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Les voix de la raison mises à l’écart pendant la crise

Newspapers on sale on an Abidjan street Anthony Morland/IRIN
Not all the news that's fit to print..... Cote d'Ivoire's partisan media has little room for civil society's views
Une rhétorique politique de plus en plus belliqueuse et partisane a fini par dominer la Côte d’Ivoire, depuis la crise postélectorale, laissant peu de place aux voix de la modération.

Avec Laurent Gbagbo dont le soutien provient surtout du sud, essentiellement chrétien, et Alassane Ouattara fortement associé à un nord principalement musulman, la polarisation politique a pris aussi une dimension religieuse.

Les tensions internes s’aggravent, provoquant une extrême frustration chez les activistes de la société civile, dont beaucoup ont investi considérablement d’énergie et d’espoir dans les élections, en mobilisant les électeurs et en défendant une participation pacifique. Malgré l’atmosphère politique décourageante, les défenseurs des droits humains et les activistes pour les droits des femmes continuent à chercher à se faire entendre.

Une sélection d’éminents militants ont parlé à IRIN de leurs inquiétudes et de leur sentiment de déception à l’idée d’être mis à l'écart, au moment où on aurait le plus besoin d’eux.

Margueritte Yoli-Bi, coordinatrice nationale du WANEP-CI, le Réseau Ouest-Africain pour l’Edification de la Paix en Côte d’Ivoire

« Pour moi, la priorité est la communication positive . Avec cette crise, la communication est divisée en deux autour des partis politiques et cela n’arrange rien. Il nous faut une communication positive pour retrouver la vérité, en-dehors des passions politiques.

Nous devons respecter ceux qui ne sont pas politisés. Nous devons respecter les gens et leurs droits, leur droit à l’expression, le droit à la santé, le droit d’aller à l’école, etc.

Nulle part nous n’entendons parler des besoins de la population. Quand on regarde la télévision ou qu’on lit les journaux, on n’entend pas parler de l’augmentation du coût de la vie, ni des hôpitaux et des écoles qui ne fonctionnent plus ; tout ce qu’on entend, c’est de la politique. Ce n’est pas bien. Ce n’est pas acceptable que des gens soient en train de mourir, des femmes soient en train de mourir, que des gens n’aient pas assez à manger ; ils ne mangent qu’une fois par jour et on ne fait que parler de politique. La politique, ça ne se mange pas. Les gens ont des droits fondamentaux, le droit de survivre, et ces droits, il faut en parler.

Dans une population, on trouve toutes les couleurs de l’opinion. Ses contradictions sont pour elle une richesse. La société civile est impartiale aujourd’hui et elle doit le rester. Les gens devraient pouvoir se parler librement pour le bien-être de la population.

Parmi les médiateurs qui sont venus en Côte d’Ivoire, on n’a pas vu de femmes, ou très peu. Nous avons vu les délégations des Nations Unies, de la CEDEAO [Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest ] et de l’UA [l’Union africaine] et elles ne comportaient pas de femmes. Et même pour rencontrer ces délégations, nous avons dû leur forcer la main pour être reçues, alors que les femmes sont en majorité dans ce pays. Nous représentons au moins 51 pour cent des électeurs enregistrés ; il faut donc que notre opinion soit prise en compte.

De nos jours, il n’existe pas de délégation nationale reconnue qui fasse ce que nous essayons de faire, c’est-à-dire aller d’un bord à l’autre, écouter et exprimer le point de vue de l’autre.

Pour nous faire entendre, nous sommes obligées de payer pour faire publier nos déclarations dans la presse privée. Combien de gens les lisent ? La majeure partie de la population est illettrée. Si nous envoyons nos déclarations à la station de télévision, elles ne sont pas diffusées. Il nous faut nous tourner vers les radios locales. Mais celles-ci ont reçu l’ordre de ne plus couvrir désormais aucune information qui soit liée à la situation.

Réaliser la cohésion sociale va être une tâche ardue et à long terme. »

Civil society activists Margueritte Yoli-Bi, National Coordinator, West Africa Network for Peace-building (right) and Raymonde Coffie Goudou, Network on Peace and Security for Women in the ECOWAS Region (left) raise their concerns at a meeting with a top
Photo: Anthony Morland/IRIN
Les activistes de la société civile Raymonde Coffie Goudou (à gauche) et Margueritte Yoli-Bi expriment leurs inquiétudes
Raymonde Coffie Goudou
, Réseau Paix et Sécurité des Femmes de l'espace CEDEAO (REPSFECO), Coalition des Femmes Leaders de Côte d’Ivoire (CFeLCI), figure connue du Parti Démocratique de la Côte d’Ivoire (PDCI), qui a soutenu la candidature de M. Ouattara au second tour des élections.

« Aujourd’hui en Côte d’Ivoire on a une société civile qui s’est vraiment impliquée dans l’élection pour éduquer les électeurs, en particulier les femmes. La société civile s’est efforcée de protéger les femmes contre les atrocités commises dans tout le pays. Elle a réalisé un travail remarquable. Et les gens ont voté.

