« Il ne s’agissait pas de violences religieuses », a écrit l’auteure et commentatrice politique égyptienne Ahdaf Souief dans le journal britannique “The Guardian”. « Il s’agissait du meurtre de 25 citoyens par l’armée ».
Les affrontements ont éclaté le soir du 9 octobre alors que les Coptes, les chrétiens d’Égypte qui comptent pour environ dix pour cent d’une population de 85 millions d’habitants, protestaient contre l’attaque d’une église chrétienne par des extrémistes musulmans dans le sud du pays, à la fin du mois de septembre. Il s’agit des affrontements les plus meurtriers - 26 personnes ont été tuées et plus de 500 blessées – entre les représentants de l’État et les citoyens depuis le soulèvement populaire qui a forcé le président égyptien Hosni Moubarak à quitter le pouvoir en février.
Les récits des affrontements divergent, mais certains témoins, dont l’actuel prima de l’Église copte orthodoxe Chenouda III, prétendent que le cortège pacifique des manifestants chrétiens a été infiltré par des éléments extérieurs qui ont commencé à jeter des pierres et des cocktails Molotov sur les forces de l’ordre qui encadraient la zone, suscitant une vive réaction de la part des soldats. Les manifestants ont brûlé des véhicules militaires, des voitures et des bus publics, mais ils soulignent que les violences ont éclaté suite à l’attaque des forces de sécurité.
La télévision d’État a lancé un appel aux citoyens égyptiens pour qu’ils « protègent l’armée des voyous chrétiens » - une manœuvre visant à diviser la population sur la base de principes religieux, selon des militants.
Dans un discours diffusé à la télévision le 9 octobre, Essam Sharaf, le Premier ministre du gouvernement de transition, a indiqué que certaines personnes essayaient de semer les germes de la sédition en Égypte afin d’entraver la transition du pays vers la démocratie.
« Ces affrontements nous ont fait revenir en arrière », a-t-il dit.
Photo: Contributor/IRIN |
Les manifestants chrétiens et musulmans dénoncent la mort de civils de confession chrétienne lors des affrontements avec les forces de l’ordre |
Les dirigeants militaires contrôlent le pays depuis la période de transition, avant la tenue des premières élections parlementaires depuis le départ de M. Moubarak en novembre. Les signes d’un report de l’élection se multiplient. (Le 11 octobre, le gouvernement a décidé de reporter indéfiniment les élections de l’Association du barreau – qui devaient se dérouler d’ici à la fin de la semaine – car il a indiqué ne pas être dans la mesure de garantir la tenue d’élections pacifiques).
« Tout le monde sait que le conseil militaire essaye de semer le germe de querelles religieuses pour rester au pouvoir et ne pas abroger la loi d’urgence », a dit à l’Associated Press Maha Adel Qasim, une musulmane qui s’est jointe aux chrétiens qui manifestaient à l’extérieur d’un hôpital où les corps des victimes avaient été transportés.
“Il s’agit en fait d’un argument solide », a dit Nabil Abdel Fatah, un analyste politique réputé du groupe de réflexion local Centre Al-Ahram pour les études politiques et stratégiques.
« Jusqu’à présent, les conditions de sécurité se sont détériorées dans le pays et beaucoup de personnes ne comprennent pas pourquoi. Je pense que l’armée va profiter de cette détérioration des conditions de sécurité pour se maintenir au pouvoir ».
Le ministre de la Défense, Mohamed Hussein Tantawi, qui, de fait, dirige le pays, a dit à plusieurs reprises que l’armée n’a pas pour objectif de rester au pouvoir. Le gouvernement considère au contraire que les violences de la semaine sont le fait de membres de l’ancien parti au pouvoir, qui ont menacé de jeter le pays dans le chaos après s’être vus interdire de participer aux élections pendant cinq ans.
Quoi qu’il en soit, ces violences ne sont pas de bon augure pour la révolution.
Réminiscence de l’ancien régime
On note d’autres signes inquiétants. Dans un geste rappelant la machine de propagande de l’ancien régime, la télévision d’État a indiqué que 19 soldats avaient été tués par des manifestants, sans faire mention de victimes parmi les chrétiens, avant d’annoncer qu’aucun soldat n’avait trouvé la mort (ce point n’a toujours pas été éclairci).
Quelques heures après les affrontements meurtriers au Caire, M. Sharaf a rejeté la faute sur les « mains cachées » - dans un langage rappelant les journées de la révolution.
Photo: Contributor/IRIN |
Un musulman tient une pancarte sur laquelle on peut lire : « Nous sommes tous des Coptes lorsque les Coptes sont persécutés » |
Des activistes qui ont fait irruption dans les bureaux de la sécurité d’État en début d’année ont découvert des documents gouvernementaux dont certains prouvent que le ministre de l’Intérieur avait planifié l’attentat à la bombe d’une église d’Alexandrie en décembre. Cet attentat a coûté la vie à 21 personnes (à l’époque, le ministère avait indiqué qu’un kamikaze était responsable de l’attentat, mais il indique aujourd’hui que le document était un faux).
Les tensions religieuses persistent
Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de tensions religieuses en Égypte. L’affrontement de dimanche est survenu après l’attaque d’une église chrétienne en construction par des musulmans à Edfu, une ville située dans le sud du pays, à la fin du mois dernier.
Les chrétiens d’Égypte disent que les difficultés de ces dernières dizaines d’années sont liées à leur incapacité à construire un nombre suffisant d’églises pour la communauté chrétienne en pleine croissance.
La réaction mesurée du Premier ministre aux évènements du 9 octobre témoigne des échecs des gouvernements égyptiens successifs dans la résolution des problèmes de la population chrétienne du pays, a dit Karima Al Hefnawi, une militante politique de premier plan. Le nouveau gouvernement n’a pour l’instant pas introduit de loi autorisant les chrétiens à construire ou reconstruire leurs propres églises.
Vers une guerre civile ?
Aujourd’hui, les Égyptiens s’inquiètent de voir les violences religieuses de longue date s’aggraver. Lors d’une réunion d’urgence des responsables politiques égyptiens, beaucoup ont fait part de leur crainte d’une escalade de la violence entre musulmans et chrétiens.
« L’Égypte va vers la guerre civile au pas de charge », a dit Fouad Abdel Monem Riyad, un ancien diplomate et expert des droits de l’homme, à IRIN. « Si nous ne faisons pas attention, nous risquons de perdre notre pays ».
Alors que les affrontements se produisaient au Caire, dans d’autres régions du pays, des musulmans attaquaient les biens appartenant à des chrétiens, et notamment l’Hôpital copte où des manifestants chrétiens blessés étaient soignés. Les chrétiens ont appelé à la vengeance.
Dans d’autres régions, des musulmans ont marché dans les rues, brandissant des copies du livre saint des musulmans, le Coran, et ont appelé à la création d’un État islamique en Égypte, soulevant des préoccupations quant à la coexistence future entre la majorité musulmane et la minorité chrétienne.
Plus de 100 000 chrétiens ont d’ores et déjà quitté l’Égypte depuis la chute de M. Moubarak, de crainte d’assister à une montée rapide de l’islam politique, a montré une étude récente de l’organisation non gouvernementale (ONG) chrétienne Egyptian Federation for Human Rights.
Les chrétiens sont partis s’installer aux États-Unis, au Canada, en Australie et en Europe, à la recherche de davantage de libertés religieuses et d’opportunités d’affaires, a indiqué l’étude.
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