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Les divisions ethniques menacent le bon déroulement des élections

Some Peulh traders feel they are being targeted by the administration Anna Jefferys/IRIN
Un an après une élection présidentielle qui a profondément divisé le pays et entraîné de violents affrontements, il règne toujours un climat de tensions ethniques en Guinée. Selon les analystes et les fonctionnaires, le président et les leaders de l’opposition devront concerter davantage leurs efforts pour réconcilier les différents groupes ethniques et éviter une autre bataille rangée à l’occasion des élections législatives à venir.

Le scrutin devait avoir lieu à la fin 2011, mais des hauts fonctionnaires ont dit à IRIN qu’il était plus probable qu’il se déroule l’an prochain puisque le recensement, le processus d’enregistrement et d’autres préparatifs clés sont loin d’être terminés.

« Les tensions ethniques ne diminuent pas, elles s’aggravent », a dit Vincent Foucher, chercheur auprès de l’International Crisis Group (ICG), un groupe de réflexion sur les conflits, et auteur d’un rapport intitulé Putting the transition Back on Track [relancer le processus de transition]. « Tout le monde joue la carte de l’ethnicité… des déclarations horribles sont faites par toutes les parties au conflit ».

Le principal parti politique, le Rassemblement du peuple de Guinée (RPG) du président Alpha Condé, est soutenu par l’ethnie malinké, tandis que l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), le parti du principal leader de l’opposition, Cellou Dalein Diallo, est étroitement associée à la communauté peule. Les Peuls constituent l’ethnie dominante en Guinée, suivis des Malinkés et des Soussous.

Favoritisme

Selon Corinne Dufka, chercheuse sur l’Afrique de l’Ouest à Human Rights Watch (HRW), l’administration actuelle a contribué à l’accroissement des tensions ethniques plutôt qu’à leur apaisement. Le président a clairement fait preuve de favoritisme en désignant de nombreux Malinkés à des postes ministériels et à des postes importants dans la fonction publique. Il a également utilisé le système judiciaire – basé sur le droit civil français, le droit coutumier et les décrets – pour discriminer les groupes politiques peuls.

Actuellement, six postes ministériels seulement sont occupés par des Peuls. Les Peuls gèrent notamment le portefeuille de la Jeunesse et celui du Tourisme, tandis que l’armée est dominée par les Malinkés.

De nombreuses personnes craignent que M. Condé soit en train de centraliser le pouvoir autour de l’exécutif. « Par le passé, les présidents ont dû assurer un certain équilibre entre les ethnies dans l’attribution des postes, mais il semble que ce besoin ne soit plus aussi évident aujourd’hui », a dit M. Foucher. Même le leader de la junte militaire [Moussa] Dadis Camara a dû déployer davantage d’efforts pour obtenir le soutien des différents groupes ethniques pendant le court laps de temps qu’il a passé au pouvoir, a-t-il ajouté.

Depuis quelques mois, la rhétorique ethnique est de plus en plus utilisée dans le discours public. Le 21 septembre 2011, le gouverneur de la région de Conakry, Resco Camara, a évoqué l’idée de commander des citernes remplies d’eau de la rivière Mayimbo pour arroser les manifestants. Selon la croyance populaire, l’eau de la rivière serait dangereuse pour les membres de la communauté peule.

Mouctar Diallo, leader des Nouvelles forces démocratiques de Guinée (NFD) et président du Collectif des partis politiques pour la finalisation de la transition, un groupe de partis d’opposition, a dit à IRIN qu’il n’avait jamais vu la Guinée aussi divisée. « Vous dites votre nom et vous savez à quelle ethnie vous appartenez – et c’est ainsi que les gens se définissent. Une stratégie fondée sur l’ethnicité a été introduite dans la politique guinéenne… la situation est très grave ». Il a lui aussi choqué de nombreuses personnes avec des déclarations sans équivoque. Plus tôt cette année, il a dit que le président Condé devrait agrandir ses hôpitaux et ses cimetières pour pouvoir y enterrer ses opposants. Il faisait alors référence aux répressions brutales menées par les forces de sécurité contre des manifestants.

