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Des élèves d'écoles coraniques dans des conditions proches de « l’esclavage » - HRW

[Senegal] Talibe beggar children on the streets of Dakar, Senegal. [Date picture taken: 06/01/2006] Pierre Holtz/IRIN
Un talibé dans les rues de Dakar (photo d’archives)
Des centaines de chefs religieux à la tête d'écoles coraniques au Sénégal gardent leurs élèves « dans des conditions qui s'apparentent à de l’esclavage », les forçant à des tâches relevant de l'exploitation comme mendier dans la rue, et les privant de nourriture ou de médicaments, a dit l’organisme américain Human Rights Watch (HRW) dans un nouveau rapport.

Ni les gouvernements sénégalais et bissau-guinéen, ni les dignitaires musulmans, ni les parents n’interviennent pour mettre un terme à cette pratique et protéger les enfants de cette forme d’exploitation et de maltraitance, a dit l’organisme.

« La mendicité forcée étant effectuée à des fins d’exploitation, cette pratique relève de l’esclavage », selon HRW. « Au moins 50 000 enfants du Sénégal sont victimes d’exploitation économique sous couvert d’une éducation religieuse : ils sont forcés à mendier pendant de longues heures au profit de leur professeur, et sujets à des maltraitances physiques graves s’ils ne parviennent pas à remplir leur quota », a dit à IRIN Matthew Wells, l’auteur du rapport.

Au Sénégal, ces enfants, qui vivent chez un « marabout » (chef religieux) et fréquentent son école, ou « daara », sont connus sous le nom de 'talibés'. Plus de la moitié d’entre eux ont moins de 10 ans, et certains à peine quatre. Ils passent plus de sept heures par jour à parcourir les rues pour atteindre leur quota (en moyenne, 87 centimes de dollar américain) et la « grande majorité » des enfants interrogés par HRW sont régulièrement battus s’ils ne rapportent pas l’intégralité de la somme requise.

Environ 99 pour cent des talibés avec lesquels HRW s’est entretenu doivent mendier pour se procurer les vivres et les médicaments dont ils ont besoin.

« Quand je ne pouvais pas rapporter le quota, le “marabout” me battait ; même s’il ne manquait que cinq [francs] CFA, il me battait. C’était toujours le “marabout” lui-même », a raconté un ancien talibé de 13 ans à HRW. « Il sortait le câble électrique et … je me tenais là et … il me battait encore et encore, généralement au dos, mais parfois il ratait et me frappait à la tête ».

Les talibés peuvent également être soumis à d’autres châtiments, notamment l’enchaînement et les positions de stress, pouvant constituer un acte de torture, selon le rapport.

Chaque année, des centaines d’enfants fuient les « daaras » pour retourner chez eux, vivre dans la rue ou se rendre dans un centre de réinsertion parmi la dizaine de centres de ce type gérés par des organisations non gouvernementales (ONG).

La plupart de ces enfants sont issus de familles pauvres des régions rurales du Sénégal ou de la Guinée-Bissau, convaincues d’offrir un plus bel avenir à leurs enfants en les confiant aux bons soins d’un « marabout ». Une minorité d’entre eux viennent de Guinée, de Gambie et du Mali.

Une question de profit

D’après HRW, les « marabouts » conservent la majorité de l’argent obtenu par les talibés et peuvent réaliser d’importants bénéfices : à Guédiawaye, une banlieue de Dakar, un « marabout » comptant 150 talibés dans sa « daara » empoche 116 000 dollars par an.

La mendicité est essentielle à l’existence d’une « daara », ont déclaré des « marabouts » à HRW, pour couvrir les frais alimentaires, le loyer et autres coûts annexes.

Ousamane Diamanka, « marabout » à Grand Yoff, une banlieue de Dakar, a 20 talibés à sa charge. « Certains “marabouts” exploitent les enfants et gardent l’argent pour eux, mais la majorité ne font pas ça : nous prenons soin des enfants, nous les emmenons à l’hôpital quand ils sont malades et les autorisons à aller voir leur famille régulièrement », a-t-il dit à IRIN.

Les solutions

Améliorer les conditions de vie des talibés en réglementant les « daaras » et en établissant des normes minimales à respecter est une des solutions possibles, d’après HRW. Le gouvernement est actuellement en train de moderniser 100 écoles de ce type, et d’améliorer les conditions de vie de leurs élèves. C’est un progrès, a dit M. Wells, « mais étant donné que le nombre de talibés forcés à mendier continue d’augmenter, l’intervention du gouvernement est de toute évidence insuffisante ».

A l’heure actuelle, il n’existe pas de système officiel de suivi et de communication des informations sur les maltraitances commises dans les « daaras », et seule une ONG (le SamuSocial) signale systématiquement aux autorités toutes les maltraitances dont elle a connaissance.

Trop souvent, selon HRW, la générosité des organisations humanitaires, qui fournissent des médicaments et du matériel aux « marabouts », ne fait même qu’augmenter leurs profits.

L’autre solution consisterait à mettre en application les lois actuelles.

Forcer les enfants à mendier à des fins de profit économique est en effet illégal en vertu de la Convention relative aux droits de l’enfant et de la Charte africaine sur les droits et le bien-être de l’enfant ; et la traite des enfants est contraire à la législation contre le trafic ; enfin, la maltraitance physique des enfants est interdite par le code pénal sénégalais.

Pourtant, les autorités n’engagent pas de procédures judiciaires à l’encontre des « marabouts » qui obligent les talibés à mendier, a dit HRW. L’organisme s'est également montré critique envers les ONG qui ont incité le gouvernement à adopter la loi 2005 contre le trafic, mais n’ont pas dénoncé l’absence de mesures prises pour mettre cette loi en application, a ajouté M. Wells.

« En tant qu’organisation humanitaire, nous plaidons régulièrement auprès des gouvernements, et nous nous efforçons d’améliorer les systèmes de protection de l’enfance », a dit à IRIN Martin Dawes, porte-parole du Fonds des Nations Unies pour l'enfance (UNICEF). « La maltraitance des enfants est illégale. Nous nous réjouissons de la publication de ce rapport et renouvelons notre appel auprès des autorités concernées en faveur de la protection des enfants et du respect de leurs droits ».

La loi n’étant pas appliquée, les trafiquants d’enfants et les « marabouts » s’enhardissent, a averti HRW, et le nombre de « daaras » a doublé entre 2002 et 2009, selon un responsable du ministère de la Famille.

Les politiciens sont souvent trop intimidés par le pouvoir social, politique et économique important des « marabouts » pour sévir.

« Si vous touchez à un “marabout”, vous touchez aux confréries, et ici, c’est très difficile. Vous perdez des voix ; vous pouvez même perdre vos fonctions ; et vous vous exposez à des ennuis », a dit un responsable du ministère de la Famille.

Malgré tout, un certain nombre de chefs religieux et d’éminents érudits musulmans du Sénégal pourraient s’allier au gouvernement pour mettre un terme à la mendicité forcée, a dit M. Wells. « Le gouvernement pourrait approcher ces leaders de manière plus proactive pour s'assurer que la réglementation et la responsabilité ne sont pas interprétées comme une menace à l’éducation coranique, mais seulement à ceux qui la corrompent ».

aj/cb/nh/ail

This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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