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Derrière les barreaux pour viol

Ciril Manasse [convicted of rape] with Amungu and Bahati in the background All taken at Goma central prison Lisa Clifford/IRIN
Paying the price: Rape convicts in Goma central prison
Dans un pays connu comme étant particulièrement dangereux lorsque l'on est une femme, l’un des aspects les plus inhabituels de l’histoire d’Eleka Amungu, un homme condamné pour viol, est qu’il est en prison.

En 2009, il a violé une jeune fille de 15 ans - l’une des milliers de femmes et de filles à avoir été agressées sexuellement cette année en République démocratique du Congo (RDC). M. Amungu a dit qu’il était très amoureux de la jeune fille mais qu’il n’avait pas les moyens de l’épouser.

« Comme j’étais pauvre, j’ai décidé de la prendre par la force », a-t-il dit. « Je l’ai invitée chez moi et lorsqu’elle a refusé [d’avoir une relation sexuelle], je l’ai forcée ».

M. Amungu a dit qu’il savait, avant de commettre cet acte, que ce qu’il faisait était illégal. Alors pourquoi l’a-t-il fait ? « J’étais excité et je connais d’autres [hommes] qui l’ont fait et qui n’ont pas été inquiétés ».

La jeune fille a tout raconté à ses parents.

« J’ai reçu une proposition de la famille de la fille. La famille a dit que je pouvais la prendre pour femme, mais je n’avais pas d’argent pour payer cela ».

Les parents l’ont signalé à la police, qui a arrêté M. Amungu. Il a purgé neuf mois, sur les sept ans d'emprisonnement auxquels il a été condamné pour viol, dans la prison délabrée et surpeuplée de Goma, la capitale de la province du Nord-Kivu.

Parmi les quelque 1 000 prisonniers qui s’entassent dans une structure construite pour en abriter 150, quelque 300 personnes ont été accusées ou condamnées pour viol. Ce chiffre reflète à peine les quelque 8 000 viols qui auraient été commis au Nord et au Sud-Kivu au cours de la seule année 2009, selon les estimations.

La forte prévalence du viol dans l’est de la RDC est largement attribuée à son utilisation comme arme de guerre par les nombreux groupes armés actifs dans la région depuis le milieu des années 1990.

Parmi les compagnons de cellules de M. Amungu figure un soldat, Chance, qui a été condamné à 25 ans d’emprisonnement pour viol.

« Si on ne m’avait pas arrêté, je n’aurais jamais su que c’était un crime », a-t-il dit à IRIN. Mais un nombre de plus en plus importants de condamnés sont, comme M. Amungu, des civils.

Une nouvelle épidémie

Selon les experts, un cocktail d’impunité et de banalisation du viol, dans une société exposée à la violence sexuelle depuis de nombreuses années, est en train de créer une nouvelle épidémie.

« Depuis l’année dernière, nous avons commencé à voir davantage de viols [commis par des] civils », a dit Janet Nsimire Nyenyezi, conseillère à l’hôpital Heal Africa à Goma, qui prend en charge les survivantes de viols. « Environ 50 pour cent des nouveaux cas [que nous recevons] sont maintenant commis par des civils ».

Un récent rapport de la Harvard humanitarian initiative (HHI), Oxfam et l’hôpital Panzi, a dit : « de 2004 à 2008, le nombre de viols civils dans l’est de la RDC a augmenté d’un effarant 1 733 pour cent, soit une multiplication par 17, tandis que le nombre de viols par des combattants armés diminuait de 77 pour cent ».

La proportion des viols commis par des civils a augmenté de un à 38 pour cent au cours de la même période, a dit le rapport.

« Les jeunes hommes congolais ont peu d’exemples positifs. Ils voient le soldat ou le milicien comme un modèle. Les jeunes hommes considèrent le modèle le plus efficace comme le modèle criminel », a dit à IRIN Jocelyn Kelly, coordinatrice de recherche pour HHI.

« Les jeunes hommes voient le soldat ou le milicien comme un modèle »
Une tendance inquiétante

Hortense Kalamata, qui gère une clinique juridique pour les femmes violées dans la ville de Kiwanja, à environ 75 kilomètres de Goma, a souligné une autre tendance dérangeante.

« Nous avons vu en avril et en mai [2010] une augmentation des viols civils. Nous ne sommes pas sûrs d’en connaître les raisons, mais nous avons aussi noté que de nombreux viols civils étaient [commis sur] des enfants », a-t-elle dit.

