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« La peur a changé de camp »

Guineans say they still face abuses by police and gendarmes. This man said his son was shot dead by a gendarme during clashes on 22 September 2012 Nancy Palus/IRIN
Guineans say they still face abuses by police and gendarmes. This man said his son was shot dead by a gendarme during clashes on 22 September 2012
Trois ans après le massacre perpétré au stade de Conakry (capitale de la Guinée), dont le bilan s’élève à plusieurs centaines de morts, de blessés et de femmes violées, la fin de l’impunité semble avoir sonné pour les militaires responsables de la répression des manifestations contre la candidature à l’élection présidentielle d’un militaire putschiste, Moussa Dadis Camara.

Victime d’une tentative d’assassinat en décembre 2009, M. Camara a quitté le pouvoir, ouvrant ainsi la voie à l’organisation des premières élections présidentielles démocratiques crédibles : en décembre 2010, Alpha Condé a été élu président. Depuis, le report répété des élections législatives s’est traduit par un accroissement des tensions dans la capitale et des affrontements ont éclaté entre l‘opposition et les partisans du gouvernement le 21 septembre.

En février, la justice guinéenne a inculpé un haut responsable de l’armée, le colonel Moussa Tiégboro Camara, pour son rôle présumé dans le massacre perpétré au stade le 28 septembre 2009.

Après le massacre, les violences se sont poursuivies. Le jeune guinéen Thierno Ousmane Diallo est l’un des hommes qui auraient été torturés par des gendarmes en 2010 après les troubles survenus dans le cadre d’une campagne houleuse pour l’élection présidentielle.

Cette année, les groupes de défense des droits de l’homme nationaux et internationaux ont déposé plainte pour ces violences et les graves répressions des manifestations par les forces de sécurité en 2007. En mai 2012, la justice guinéenne a pris deux réquisitoires introductifs permettant ainsi l’ouverture d’informations judiciaires relatives aux actes de torture de 2010.

Les inculpations prononcées en mai se sont inscrites dans le cadre d’une série d’actions en justice que les Guinéens auraient jugées « impensable » il y a seulement deux ans.

Aujourd’hui, M. Diallo perçoit un léger changement de ton chez les responsables de la sécurité qui s’expriment à la radio. « Je note une légère différence », dit-il. « Ils n’ont plus l’air aussi sûrs d’eux ».

Ce nouveau ton est peut-être l’une des manifestations de ce que les Guinéens perçoivent comme le présage d’un changement dans la lutte pour la primauté du droit.

Le 13 septembre 2012, un autre responsable militaire, le colonel Abdoulaye Chérif Diaby, a été inculpé pour sa participation présumée au massacre perpétré au stade. Les deux responsables figurent parmi les personnes qui pourraient être déclarées pénalement responsables, selon une commission d’enquête des Nations Unies.

« Les actions en justice intentées contre certains responsables de la sécurité – dont plusieurs étaient considérés comme intouchables – ont semé le doute dans l’esprit de ceux qui, par le passé, auraient pu commettre des violences sans y réfléchir à deux fois », a dit Hassane II Diallo, un magistrat de Conakry qui dirige un projet de réforme judiciaire pour le ministère de la Justice.

Depuis l’obtention de son indépendance il y a 54 ans, la Guinée a enregistré d’innombrables actes de torture, de viols et d’autres violations commises par les forces de sécurité en toute impunité. Le seul fait que la justice guinéenne ait prononcé des inculpations est remarquable, selon les Guinéens.

Mamadou Alpha Barry, agent des communications à la Gendarmerie, a dit à IRIN : « Je ne peux rien dire sur la lutte contre l’impunité. Cela concerne le ministère de la Justice. Je peux uniquement parler de sécurité … Des réformes sont mises en application au sein des forces de sécurité. Nous travaillons avec la population, et les relations entre les forces de sécurité et la population sont bien meilleures ».

« Germe du doute »

Si les inculpations prononcées à l’encontre des responsables anciens et actuels ont « semé le doute » dans l’esprit des membres des forces de sécurité, elles rassurent les victimes et renforcent leur détermination à porter plainte contre leurs agresseurs, ont dit à IRIN des personnes blessées lors des violences perpétrées dans le stade et à d’autres occasions.

« La peur a changé de camp », a dit Aliou Barry, président de l’organisation de défense des droits de l’homme ONDH [Observatoire national des droits de l’homme], qui a été violemment battu par des soldats lors des violences survenues lors des élections en 2010. « Les autorités sont désormais conscientes que la justice peut être rendue en Guinée.

