M. Ouattara, le président ivoirien reconnu par la communauté internationale, a dit qu’aucun mal ne serait fait à son rival M. Gbagbo si celui-ci acceptait de quitter le pouvoir. Les civils qui vivent à Abidjan ne bénéficient malheureusement pas d’une telle garantie.
« Nous voyons déjà beaucoup de vols de voitures et de pillage », a dit à IRIN un résident d’Abobo, un quartier de la capitale commerciale. Il a ajouté que les représailles exercées après les combats pouvaient être cruelles, en particulier dans le quartier de Yopougon, dont de vastes sections sont habitées par des jeunes pro-Gbagbo. « Ils ont brûlé vifs certains de nos concitoyens ici, et il y a un désir naturel de vengeance. Si je tombais nez à nez avec Blé Goudé [militant pro-Gbagbo de longue date et chef des Jeunes Patriotes régulièrement accusé d’incitation à la violence], je voudrais le tuer pour ce qu’il a fait ».
Brûler vifs les gens – y compris devant des membres de leur famille – est devenu une pratique répandue à Abidjan, ont dit des résidents.
« Avec l’entrée des forces pro-Ouattara à Abidjan, j’ai dû amener ma famille dans un endroit plus sûr », a dit à IRIN Ruffin Guéï, un garde de sécurité de 37 ans, le 31 mars. Il a ajouté que les hommes de M. Ouattara étaient venus deux fois chez lui pour le menacer et l’accuser de cacher des armes.
« Des représailles ont déjà lieu », a dit à IRIN Soumaïla Tioté, un employé d’un restaurant du quartier d’Adjamé de 42 ans. « Ici à Adjamé, nous vivons avec les militants pro-Gbagbo. Chaque matin, nous voyons des cadavres criblés de balles ».
Il y a longtemps que les militants pro-Gbagbo sont prêts à tuer tous ceux qu’ils considèrent comme pro-Ouattara, a dit un habitant de Yopougon à IRIN. « La meilleure façon de causer des ennuis à quelqu’un dans un quartier [pro-Gbagbo], c’est de le dénoncer comme rebelle. Ça va immédiatement attirer une foule et la personne risque d’être brûlée vive ».
La population a néanmoins été surprise par le rythme des événements et le renversement de la situation. Il y a à peine quelques jours, les Jeunes Patriotes pro-Gbagbo appelaient à une mobilisation de masse pour défendre Abidjan et les soldats fidèles à M. Gbagbo disaient aux jeunes militants que ce serait bientôt à leur tour de combattre. Selon des informations provenant de Koumassi et de Yopougon, des groupes armés pro-Ouattara ont maintenant la mainmise sur les deux quartiers et les partisans de M. Ouattara accusent avec mépris les Jeunes Patriotes d’être plus portés sur la rhétorique et les menaces vides que sur le combat.
Les comportements de certains militants pro-Ouattara soulèvent des inquiétudes, particulièrement lorsqu’on sait que des armes ont été distribuées à nombre d’entre eux. Selon un habitant de Koumassi, le commissariat de police du quartier a été incendié par une foule et des gens se sont emparés des armes et des munitions. Un résident de Yopougon a tristement rappelé les événements de 2002, lorsque les rebelles des Forces Nouvelles (FN) avaient fait leurs premières incursions. « Les gens ont de très mauvais souvenirs de 2002 et des histoires de violence que racontaient les gens qui fuyaient les zones contrôlées par les rebelles ».
« Il sera difficile de contrôler les deux camps », a dit à IRIN Russel Kouadio, un enseignant de 33 ans de Yopougon.
Des immigrés ouest-africains ont été pris pour cible par des groupes pro-Gbagbo, qui les considèrent comme des partisans de M. Ouattara. Human Rights Watch (HRW) a indiqué que des hommes armés en uniforme avaient tiré sur neuf immigrés ouest-africains dans un poste de police le 29 mars, tuant six d’entre eux.
Parmi les trois survivants, un homme burkinabé a dit à IRIN que les assaillants leur avaient demandé : « Êtes-vous des frères de la rébellion ? »
Selon HRW, 37 immigrés ouest-africains avaient été abattus une semaine plus tôt – probablement dans le cadre de représailles – par des hommes armés pro-Gbagbo après le passage de forces pro-Ouattara dans leur village de l’ouest du pays.
HRW et d’autres groupes ont appelé les factions rivales à épargner les civils et déclaré que les Casques bleus des Nations Unies devaient faire le maximum pour protéger les plus vulnérables. « Maintenant plus que jamais, les Nations Unies doivent prendre leurs responsabilités et protéger les civils », a dit à IRIN Corinne Dufka, chercheuse sur l’Afrique de l’Ouest auprès de HRW.
Photo: Monica Mark/IRIN |
Les habitants d’Abidjan disent craindre les représailles des parties en conflit (photo d’archives) |
« La difficulté, c’est que nous devons être partout en même temps, ce qui est bien entendu impossible. Nous avons beaucoup trop à faire et les actes de violence sont beaucoup trop nombreux ».
Il a ajouté que la présence de voyous se livrant au pillage un peu partout dans la ville compliquait la situation. « Ils vont de maison en maison et attaquent les gens ».
Si la rapidité et l’efficacité avec lesquelles les forces pro-Ouattara ont mené leur offensive sur plusieurs fronts ont peut-être surpris de nombreux Ivoiriens, en particulier la prise de contrôle rapide de la capitale politique, Yamoussoukro, un partisan de M. Ouattara a indiqué que les FN étaient très bien organisées et qu’elles se battaient contre une armée composée d’une ‘majorité silencieuse’ pro-Ouattara et qui n’avait aucune envie de se battre. Les jeunes militants pro-Gbagbo ont d’ailleurs amèrement critiqué l’armée pour avoir perdu le contrôle du pays.
Les Ivoiriens sont cependant nombreux à comprendre la réticence des soldats à se battre et mourir pour M. Gbagbo. « La meilleure chose que puisse faire Gbagbo serait de quitter pacifiquement le pouvoir et de mettre la population en garde contre la résistance armée », a dit à IRIN Laurent, à Yopougon. « Les gens sont las de tous les sacrifices qu’ils ont dû faire pour lui ».
Alors que l’endroit où se trouve M. Gbagbo et ses intentions futures font l’objet d’intenses spéculations, M. Ouattara a annoncé l’instauration d’un couvre-feu entre 9 heures du soir et 6 heures du matin.
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