Un vendeur de riz du marché Concasseur, situé dans la capitale, Conakry, a dit à IRIN que les Peuls se sentaient de plus en plus marginalisés dans la société et en politique. Les membres de la diaspora ont fait un certain nombre de déclarations au vitriol : le site internet de nouvelles Guinée Presse a notamment évoqué la possibilité d’une guerre civile imminente et d’un ‘génocide’ planifié contre la communauté peule. « Ils parlent de génocide lorsqu’il y a des arrestations. Des hauts responsables font des déclarations percutantes – c’est inquiétant », a dit M. Foucher.

Les relations tendues entre le parti du président et l’opposition se sont cependant améliorées récemment lorsque M. Condé a rencontré les leaders de l’opposition pour discuter des élections à venir. Le président a décrit la réunion comme « cordiale et enrichissante ».

D’après Moustapha Naïte, directeur général du Patrimoine bâti-public, qui est lié à la présidence, même si les divisions ethniques sont particulièrement prononcées, c’est la pauvreté, et non pas la politique, qui est à l’origine des tensions entre les différentes communautés.

L’économie, pas l’ethnicité

« Les gens confondent les problèmes économiques et les problèmes ethniques. Ce qui préoccupe réellement les gens, c’est l’économie et l’emploi, et on commence à voir une amélioration dans ces deux domaines », a-t-il dit à IRIN, faisant référence à une récente hausse des investissements dans le secteur minier et à une réforme minière qui pourrait permettre d’augmenter de 35 pour cent la part du gouvernement dans le secteur.

« Nous sommes moralement et religieusement engagés en faveur de la réconciliation », a ajouté M. Naïte. « Nous devons entamer un débat sur les problèmes qui ont été posés. Il y a un sentiment de frustration parmi la population et la pauvreté grandissante a exacerbé certaines tensions, mais les racines du problème sont à chercher dans la pauvreté beaucoup plus que dans l’ethnicité ».

Les Guinéens se sont appauvris au cours des 15 dernières années. Selon les Nations Unies, environ 40 pour cent de la population était pauvre en 1995, contre 58 pour cent en 2010.

Oumar Baldet, directeur d’International Alert, une organisation à but non lucratif spécialisée dans la résolution des conflits, est du même avis. « Le principal danger en Guinée, c’est la pauvreté. La majeure partie des richesses du pays se concentre entre les mains d’un pour cent de la population. Il y a beaucoup de corruption, et pourtant, c’est en quelque sorte socialement toléré ».

Mme Dufka, de HRW, a dit que la pauvreté ne devait pas être un facteur de division. « Tous les groupes ethniques ont souffert de la mauvaise gouvernance, de la corruption et de la faiblesse de l’État de droit », a-t-elle fait remarquer.

Mariages, baptêmes

Certains craignent que l’instrumentalisation politique des facteurs ethniques ne se traduise par l’apparition de tensions au sein des communautés où l’inclusion et la tolérance régnaient autrefois. Par exemple, la plupart des mariages et des baptêmes célébrés dans la ville de Conakry étaient traditionnellement des événements rassembleurs auxquels tous les groupes ethniques étaient invités à participer. Mme Dufka a dit à IRIN qu’elle avait récemment entendu parler de cérémonies ouvertes à un seul groupe ethnique.

Sur les marchés, quelques Peuls ont commencé à pratiquer des prix différents en fonction de l’origine ethnique des clients, ont indiqué des commerçants. Les Peuls sont mécontents, car ils considèrent que le gouvernement n’a d’autre objectif que de leur nuire économiquement et politiquement.

Au marché de Concasseur, une femme malinké, qui a demandé l’anonymat, a dit qu’elle avait acheté une bouteille de lait au prix de 18 000 francs guinéens (2,67 dollars) et qu’une femme peule en avait acheté une au prix de 15 000 francs guinéens (2,21 dollars). Elle a toutefois ajouté que la situation était bien pire pendant la période électorale de 2010.

Le président Condé a tenté de mettre fin aux situations de monopole sur le marché des importations, qui est traditionnellement dominé par les Peuls, si bien que certaines personnes se sont senties visées, a dit un vendeur. Nombre de Peuls ont quitté la Guinée pour s’installer en Côte d’Ivoire, un pays voisin, lorsque le président Alassane Ouattara a décidé d’éliminer les taxes imposées aux marchands.

