s'ils sont déclarés coupables, ils seront exécutés.

« Tout le monde serait furieux s'ils étaient envoyés à La Haye, et la dernière lueur d'espoir que les gens ont dans le gouvernement s'évanouirait » a dit M. Magerisi. « Les gens les accuseraient de s'aplatir devant la communauté internationale ».

« L'impression populaire est que la CPI n'est pas un vrai tribunal, que le procès va durer huit ans, qu'ils seront déclarés coupables de crimes commis contre des étrangers, pas contre les Libyens, et qu'ensuite ils seront placés dans une cellule tout confort ».

M. Elakermi, qui raconte avoir entendu certains de ses codétenus se faire brutalement assassiner durant le massacre d'Abu Salim, espère un procès local pour M. Senoussi.

« En tant que victime, je préférerais que ce monsieur soit jugé en Libye », a-t-il dit.

« Il devrait pouvoir faire valoir toutes les possibilités qu'il a de se défendre. Tout devrait être clair et équitable. Il a droit à un procès équitable, mais doit payer pour ce qu'il a fait. Certains gardiens, je les pardonne. Le gardien qui m'a battu, je le pardonne. Mais il y a certains crimes qui sont impardonnables ».

Tribunaux populaires

Un système judiciaire chaotique et dysfonctionnel dans lequel les juges et les avocats sont quotidiennement menacés ne permet pas d'offrir un procès équitable à l'un ou l'autre de ces hommes, selon HRW. Mme Salah a cité l'agression récente à Misrata d'une avocate travaillant sur une affaire d'enlèvement d'enfant.

« Elle a été brutalement agressée devant le tribunal après avoir quitté l'audience, et son père a été enlevé et torturé », a dit Mme Salah.

Mme Salah a rencontré des partisans de Kadhafi après la chute de Tripoli qui n'ont jamais vu d'avocat ou de juge.

Saïf Al-Islam Kadhafi lui-même a été retenu deux ans dans une prison de Zintan sans avocat. Mme Salah a dit qu'il était peu probable qu'un avocat libyen accepte de le défendre s'il reste à Zintan, où il est détenu par la milice Alajmi Ali Ahmed al-Atri qui l'a capturé. La milice refuse de le remettre à Tripoli, sans parler de la CPI.

Dans une autre affaire, Alajmi Ali Ahmed al-Atri a accusé M. Kadhafi d'atteindre à la sécurité nationale en rencontrant quatre représentants de la CPI. Ce dossier a été ajourné à de nombreuses reprises, le personnel de la CPI n'étant pas sur place pour répondre aux accusations portées contre lui.

Les problèmes du système judiciaire libyen sont source de vive inquiétude pour les analystes tels que M. Magerisi, qui estime que les régler devrait être une priorité.

« La prévalence de la loi est nécessaire », a-t-il dit. « Nous ne pouvons pas avoir de tribunaux populaires. Ils prouvent que cette révolution n'est pas différente de celle de [Mouammar] Kadhafi ».

De retour à Tripoli, Ali Elakermi a d'autres priorités. Il a fondé la Libyan Association for the Prisoners of Opinion (Association libyenne pour les prisonniers d'opinion), et est déterminé à s'assurer que la jeune génération n'oublie pas ce qui s'est passé dans des endroits comme Abu Salim. Il y emmène des visiteurs, y compris sa jeune fille, pour leur expliquer ce qui s'y est passé.

« Nous voulons leur montrer le prix qu'on a payé, et qu'ils doivent protéger la révolution », a-t-il dit. « C'est facile de détruire un régime, mais difficile d'en construire un autre. Nous devons faire de notre mieux pour la réconciliation. Mais M. Senoussi, personne ne le pardonne en Libye. Aux mères qui ont perdu leurs enfants, comment voulez-vous leur demander de pardonner ? »

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This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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