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Les villages de la « paix » ont un prix

A girl comes to fetch water at Kukamakara peace village in Cibitoke province. The water tap on her side is functioning but she cannot afford the price Judith Basutama/IRIN
Quand le premier « village de la paix » a été créé au Burundi, en 2003, l’objectif était d’aider à refermer les blessures et d’encourager la réconciliation entre les trois groupes ethniques du pays (les Hutus, les Tutsis et les Twas) à la fin d’une guerre civile prolongée. Depuis lors, 16 de ces villages ont été construits dans l’ensemble du pays, mais certains de leurs habitants s’y sentent négligés et oubliés : ils y subissent des pénuries d’eau constantes et souffrent d’un manque de terres cultivables.

Construit sur 10 hectares, Kukamakara, village de la paix situé dans la province de Rugombo, abrite 301 familles, et notamment des anciens combattants démobilisés, des anciens réfugiés rentrés de Tanzanie, de République démocratique du Congo et du Rwanda, et des familles batwas, la communauté minoritaire du pays.

Non loin de là se trouve Rural, un village de la commune de Mugina, uniquement séparé de Kukamakara par une rizière ; Rural abrite 30 familles de rapatriés et de personnes anciennement déplacées. Selon les habitants des deux villages, le gouvernement ne leur a pas envoyé d’aide humanitaire depuis 2005.

Salthiere Gahungu, chef de Kukamakara, a expliqué à IRIN que certains habitants du village étaient arrivés en 2005, et d’autres jusqu’en 2009. Chaque famille dispose d’un terrain de 300 mètres carrés, soit juste assez pour construire une maison et des toilettes, ce qui ne leur laisse qu’une petite superficie de terres pour cultiver.

« On nous a donné des maisons, mais on ne nous a rien donné pour vivre », a-t-il déclaré.

Japhet Ngendakumana, retourné de RDC en 2005 avec sa femme et ses 10 enfants, a expliqué, pour sa part, que son seul moyen de subsistance consistait à chercher du travail occasionnel dans les fermes environnantes.

« Si j’y vais avec ma femme et ma fille aînée, on peut gagner 6 000 francs [six dollars] par jour, ce qui nous permet d’acheter des vivres, du savon et des médicaments si quelqu’un est malade », a expliqué M. Ngendakumana. « Parfois, on nous paie 10 000 à l’avance pour labourer une superficie de terre ; quand ça arrive, on peut s’estimer heureux ».

At a rural site in Mugina commune, western Cibitoke province,  Concilie Ntuwuhorahiriwe uses rain water for her everyday chores
Photo: Judith Basutama/IRIN
Concilie Ntuwuhorahiriwe utilise l’eau de pluie pour ses travaux ménagers, à Rural, un village de la paix, dans la commune de Mugina
Querelles


Selon Salthiere Gahungu, nombre de rapatriés de Kukamakara ont fui le pays en 1965 ou en 1972 ; à leur retour, leurs terres étaient occupées.

« Nous sommes tristes de voir que nous vivons dans ces conditions, alors que les occupants de nos terres gagnent bien leur vie grâce à celles-ci », a déploré Salthiere Gahungu. « Si la commission des terres avait assez de pouvoir, elle aurait dû empêcher les occupants de nos terres de les exploiter ».

La Commission nationale Terres et autres biens (CNTB), l’autorité responsable des terres et autres biens, a été créée en 2006 pour gérer toutes les querelles foncières entre les rapatriés et les populations restées au Burundi, qui ont occupé les terres restées vacantes.

Le 26 mars, l’abbé Astère Kana, président de la commission, a déclaré aux nouveaux commissaires qu’à cette date, 8 139 querelles foncières sur les 15 000 querelles déclarées avaient été réglées.

Plus de 95 pour cent des autres ont été réglées à l’amiable, a-t-il ajouté.

Salthiere Gahungu pense néanmoins que certains habitants de Kukamakara envisagent de retourner en RDC, a-t-il expliqué, « parce que là-bas, on vous dit tout simplement d’aller creuser où vous voulez ; ici, en revanche, il faut payer même pour louer des terres pour une saison ».

