Les six hommes, membres de l'Initiative pour la Résurgence du Mouvement Abolitionniste en Mauritanie (l’IRA) doivent passer en jugement à Nouakchott, la capitale, le 5 janvier ; le procès a déjà été reporté à deux reprises. Selon les autorités, les membres de l’IRA auraient attaqué des forces de sécurité ; les activistes ont dit qu’ils étaient simplement en train de manifester contre l’esclavage.
« Nous nous doutions que la loi de 2007 ne serait pas appliquée, » a dit à IRIN Romana Cacchioli, experte sur l’Afrique à Anti-Slavery International. « Et de fait, elle n’est pas encore vraiment mise en application. Des actions juridiques ont été engagées : certaines sont en cours et elles traînent en longueur, les autres ont été abandonnées. »
Cette loi fait de l’esclavage en Mauritanie un crime, mais la pratique continue. L’organisation non gouvernementale SOS Esclaves dit que près d’un cinquième des 3,1 millions de Mauritaniens étaient encore esclaves en 2009.
Le 13 décembre, les six activistes ont été arrêtés tandis qu’ils protestaient devant un commissariat de police de Nouakchott ; les activistes réclamaient que le leader du groupe puisse assister à l’interrogatoire de deux jeunes filles de neuf et 13 ans, prétendument gardées en esclavage.
« Chaque fois qu’un esclave est interrogé, la police refuse que Biram Oula Dah Ould Abeid [le président de l’IRA] soit présent », a dit à IRIN Hamady Lehbouss, un membre de l’IRA. « De cette façon, la police peut manipuler les esclaves. »
L’esclavage en Mauritanie |
Faut-il croire à la fin de l’esclavage ? |
Les anciens esclaves tentent de s’adapter au sein de leur nouvelle communauté |
Les autorités mauritaniennes ont refusé tout commentaire sur les arrestations ou sur la manifestation devant le commissariat de police de Nouakchott.
Une loi inefficace ?
La loi de 2007, adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale de Mauritanie, a fait de l’esclavage un crime. Mais à ce jour, selon l’IRA et SOS Esclaves, nul n’a été poursuivi pour avoir des esclaves.
Les défenseurs des droits de l’homme et les activistes anti-esclavage avaient en 2007 exprimé leurs inquiétudes qu’à elle seule la loi était insuffisante, et que le gouvernement devait adopter des mesures garantissant l’application de la loi.
La loi stipule que les propriétaires d’esclaves sont passibles d’une peine de prison de 10 ans et d’une amende allant de 2 000 à 4 000 dollars. Toute personne encourageant l’esclavage peut être emprisonnée pendant deux ans. La loi prévoit aussi une compensation financière pour les victimes.
La loi ne permet pas aux représentants de la société civile d’assister aux procès.
« Il n’existe pas de mesures juridiques permettant aux esclaves de faire valoir leurs droits, » a dit à IRIN le secrétaire général de l’IRA, Boucabar Ould Mohammed.
Selon le directeur adjoint de SOS Esclaves en Mauritanie, Mohamed Ould Khalifa, les autorités classent en général ce genre de cas comme de simples disputes entre un employeur et son ou ses employé(e)s.
Une pratique très répandue
Pour les activistes, la difficulté de criminaliser l’esclavage vient en partie du fait que l’esclavage est tellement répandu. « Les autorités elles-mêmes emploient des esclaves,” a dit M. Khalifa.
De plus, a expliqué à IRIN Haby Rabah, une ancienne esclave, beaucoup de gens qui vivent en esclavage ne connaissent pas leurs droits ou ont peur de partir.
« Mes maîtres m’ont dit : “L’esclave dépend de son propriétaire et pour aller au paradis, il doit obéir à celui-ci. Sinon, il ira en enfer,” a dit Mme Rabah, qui, avec l’aide de l’IRA, a été libérée il y a “trois ans et quatre mois”.
Je ne connaissais que mes maîtres. Je leur appartenais et cela me semblait normal. Quand j’étais jeune, mes maîtres me battaient ; quand j’ai grandi, ils me menaçaient de m’emmener à la police si je leur désobéissais. »
Les experts locaux disent que l’esclavage continue aussi bien dans les villes que dans les zones rurales, dans ce pays du Sahel qui s’étend - à la fois géographiquement et culturellement - entre l’Afrique du Nord arabe et l’Afrique subsaharienne noire. Selon SOS Esclaves, les populations les plus affectées sont les Harratin, des Maures noirs descendants d’esclaves qui appartiennent généralement à la classe supérieure des Maures blancs, la minorité de l’élite au pouvoir, qui est de descendance arabo-berbère. Les esclaves font généralement le travail de maison ou s’occupent des animaux ; ils n’ont pas le droit de posséder des terres.
En Mauritanie, il y a un dicton qui dit : « Le sol est le lit de l’esclave, et le feu son vêtement. »
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