« Si le président Condé avait fait pression en faveur de l’inclusion – ‘travaillons tous ensemble, comment convaincre les Peuls de continuer à investir en Guinée ?’ – cela aurait pu permettre d’atténuer certains de ces problèmes sans porter atteinte à l’économie », a dit Mme Dufka.

D’autres personnes pensent qu’il est grand temps de contrecarrer le pouvoir de ce qu’ils appellent les « mafias », qui manipulent les marchés et fixent les prix. « Le président lui-même dit qu’il faut mettre fin aux monopoles pour qu’il y ait une véritable concurrence sur le marché et que la population puisse en tirer les bénéfices… il n’a pas favorisé un groupe ethnique au détriment d’un autre », a dit M. Diallo, un habitant de Conakry, à IRIN.

Aller de l’avant

Les tensions ethniques couvent depuis longtemps dans le pays, mais nombreux sont les Guinéens qui ont été témoins des effets de la violence dans les pays voisins d’Afrique de l’Ouest, comme la Sierra Leone et le Liberia, et qui souhaitent éviter les violences. Des milliers de réfugiés ont fui en Guinée lorsque la guerre civile a ravagé ces pays. « Les problèmes ethniques ne sont pas des problèmes fondamentaux ici [en Guinée], ils sont liés au pouvoir », a dit à IRIN M. Baldet, d’International Alert.

La diversité est tellement fondamentale pour la plupart des citadins que la politisation de la question ethnique n’aboutirait pas à grand-chose, a dit un journaliste basé à Conakry. « Bien souvent, les Guinéens ont plus d’une femme, chacune appartenant à une ethnie différente. Il n’est pas rare qu’un Guinéen ait une mère peule, une femme malinké et un père soussou ou forestier… il y a une véritable mixité ici ».

Lounceny Camara, président de la Commission électorale indépendante (CENI) en Guinée, a dit à IRIN qu’il espérait que la question ethnique jouerait un rôle moindre lors des prochaines élections législatives. Le problème est que les débats politiques sont toujours extrêmement polarisés dans cette démocratie naissante. « Il n’y a jamais eu de second tour [de vote dans un processus électoral] – il n’y a pas vraiment de juste milieu pour l’instant », a-t-il dit.

Selon l’ICG, les partis politiques devraient, avant le lancement de la campagne, adopter un code de conduite dans lequel ils s’engageraient à éviter tout commentaire risquant d’alimenter les tensions intercommunautaires.

La plupart des experts s’accordent à dire qu’il faut imposer des limites et des règles, mais aussi mettre en œuvre un processus de réconciliation nationale. « Il est plus facile d’avancer en organisant des élections qu’en ouvrant un débat aussi délicat que celui de la réconciliation », a dit M. Baldet à IRIN. « Mais si l’on ne s’occupe pas des problèmes du passé, ils reviendront... l’État a toujours agi dans l’impunité, et il n’y a pas encore eu de catharsis ».

Depuis des années, International Alert entretient un dialogue sur la réconciliation et la construction de la paix avec des personnalités politiques, des chefs religieux, ainsi que des représentants du secteur de la sécurité et d’organisations de la société civile.

« Au départ, le président voulait suivre le modèle [de réconciliation] sud-africain. Mais la réalité du pouvoir l’a rattrapé et a eu raison de ses ambitions », a dit M. Baldet, faisant allusion à la tentative d’assassinat de juillet 2011 contre M. Condé. Selon l’ICG, les ressentiments ethniques ont probablement joué un rôle dans cet événement, et le premier groupe d’inculpés est principalement composé de Peuls.

Le gouvernement a récemment nommé des chefs religieux chargés d’établir une commission de réconciliation pour résoudre les tensions anciennes et s’attaquer aux racines des divisions intercommunautaires. M. Baldet a dit à IRIN qu’il espérait que cette commission serait aussi inclusive que possible.

Mme Dufka soutient cette idée. « Je ne saurais trop souligner l’importance de l’inclusivité », a-t-elle dit. « Cela pourrait aider les Guinéens à se concentrer sur ce qu’ils ont en commun… La corruption et l’impunité affectent tous les Guinéens et tous les groupes ethniques. Les Guinéens oublient souvent cela ».

Mais pour que cette initiative soit réussie, il faut que tous les secteurs de la société s’engagent, a-t-elle ajouté, et parmi les membres de la société civile, nombreux sont ceux qui n’en ont même pas entendu parler.

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This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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