« J’ai tout simplement été étonné qu’un juge guinéen nous reçoive », a-t-il dit. « On n’en avait jamais entendu parler ici ». Il a indiqué que les progrès réalisés dans le secteur de la justice avaient encouragé les victimes à ne pas céder aux manipulations et à ne pas accepter l’argent proposé en échange de leur silence ; autrefois, les familles les acceptaient, car elles ne voyaient pas l’intérêt de s’adresser à la justice.

Une femme qui a préféré conserver l’anonymat a montré aux journalistes d’IRIN les cicatrices sur ses bras et ses jambes, indiquant que des soldats l’avaient attaquée à coups de couteau alors qu’ils la violaient dans le stade le 28 septembre 2009. Elle a dit qu’elle était déterminée à témoigner et à faire tout ce qu’il fallait pour que justice soit rendue.

« Mon souhait le plus cher est de voir mes violeurs derrière les barreaux », a-t-elle dit à IRIN. « Je me bats pour retrouver ma dignité ».

Il serait faux de dire que les victimes n’ont plus peur ou que les forces de sécurité ne commettent plus d’abus. M. Diallo, qui a été torturé, indique qu’il reçoit régulièrement des menaces en personne et par téléphone depuis que des inculpations ont été prononcées. Certains des responsables inculpés, comme M. Camara, ont gardé leur poste au sein du gouvernement.

La Guinée n’a pas toujours mis en place de mécanisme visant à protéger les victimes et les témoins, selon Louis-Marie Bouaka, directeur adjoint du Bureau des Nations Unies aux droits de l’homme en Guinée.

« La justice guinéenne ne changera pas en un jour », a indiqué la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) dans un récent rapport. « Mais un climat différent semble désormais prévaloir » au sein de la justice, du pouvoir exécutif et de la société civile.

La FIDH travaille en collaboration avec des groupes de défense des droits de l’homme et a déposé des plaintes au nom des victimes de torture et d’autres actes de violence.

Une barre placée très bas

Le juge Diallo dit qu’il n’y « qu’en Guinée » que les inculpations et l’ouverture d’enquêtes criminelles étonnent.

« Nous partons de tellement loin – la barre est placée très bas », a-t-il dit. « Ces efforts sont loin d’être suffisants. Tant que ces inculpations ne seront pas suivies d’actes concrets, personne ne prendra les autorités au sérieux ».

Selon Foromo Frédéric Loua, avocat et président de l’organisation non gouvernementale (ONG) juridique guinéenne Mêmes Droits pour Tous (MDT), les inculpations ne veulent pas dire grand-chose. « Rien n’a été fait de manière officielle pour véritablement poursuivre les personnes coupables de violations des droits de l’homme. Il y a encore beaucoup à faire. Et les violations se poursuivent ».

En effet, bon nombre de Guinéens disent qu’ils continuent à subir des mauvais traitements de la part de la police et des gendarmes. Ils ne perçoivent pas de changement de climat ou de progrès dans la lutte contre l’impunité. Les journalistes d’IRIN se sont entretenus avec les familles de deux jeunes hommes abattus pendant les troubles des 21 et 22 septembre – par des gendarmes, selon les familles des victimes.

Confirmer les avancées

Le secteur de la justice, qui fait face à un manque important de personnel et de ressources matérielles, a encore beaucoup à faire.

Ce n’est qu’en août 2012 que les juges guinéens qui enquêtaient sur le massacre du 28 septembre 2009 ont reçu du matériel, comme des ordinateurs et d’autres équipements nécessaires à leur travail.

Seulement 0,29 pour cent du budget national est alloué à la justice, selon le juge Diallo.

« La justice est toujours sous-financée », a dit Corinne Dufka, une chercheuse africaine de Human Rights Watch (HRW), qui a mené une étude approfondie sur l’impunité en Guinée. « Pour améliorer la primauté du droit, il faut disposer de fonds adéquats, former et équiper la police ; il faut financer la justice ».

Dans une déclaration datée du 27 septembre, HRW a indiqué que les juges chargés des enquêtes sur le massacre du 28 septembre ont fait « d’importants progrès », notamment en interrogeant plus de 200 victimes et en inculpant M. Camara et M. Diaby.

HRW indique toutefois que « plus de 100 victimes attendent de pouvoir faire leur déposition auprès des juges d’instruction, et une enquête doit encore être réalisée sur de possibles fosses communes ». Les juges n’ont toujours pas interrogé Moussa Dadis Camara, qui était au pouvoir en Guinée après le coup d’État militaire de décembre 2008, et le capitaine Claude Pivi, que les groupes de défense des droits de l’homme accusent d’avoir participé aux violences et qui occupe toujours son poste de ministre de la Sécurité présidentielle.

np/aj/cb-mg/amz


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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