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Des milliers de personnes craignent encore de rentrer chez elles

A group of women from Tawergha. Some say they have sons or family members who were taken by militias to detention centres in Misrata Zahra Moloo/IRIN
Six mois après le soulèvement qui a mis fin au régime de Mouammar Kadhafi, des milliers de Libyens déplacés vivent toujours sur des chantiers de construction abandonnés, dans des dortoirs d’étudiants vides ou avec des familles d’accueil et ont trop peur pour rentrer chez eux.

« On veut rentrer, mais on ne peut pas », a dit Abdul Aziz al-Irwi, qui habite le camp de Sidi Slim, dans la capitale, Tripoli. « Des gens d’un autre camp ont essayé de rentrer chez eux il y a à peu près deux mois, mais environ sept d’entre eux ont été capturés et emprisonnés par des forces de Zintan. »

M. Al-Irwi appartient à la communauté Mashaashia, un groupe ethnique originaire des montagnes Nefusa, dans l’ouest de la Libye. Pendant le soulèvement, les membres de cette tribu ont été pris pour cible par les rebelles de Zintan, qui les accusaient, semble-t-il, d’être alliés aux forces pro-Kadhafi. Zintan est une petite ville située dans la région des montagnes Nefusa.

« Je suis ici parce que les forces de Kadhafi sont venues à Mashaashia et nous avons dû partir », a-t-il dit à IRIN. « Elles ont utilisé notre ville pour bombarder d’autres régions. Nous nous sommes réfugiés à Gharyan, et ensuite à Tripoli. »

Selon les données du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), environ 14 500 personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays (PDIP) vivaient à Tripoli en mars dernier. Dans l’ensemble du pays, le nombre de personnes qui sont toujours déplacées est estimé à 70 000.

Outre les Mashaashia, on compte parmi elles des Qawalish, qui sont également originaires des montagnes Nefusa, des Tawergha, un groupe de familles touarègues de l’ouest du pays, et des habitants d’Al-Zawiya, de Bani Walid et de Syrte qui sont considérés comme loyaux à l’ancien régime.

Les Tawergha représentent une bonne partie des déplacés qui vivent à Tripoli et à Benghazi. Les membres de cette communauté ont été accusés d’avoir participé à l’assaut mené par Kadhafi sur Misrata et d’avoir tué et violé des milliers de personnes. Des attaques de représailles se sont ensuivies et ont forcé tous les habitants de la ville [de Tawergha], c’est-à-dire plus de 30 000 personnes, à fuir leur foyer. La question de la responsabilité des Tawergha dans l’assaut de Misrata demeure particulièrement sensible dans la Libye post-Kadhafi.

Jusqu’à récemment, les Tawergha, cette minorité à la peau foncée – des anciens esclaves qui ont été amenés en Libye au XVIIIe et au XIXe siècle – vivaient dans la ville côtière du même nom située à 250 kilomètres à l’est de Tripoli. Maintenant que les rebelles sont au pouvoir, les Tawergha sont aux abois. Le panneau qui mène à leur ville indique désormais New Misrata (Nouvelle-Misrata) et la population a reçu l’ordre de ne pas revenir.

Besoins et sécurité

Selon le HCR, entre 100 et 150 000 personnes étaient déplacées en octobre 2011, mais ce nombre a diminué progressivement depuis. De nombreuses personnes sont en effet rentrées chez elles, et notamment à Bani Walid et à Syrte.

Des responsables du camp de Sidi Slim ont dit que les conditions étaient difficiles et que les vivres livrés chaque mois par les organisations d’aide humanitaire et Libaid, le bras humanitaire du gouvernement libyen, n’étaient pas suffisants pour nourrir les familles.

« À notre avis, la nourriture n’est pas un problème », a dit à IRIN Muftah M Etwilb, qui est à la tête de Libaid. « Il y a d’autres besoins comme l’éducation, la santé et la protection. Les soins de santé sont gratuits pour tous les Libyens, mais, dans les camps, certaines personnes ont besoin de services de santé immédiats d’un dispensaire. L’autre problème, c’est l’hébergement. Nous essayons d’inciter le gouvernement à proposer des solutions d’hébergement alternatives, car certains de ces camps appartiennent à des entreprises internationales. »

La protection des communautés déplacées, en particulier contre les milices armées qui continuent d’arpenter les rues des grandes villes, demeure l’un des plus grands défis à relever pour le gouvernement de transition.

« Depuis le mois d’août 2011, nous sommes victimes de détentions et d’attaques arbitraires », a dit à IRIN Abdelrahman Mahmoud, qui dirige le conseil local des Tawergha à Tripoli. « Si Tripoli est sûre, alors les camps le sont aussi, mais si la ville n’est pas sûre, nous ne sommes pas en sécurité non plus. »

En février, des milices ont attaqué l’Académie de la Marine, où environ 2 000 Tawergha avaient trouvé refuge. Ils ont tué sept personnes et ont enlevé trois hommes. Des témoins affirment que les miliciens étaient originaires de Misrata.

« Les gardes de l’Académie de la Marine n’étaient pas armés. Quand les brigades de Misrata sont entrées avec leurs armes, ils se sont simplement écartés pour les laisser passer », a dit à IRIN Emmanuel Gignac, directeur du HCR en Libye. « Nous assistons maintenant à des cas individuels, à l’intérieur ou à l’extérieur des camps, [et ciblant] par exemple les Tawergha, notamment des kidnappings contre rançon. On peut attaquer les gens de Tawergha en toute impunité. »

Amnesty International et d’autres groupes ont également documenté des témoignages de Mashaashia et de Qawalish vivant à Tripoli, qui ont dit qu’ils avaient été détenus et torturés par des miliciens.

