« Sisi ni Waria [« Nous sommes somaliens », en swahili] ; nous n’aimons pas attirer l’attention sur nous en nous plaignant de la mauvaise qualité des services », a expliqué Asha Abdul, le 7 avril, tandis qu’elle faisait frire des samosas pour les vendre devant sa maison, à Eastleigh.
Elle venait de payer 1 500 shillings kenyans (20 dollars américains), demandés à chaque locataire de sa rue, pour rémunérer les jeunes hommes venus livrer deux cargaisons de pierres pour recouvrir la route délabrée qui longe leurs maisons.
« Si nous ne payons pas ces jeunes hommes pour apporter des pierres, les eaux boueuses s’infiltrent chez nous, surtout lorsqu’il pleut à verse », a expliqué Mme Abdul. « Quand il y a des pierres, on peut traverser la route et vaquer à nos occupations et les enfants peuvent aller à l’école ».
Mme Abdul a fui Mogadiscio, la capitale somalienne, il y a deux ans pour échapper aux affrontements entre les soldats du gouvernement et les insurgés islamistes, opposés au gouvernement fédéral de transition en place en Somalie.
Depuis son arrivée à Eastleigh, elle ne s’est pas inscrite ni auprès du gouvernement kenyan, ni auprès du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR). Son mari l’ayant abandonnée ainsi que ses enfants, elle s’est mise à préparer des samosas et des bhajias pour survivre.
« Les habitants d’Eastleigh préfèrent payer pour ces choses-là (l’eau, les travaux de réfection routière) pour éviter les embêtements, au lieu d’aller se plaindre au conseil municipal », a indiqué Mme Abdul.
Asha Abdul est l’une des plus de 46 000 réfugiés non inscrits qui vivraient à Nairobi, et qui, en raison de leur situation juridique floue, continuent de souffrir d’un manque de protection, et d’être victimes de harcèlement policier, de violations des droits humains et de discrimination.
« Négligé »
Choice Ufuoma Okoro, responsable de plaidoyer et de proximité au Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA-Kenya), a expliqué à IRIN qu’on ne s’intéressait pas assez à la question des réfugiés urbains, dans le cadre du problème, « négligé », de la vulnérabilité urbaine.
« Les réfugiés urbains vivent en grande partie sans aide matérielle, ni protection juridique : ils sont donc susceptibles d’être arrêtés à tout moment par la police, et se heurtent à une xénophobie importante de la part de la population locale », a indiqué Mme Okoro. « Les difficultés rencontrées par les réfugiés urbains du Kenya s’inscrivent dans le cadre de la question plus générale des difficultés humanitaires urbaines "cachées" ».
« La confusion relative au traitement de la situation juridique des réfugiés urbains et la peur de l’expulsion exposent plus de 40 000 réfugiés urbains à de graves difficultés humanitaires, conjuguées à des problèmes de protection importants », a-t-elle indiqué. « Sans un plan plus clair et plus efficace pour la mise en œuvre du statut juridique des réfugiés urbains, il est difficile de répondre aux problèmes de protection de ces derniers ».
Les risques sanitaires
En outre, selon Ahmed Hirsi, médecin spécialiste exerçant sur la Deuxième Avenue d’Eastleigh, les routes délabrées de la banlieue sont un obstacle à la santé publique, de nombreux habitants (jeunes et âgés) se plaignant de toux constantes, en particulier pendant la saison sèche.
Photo: Jane Some/IRIN |
La plupart des routes d’Eastleigh ont besoin de réparations urgentes |
« La plupart des habitants d’ici étant des réfugiés, nombre d’entre eux n’ont pas les moyens d’obtenir des traitements spécialisés pour traiter certaines de ces affections ».
« Nous vivons comme des animaux ; quand l’air est sec, il y a trop de poussière, il y en a partout sur les fruits et légumes. Et quand il pleut, certains clients ne viennent même pas à cause des mauvaises odeurs de la boue... », a déclaré Halima Yasin, marchande de fruits et légumes sur la Première Avenue.
« Vous ne pouvez pas imaginer comment nous survivons ; les routes délabrées sont notre principal souci parce que, parfois, les clients ne veulent pas acheter nos produits : ils disent qu’on leur vend un virus », a expliqué Jamilo Abdi, laitier sur la Septième Avenue. « Les Somaliens peuvent être fanfarons, mais on dépend de la vente du lait pour pouvoir nous procurer notre pain quotidien. Puisque nous payons des impôts au gouvernement, il devrait nous aider ».
Sur la Septième Avenue, certains laitiers sont des réfugiés somaliens, d’autres sont des Kenyans-Somaliens.
D’après Omar Shamun et sa femme, Khadija Mohamed, qui géraient une boutique de vêtements et de chaussures à Eastleigh, le délabrement des infrastructures a non seulement nui à leur commerce, mais aussi limité l’accès aux écoles et aux centres de santé.
« C’est vraiment atroce, à chaque fois qu’on va à Pumwani Road, près d’ici, la route est quasi impraticable ; à cause de la boue, on est obligé de prendre un taxi pour emmener nos enfants à l’école », a raconté Mme Mohamed.
Pendant la saison sèche, a-t-elle ajouté, tout est couvert de poussière. « Si un client fait tomber un produit qu’il compte acheter, il risque fort de ne plus le vouloir parce qu’il devient très sale ; mais c’est pire maintenant qu’il pleut la plupart du temps : on n’ose rien faire tomber ».
M. Shamun, qui a réussi à obtenir des papiers américains, a expliqué qu’il était venu dans le pays récemment afin de prendre les dispositions nécessaires pour emmener toute sa famille aux Etats-Unis.
« Déjà, quatre de nos enfants sont aux Etats-Unis ; je suis là pour prendre les dispositions nécessaires pour que ma femme et mes six autres enfants puissent venir avec moi aux Etats-Unis. La vie est insupportable, ici, regardez toute cette saleté ! Il n’y a pas de route correcte et nos enfants ont du mal à aller à l’école », a expliqué M. Shamun.
Les droits des réfugiés
Selon un rapport conjoint, publié dernièrement par le Humanitarian Policy Group (HPG), l’International Rescue Committee (IRC) et le Refugee Consortium of Kenya (RCK), le droit des réfugiés de circuler librement à l’intérieur du pays et de résider dans les zones urbaines est actuellement flou.
« Les réfugiés urbains sont souvent très mobiles et réticents à se manifester, ce qui en fait une population en grande partie cachée », a déclaré Sara Pavanello, chercheuse au HPG, à l’Overseas Development Institute (ODI), à l’occasion de la présentation du rapport, à Nairobi, le 25 mars.
« Tandis que le monde s’urbanise, les réfugiés se déplacent progressivement vers les villes dans l’espoir d’y trouver une impression de communauté, de sûreté et d’indépendance économique. Mais nombre d’entre eux se trouvent en réalité confrontés à des conditions de vie précaire et au harcèlement, à la discrimination et à la pauvreté ».
En 2006, le gouvernement kenyan a adopté l’Acte sur les réfugiés, qui établit le cadre juridique et institutionnel régissant la gestion des affaires relatives aux réfugiés.
Néanmoins, « si cet acte a été en grande partie bien accueilli par la société civile et représente une avancée dans la bonne direction, a indiqué Mme Pavanello, il a été compromis par un manque de capacités institutionnelles et par l’absence d’une politique nationale claire indiquant les étapes à suivre pour le mettre en œuvre ».
*Un nom d’emprunt
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