Le Conseil de radiodiffusion d'Ouganda (UBC) a fermé quatre stations de radio de langue luganda* au cours des trois jours d’émeutes provoquées en septembre 2009 par le refus du gouvernement d’autoriser le roi du Buganda, le Kabaka Ronald Mutebi, à se rendre dans un district de son royaume.
L’UBC a accusé les présentateurs, dont un a depuis repris l’antenne, à « inciter à la violence et à la haine » pendant les émeutes. D’après le gouvernement, 20 émeutiers et sept passants ont perdu la vie lors des violences.
Des plaintes ont été déposées contre plusieurs invités et auditeurs qui étaient intervenus par téléphone, tandis que certains présentateurs de radio ont été interrogés par la section des enquêtes criminelles de la Police.
La décision de l’UBC a été immédiatement vivement critiquée, des groupes de défense des droits des médias ayant déclaré que personne n’était dupe des mesures radicales du gouvernement visant simplement à déstabiliser les médias jugés trop critiques.
Cependant, l’opinion publique ougandaise est plus divisée ; tandis que certains voient en la fermeture des stations la réaction désespérée d’un gouvernement impopulaire, d’autres jugent que le ton de certaines émissions était effectivement provocateur.
Des avis partagés
« Les stations exprimaient simplement leur soutien au Kabaka ; une de ces stations, CBS [Central Broadcasting Services], appartient au royaume du Buganda, donc il est évident qu’elle prend le parti du Buganda quel que soit le débat », a dit Ssemujju Nganda, un responsable éditorial de The Observer, un journal indépendant. « Le gouvernement savait que ce serait toujours le cas quand il leur a accordé la licence ».
M. Nganda a néanmoins reconnu que, dans le feu du débat, certains présentateurs radio avaient pu tomber dans « l’excès ».
Suite à un débat diffusé le 9 septembre par la radio Akaboozi Kubiri, Elias Lukwago, député de Kampala Central, a été accusé d’incitation à la violence : d’après des documents policiers, il aurait tenu des propos suggérant qu’il serait « approprié ou désirable de se livrer à des actes visant sciemment à détruire ou endommager la propriété d’autrui ».
« Ceux, parmi vous, qui travaillent dans des marchés, des galeries marchandes, des cantines, des restaurants, ceux qui sont assis à ne rien faire dans leur véranda et ceux qui s’occupent de leur jardin, qu’avez-vous fait jusqu’à présent contre tous les malheurs qui nous ont frappés ? Allez-vous attendre d’être directement touchés ? », aurait dit M. Lukwago lors de son intervention dans l’émission, d’après une traduction de la transcription réalisée par la police. « Allez-vous attendre que Sa Majesté soit attaquée dans son palais ? »
« Si des propos ont été interprétés [comme des incitations à la violence], ce n’était en tout cas pas leur objectif » |
« Parfois, le message est codé, et parfois, les incitations à la violence et à la haine sont explicites », a-t-il déclaré. « Je n’avais pas d’autre choix que de suspendre l’activité de ces radios – sinon nous nous serions retrouvés dans la même situation que le Rwanda, à l’époque où Radio Mille Collines incitait les foules à la violence ethnique qui a conduit au génocide. »
De plus, a affirmé M. Mutabazi, les stations ont activement encouragé les Baganda en général à défier les ordres de la police et à se rendre à Kayunga.
« Lorsque la police a recommandé au Kabaka et à ses partisans de ne pas se rendre à Kayunga pour des raisons de sécurité, CBS a commencé à mobiliser les foules, défiant ouvertement la police et encourageant les partisans du roi à ne pas suivre les directives de la police et à s’y rendre malgré tout », a-t-il ajouté.
L’UBC n’a pas pu fournir à IRIN les copies des transcriptions des émissions concernées.
Dénis
Pour leur part, les directeurs des stations de radio ont vivement contesté toutes ces accusations. « Nous n’avons diffusé aucune émission incitant à la violence ; nous avons rapporté les événements tels qu’ils se sont déroulés », a déclaré Kaaya Kavuma, directeur général de CBS. « Nous avions des envoyés spéciaux sur tous les sites, qui nous racontaient la réalité du terrain ; si cela constitue de l’incitation à la violence, alors c’est une question d’interprétation. »
Cependant, certains auditeurs de Kampala ne sont pas du même avis. « Ces stations de radio sont insultantes même lorsqu’il n’y a pas d’émeutes ; pendant les violences, les émissions sont clairement devenues plus menaçantes envers les non-Baganda », a affirmé Joseph Tushabe, un commerçant de la capitale, originaire de l’ouest de l’Ouganda. « Je suis sûr que certains émeutiers étaient influencés par les discours qu’ils entendaient à la radio. »
Cependant, d’après Bogere Masembe, directeur général de Ssuubi FM, il n’existait aucune intention d’incitation à la violence. « Si des propos ont été interprétés en ce sens, ce n’était en tout cas pas leur objectif », a-t-il déclaré.
La plupart des analystes s’accordent sur un point : la décision de l’UBC de fermer complètement les stations est selon eux excessive.
Photo: Buganda Post |
Le Kabaka du Buganda, Ronald Muwenda Mutebi II |
« Quoi qu’aient dit les présentateurs, il existe, dans le cadre de la loi, des moyens de réagir sans avoir recours à des mesures arbitraires telles que la fermeture des stations », a déclaré M. Nganda.
M. Kavuma, de CBS, a accusé l’UBC de ne pas respecter la procédure légale de fermeture des stations ; d’après lui, le conseil a piraté le système de diffusion des radios avec l’aide de la Force de défense du peuple. M. Masembe, de Ssuubi FM, a affirmé que sa station avait été attaquée de la même manière.
« L’UBC nous a envoyé un courrier deux jours après la fermeture de notre radio ; ni audience ni avertissement n’ont précédé la fermeture », a-t-il déclaré. « Quand on commet une infraction, des institutions sont censées interpréter la loi ; dans le cas présent, il s’agit d’une décision autoritaire. »
« Un des chefs d’accusations récurrents de la part du gouvernement est que les présentateurs ne seraient pas des journalistes professionnels, mais on ne peut pas criminaliser le manque de professionnalisme », a déclaré Peter Mwesige, consultant indépendant spécialisé dans les médias, et l’un des fondateurs du journal ougandais Daily Monitor.
« Nous ne voyons pas l’UBC intervenir au quotidien pour réglementer la programmation des radios ; il semble qu’il se concentre uniquement sur les sanctions », a-t-il ajouté.
Cependant, M. Mwesige a observé que les émissions politiques devaient effectivement gagner en professionnalisme, sous peine de devenir dangereuses.
« Il est tout à fait légitime d’exiger davantage de professionnalisme, ainsi que des enquêtes satisfaisantes et une meilleure modération des émissions », a-t-il dit. « Mais pour que cela soit possible, il faudrait engager un dialogue avec les responsables des radios, et non fermer les stations. »
* Le Buganda est un royaume situé dans le centre-sud de l’Ouganda, habité par le peuple des Baganda, dont la langue est le luganda.
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