Mme Nyenyezi, de l’hôpital Heal Africa, a raconté l’histoire d’une petite fille de neuf ans amenée à l’hôpital depuis la région de Masisi. Elle a été agressée en avril par son voisin.

« C’était une situation terrible », a-t-elle dit. « C’était un dimanche et la famille était à l’église mais la petite fille était à la maison. Le voisin, qui a trois femmes, a appelé la fille chez lui, lui a enlevé ses vêtements et l’a violée, pendant que ses propres enfants jouaient dehors ».

La famille a attendu trois jours avant d’emmener la petite fille dans un hôpital local, qui l’a transférée à Heal Africa après avoir constaté la gravité de ses blessures. Elle est arrivée, perdant du sang et de l’urine, incapable de tenir debout. Deux mois plus tard, elle est toujours en train de récupérer de l’agression. Terrifiée, la petite fille, vêtue ce jour-là d’une robe bleue, ne peut toujours pas parler de ce qui lui est arrivé. Mme Nyenyezi lui parle doucement à l’oreille, essayant de lui arracher un sourire. En tant que conseillère depuis 2006, elle dit que c’est son travail « d’écouter avec attention ».

Guy Charles Makongo, directeur de l’initiative American bar association’s rule of law à Goma, a rejeté les assertions selon lesquelles la culture et les coutumes congolaises aideraient à alimenter certains crimes sexuels.

« Qu’est-ce qui motive quelqu’un à violer un enfant ? La coutume ne l’explique pas », a-t-il dit. « Selon la loi coutumière, on peut prendre une jeune fille âgée de 14 ou 15 ans, mais la coutume n’est pas de prendre des enfants de trois ans et de les violer ».

Goma prison, Goma, North Kivu province, eastern Democratic Republic of Congo
Photo: Lisa Clifford/IRIN
La prison de Goma. Sur les quelque 1 000 prisonniers qui s’entassent dans cette structure construite pour en abriter 150, quelque 300 ont été accusés ou condamnés pour viol
Ignorant de la loi

Certains responsables officiels en RDC estiment que le nombre de cas de viols civils signalés ne reflète pas tant une augmentation réelle de leur incidence que le niveau de conscience de leur illégalité – résultat d’une législation stricte en matière de violence sexuelle passée en 2006. Cette loi a relevé l’âge du consentement à 18 ans et instauré des peines pour agression sexuelle allant de cinq à 20 ans.

Mais Mme Kelly de HHI n’est pas convaincue. « Il est vrai que davantage de personnes sont conscientes du problème de violence sexuelle et des services qui sont disponibles, et donc davantage de gens signalent les agressions, mais ce n’est pas la seule raison pour [expliquer] l’augmentation », a-t-elle dit. « En fait je pense que peu de citoyens moyens dans l’est de la RDC sont au courant de la loi actuelle ».

Elle a souligné que la loi était rarement mise en application et que lorsqu’elle l’était, le chaos régnant actuellement au sein du système judiciaire de la RDC signifiait que les auteurs étaient rarement condamnés.

Il semble que peu de choses aient changé depuis que la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme a écrit (dans « Briser l’impunité », en 2008) : « parmi les victimes qui osent dénoncer ces crimes, seule une proportion infime parvient à obtenir la condamnation des responsables. Les frais judiciaires sont souvent élevés. Des mandats d'arrêts émis contre les auteurs présumés restent souvent sans suite, surtout quand il s'agit, par exemple, de hauts gradés de l'armée nationale. Des «arrangements à l'amiable» sont conclus à toutes les phases : à la station de police, devant les tribunaux, aux centres de détention ».

« L’impunité est une des raisons pour lesquelles la violence sexuelle est devenue permanente dans cette région », a dit Liberta Rubumba Buratura, une responsable des autorités locales à Rutshuru. « Lorsque les gens sont arrêtés pour viol, ils sont emmenés à Goma mais on les voit revenir peu après ».

Le ministre provincial de la Justice du Nord-Kivu a insisté sur le fait que le problème ne pouvait pas être résolu seulement par le système judiciaire.

« Nous devons voir comment éduquer nos populations », a dit François Tuyihimbaze Rucogoza. « Il ne s’agit pas seulement d’un problème judiciaire mais d’un problème social. Nous devons faire savoir à nos populations que le viol est un crime ».

lc/am/ail

This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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