Sans terre, les habitants du village de la paix n’ont guère de moyens de subsistance, et nombre d’entre eux se plaignent du manque d’aide reçue de la part du ministère de la Solidarité nationale, du rapatriement des réfugiés et de la réintégration sociale.

« Une fois, on nous a donné du riz, des fèves et de la farine de maïs ; une autre fois, ils nous ont apporté des ustensiles de cuisine et des vêtements, et depuis lors, plus rien », a indiqué Salthiere Gahungu.

Les habitants de Rural se trouvent dans la même situation. Lorsqu’ils se sont installés au village, en 2007, ils ont également reçu des houes et des couvertures, a rapporté Concilie Ntuwuhorahiriwe, 36 ans, rentrée du Rwanda en 2000. « Après cela, nous n’avons plus jamais vu personne », a-t-elle ajouté.

Selon Elie Harindavyi, porte-parole du ministère de la Solidarité nationale, le ministère aide régulièrement les personnes vulnérables. Il n’a toutefois pas pu se souvenir de la dernière distribution humanitaire effectuée dans les deux villages.

« Parce qu’ils ont faim, ils se laissent aller au désespoir, en pensant qu’ils sont exclus du circuit de distribution », a-t-il expliqué. « Mais ils doivent se rappeler qu’ils ne sont pas les seuls. Il y a plus de 14 villages de la paix [dans tout le pays] et nous les aidons régulièrement en leur distribuant des denrées alimentaires et non alimentaires, mais tout dépend de l’aide disponible ».

L’eau

Kukamakara ne comptant qu’un seul robinet pour 1 600 personnes, les habitants du village ont un accès difficile à l’eau.

En outre, la plupart des habitants n’ont pas les moyens d’en assumer le coût quotidien : ils achètent uniquement de l'eau potable et utilisent l’eau des rivières ou des étangs pour tout autre besoin.


Photo: IRIN
« Nous payons 10 francs [à la société d’eau et d’électricité] pour un jerrycan de 20 litres ; on peut en utiliser cinq litres par jour, mais si nous nous lavons, nous avons besoin de plus », a expliqué Japhet Ngendakumana.

A Rural, il n’y a pas un seul robinet ; la plupart des habitants vont chercher de l’eau à la rizière voisine pour tous leurs besoins, y compris pour la consommation. Ceux qui peuvent se le permettre parcourent trois kilomètres ou plus pour se rendre jusqu’au robinet d’eau de Nyesheza.

Selon Elie Harindavyi, les villages de la paix ont été conçus avec différentes infrastructures, notamment des systèmes d’approvisionnement en eau, des écoles et des centres de santé, mais pour les « endroits comme Kukamakara, ces infrastructures absentes seront prioritairement soumises à tout organisme offrant des financements ».

Le premier village de la paix a été construit en 2003, à Kabo, à Nyanzalac, dans la province de Makamba, dans le sud, a en outre expliqué M. Harindavyi ; d’autres ont été construits en 2005. Le dernier est en cours de construction à Rumonge, dans la province de Bururi, dans le sud du pays.

Des soins de santé insuffisants

Selon Salthiere Gahungu, les femmes enceintes sont les plus vulnérables, car elles doivent parcourir de longues distances à travers les zones humides, pour se rendre au centre de santé.

Les parents de jeunes enfants luttent également pour avoir accès à des soins médicaux pour ces derniers, a-t-il ajouté, dont la plupart souffrent souvent de maladies hydriques.

« Le ministère avait promis de nous délivrer des cartes d’assurance pour nous permettre d’accéder à des soins de santé, mais nous ne les avons pas reçues », s’est-il plaint.

Le ministère couvre les soins médicaux des personnes désignées comme vulnérables, a expliqué Elie Harindavyi, mais ce service n’étant assuré que dans la capitale, les populations des provinces n’en bénéficient pas.

Le ministère prévoit un partenariat avec les hôpitaux des provinces pour permettre d’offrir des soins médicaux aux personnes vulnérables, a-t-il expliqué. « Une équipe du ministère s’est déplacée dans les provinces la semaine dernière pour évaluer la situation en prévision de ce futur partenariat ».

jb/js/mw/nh/ail

This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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