Responsabilité

On entend souvent dire par les Libyens ordinaires et les organisations d’aide humanitaire que le gouvernement doit assumer ses responsabilités pour une foule de problèmes : les déplacements internes ne font pas exception. Afin de déterminer les besoins humanitaires des PDIP dans l’ensemble du pays, Libaid organisera, en mai, une conférence nationale rassemblant des représentants de ministères, d’organisations d’aide humanitaire et des personnes déplacées.

« La question n’est pas négligée, mais ce n’est pas non plus la priorité numéro un en Libye. Les autorités doivent également gérer les problèmes de sécurité et organiser les élections à venir », a dit M. Etwilb. « Or, nous voulons nous assurer que la question des PDIP figure à l’ordre du jour du gouvernement. »

Un porte-parole du ministère des Affaires sociales à qui IRIN a demandé de commenter l’affaire a dit : « Nous avons créé un fond qui permettra aux personnes qui souhaitent louer une maison à l’extérieur des camps d’obtenir 400 dinars [320 dollars] par mois », a dit Naima Etaher. « En ce qui concerne les non-Tawergha, une grande partie de leurs maisons n’ont pas été détruites et ils peuvent rentrer chez eux sans problème, mais ils restent dans les camps pour profiter de ce qui leur est offert par le gouvernement. »

Les familles qui vivent dans le camp de Sidi Slim voient les choses différemment.

Dans la chaleur suffocante d’une pièce occupée par une famille Mashaashia, des gens se rassemblent pour regarder une vidéo sur un téléphone portable. Ils affirment qu’elle montre les édifices détruits de leur ville natale. « Je veux rentrer chez moi. Nous vivons à Mashaashia depuis plus de 1 200 ans », a dit Khalifa Saad Mabrouk, en traçant avec son doigt sur le sol la disposition de sa ferme. « J’ai mes arbres ici, et mes maisons et ma terre là. »

Lorsqu’IRIN a demandé à M. Mabrouk et à sa famille s’ils considéraient la possibilité de rester à Tripoli ou de s’installer ailleurs, leur réponse était sans équivoque. « Absolument pas. Même si les conditions ici sont décentes, nous voulons rentrer chez nous. »

Réconciliation

Selon les observateurs, aucun effort n’a encore été fait pour atténuer les tensions politiques sous-jacentes qui alimentent l’animosité entre les différents groupes et empêchent la réconciliation. C’est pourtant l’apaisement de ces tensions qui permettra de déterminer quand les personnes déplacées pourront retrouver les foyers qu’elles ont abandonnés.

La conférence organisée par Libaid a pour objectif de s’attaquer aux besoins humanitaires à court terme des populations déplacées, mais pas aux questions politiques. « Nous prenons soin de ne pas donner un caractère politique à la conférence », a dit M. Etwilb. « Il y a un risque si nous faisons en sorte qu’elle soit très ouverte. »

De la même façon, les « comités de réconciliation » mis sur pied récemment par le gouvernement afin de restaurer les relations entre les différentes communautés peuvent seulement résoudre des différends mineurs. « Nous essayons de sortir les gens de prison, mais nous ne pouvons pas faire grand-chose pour ceux qui ont tué, violé ou volé », a dit à IRIN Naji Regebi, membre de l’un des comités. « Les questions les plus graves doivent être examinées par le système de justice. »

Certains Tawergha, comme Ismael Shaaban, un ancien qui vit dans le camp de Fallah Ladco, à Tripoli, croient que les deux partis devraient aller devant les tribunaux. « Nous remettrons entre les mains du gouvernement libyen toute personne trouvée coupable, mais nous souhaitons également que ceux qui ont torturé et exploité des Tawergha soient traduits en justice », a-t-il dit.

D’autres, comme Khadija Absalaam (nom d’emprunt), dont les trois fils ont, selon ses dires, été détenus à Misrata, sont plus sceptiques. « Nous ne voulons pas faire la paix avec les habitants de Misrata, nous voulons seulement qu’il y ait un mur entre nos deux villes », a-t-elle dit. « Nous pouvons vivre sans communiquer. »

En réponse aux préoccupations soulevées par Human Rights Watch concernant la torture généralisée et les crimes commis dans les centres de détention contre les Tawergha, le conseil local de Misrata a nié toute responsabilité : « Les détenus sont bien traités dans les prisons de la ville... de nombreux crimes ont été injustement et faussement attribués aux révolutionnaires de Misrata. »

À long terme, la réconciliation entre les habitants de Tawergha et de Misrata devra se fonder sur un processus de justice formel et entièrement fonctionnel. Or, étant donné que le gouvernement est encore en train de « s’installer », pour reprendre le terme employé par un responsable, il faudra probablement attendre jusqu’après les élections qui doivent se tenir en juin prochain. Et même alors, une véritable réconciliation sur le terrain risque de prendre du temps.

« Même si les questions humanitaires sont gérées par les organisations, ce n’est pas suffisant », a dit M. Gignac. « Il faut se réconcilier avec le passé et c’est un processus qui risque d’être long. »

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This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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