Il faut comprendre qu’en Côte d’Ivoire les gens n’entendent qu’un son de cloche à cause de l’oppression don souffre le pays, que la société civile s’attaque à cette oppression et qu’elle veut pouvoir aider la population, ou l’aider à faire entendre sa voix, afin que la Côte d’Ivoire puisse connaître la prospérité.

Ce n’est pas que la société civile est muselée, c’est juste qu’il lui manque une plate-forme suffisamment large où elle pourrait s’exprimer. Si la télévision ouvrait les ondes à toutes les femmes assises autour de cette table, alors on entendrait une opinion bien différente et les choses changeraient. De nos jours, la diversité des opinions n’existe pas. Nous n’entendons qu’une voix, la voix de la haine.

Il ne s'agit pas de savoir qui a gagné ou perdu l’élection… Notre problème est que nous avons désormais deux armées l’une en face de l’autre : l’une soutient M. Ouattara et l’autre M. Gbagbo. La population se trouve au milieu, prise en sandwich, tandis que les deux côtés se battent au-dessus de sa tête. Des gens sont blessés par des balles. D’autres sont tués. »

Ténin Touré Diabaté, présidente de Réseau africain des femmes musulmanes (African Muslim Women’s Network), professeur de sociologie à l'université.

« La désinformation déchire la société. Nous nous efforçons vraiment d’élever nos enfants avec un minimum de sens civique. La démocratie ne peut survivre sans civisme. La désinformation actuelle est très mauvaise pour la société.

« La classe politique est si puissante ; elle a bien plus d'influence que la société civile. Les médias, qui devraient être la voie de communication de la société civile, sont aux mains des politiciens et nous ne pouvons pas nous faire entendre. »
Dans mes recherches sur les couples politiquement mixtes, les intellectuels, je suis éberluée de ce que je constate. C’est abominable. Les mariages se disloquent… Il y a 60 groupes ethniques en Côte d’Ivoire. La population est mélangée. Beaucoup de familles rapprochent chrétiens et musulmans. Je suis musulmane et mon mari est chrétien. Je l’amène à l’église le dimanche et lui m’amène à la mosquée le vendredi. Voilà comment c’est en Côte d’Ivoire. Et la politique détruirait tout ça ? Nous disons non. C’est pourquoi nous voulons pouvoir nous faire entendre. Il ne s’agit pas d’un conflit religieux. Nos familles sont des familles mélangées. Nous voulons reconstruire notre pays de façon réaliste, avec toute sa diversité. »

Genevieve Diallo-Sissoko, présidente de l’Association des Femmes Juristes de Côte d'Ivoire (AFJCI)

« Dans les cercles juridiques, il existe une cohésion entre les femmes au niveau des magistrats, des juges et des tribunaux. Mais aujourd’hui, à tous les niveaux de la société, les choses sont en train de dégénérer. Même quand un magistrat rend une décision, quelqu’un n’est pas d’accord et l’accuse de partialité. Cette tendance est très dangereuse en termes de division sociale. C’est la société civile qui peut aider les Ivoiriens le long de la route qui mène à la paix.

Avec le blocage des médias, il faut trouver d’autres moyens pour permettre à la société civile de se faire entendre. C’est très difficile. On a le sentiment que la société civile ne fait rien et que la population est laissée à elle-même. La dernière fois que j’étais au tribunal, on m’a demandé : “Mais qu’est-ce que vous faites, vous [et vos collègues] ? Nous sommes seuls. Nous ne comprenons pas.” »

André Banhouman Kamate, président du bureau exécutif national de la Ligue Ivoirienne des Droits de l’Homme (LIDHO)

« La société civile ivoirienne n’est pas aussi forte qu’on pourrait le penser. Elle n’a jamais réussi à jouer un rôle dans la résolution de la crise ivoirienne depuis 2002, quoique l’ONU et l’UA l’aient poussée à le faire…La société civile n’est jamais parvenue à s’imposer au sein de la classe politique, pour servir de contre-poids aux pouvoirs constitués.

Elle manque de force parce qu’elle est divisée. Certaines organisations sont pleines de gens qui se désignent eux-mêmes comme étant la société civile, mais qui sont avec les partis politiques ou sont mus par certains intérêts économiques.

Pour qu’on nous entende, nous devons parler d’une seule voix, nous forger une voix commune.

La classe politique est si puissante ; elle a bien plus d’influence que la société civile. Les médias, qui devraient être la voie de communication de la société civile, sont aux mains des politiciens et nous ne pouvons pas nous faire entendre.

Parce que la société civile est politisée et divisée, même quand nous parlons fort, ceux qui sont au contrôle disent :“oh, nous savons bien qui vous êtes.” Notre voix n’est pas entendue. C’est très dommage.

Nous nous trouvons aujourd’hui à peu près dans la même situation qu’il y a huit ans : la société civile est moribonde. Après les récentes élections, c’est la crise et la société civile a été écartée de la résolution de cette crise. »

aa-am/cs/cb – og/amz

This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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