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Recrudescence des troubles mentaux

Il y a trois ans, James Kurai, 40 ans, a démissionné du poste d’employé de bureau qu’il occupait à Harare, la capitale, car l’inflation amputait ses revenus et parce qu’il fallait gagner plus pour subvenir aux besoins de sa famille.

Au début, le pari était gagné. « Quand j’ai démissionné, je me suis mis à faire de la vente au noir ; je vendais de l’huile à moteur usée sur l’autoroute. Dans les premiers temps, je gagnais assez d’argent pour assurer une vie décente à ma famille, mais les affaires ont commencé à péricliter », a raconté M. Kurai à IRIN.

« Je luttais pour envoyer mes enfants à l’école, c’était difficile de trouver de la nourriture et je me querellais constamment avec ma femme, qui à un moment, est partie. C’est à ce moment que j’ai commencé à avoir de terribles et fréquents maux de tête, à souffrir d’une fatigue constante et de problèmes cardiaques, probablement parce que je stressais trop ». M. Kurai a consulté plusieurs médecins mais ses maux de tête récidivaient et il a commencé à souffrir de pertes de mémoire ; c’est alors qu’on lui a annoncé qu’il souffrait d’un trouble mental.

« Même si on ne peut pas vraiment dire que je suis fou, je sais pertinemment que je ne suis pas en pleine forme mentalement. J’imagine qu’il y a beaucoup de gens atteints de troubles mentaux qui n’en sont pas conscient ».
Aujourd’hui, M. Kurai suit une thérapie. « Même si on ne peut pas vraiment dire que je suis fou, je sais pertinemment que je ne suis pas en pleine forme mentalement. J’imagine qu’il y a beaucoup de gens atteints de troubles mentaux qui n’en sont pas conscients, principalement parce qu’ils ne cherchent pas à se faire aider », a-t-il admis.

La descente rapide du Zimbabwe vers la récession, qui a engendré un taux d’inflation officiel supérieur à 7 600 pour cent – le plus élevé au monde – et un taux de chômage de 80 pour cent, a également provoqué une forte recrudescence des troubles de la santé mentale.

Une personne sur trois souffre de problèmes de santé mentale

Le docteur Dickson Chibanda, psychiatre qui travaillait auparavant au ministère zimbabwéen de la Santé, a récemment expliqué aux participants d’un atelier que 40 pour cent des quelque 12 millions d’habitants du Zimbabwe, soit plus d’un tiers de la population, souffraient de troubles mentaux et qu’il était préoccupé du peu de programmes nationaux d’évaluation de la santé mentale mis en place par le gouvernement.

Pour lui, la prévalence élevée des maladies psychomatiques est le résultat de la crise économique qui a frappé le pays pendant sept ans, et de l’opération Murambatsvina (Enlever les ordures), une campagne de démolition des bidonvilles menée en hiver 2005 par le gouvernement actuel, dirigé par le ZANU-PF, et dans le cadre de laquelle les logements et les marchés informels ont été détruits, privant plus de 700 000 personnes de leur toit ou de leur moyen de subsistance.

Le docteur Chibanda a exprimé ses préoccupations à l’occasion d’une rencontre organisée par le Groupe de travail communautaire sur la santé, un réseau d’organisations communautaires qui cherche à augmenter la participation des communautés locales à la santé.

En novembre 2005, ActionAid International, une organisation internationale de lutte contre la pauvreté, a publié une étude intitulée Les Conséquences traumatiques de l’opération Murambatsvina, en collaboration avec l’Unité des services d’aide psychologique du Zimbabwe Peace Project (ZPP) et la Combined Harare Residents Association ; selon cette étude, l’opération Murambatsvina s’est traduite par un traumatisme général chez les victimes.

« Il y a peu de doute que l’opération Murambatsvina a eu de très lourdes conséquences sur la santé mentale des personnes touchées. Avec l’impact de la destruction de leurs maisons et de leurs moyens de subsistance, il est d’autant plus improbable que ces gens réussissent à guérir sans être aidés, et il est urgent de prévoir une aide psychologique efficace pour cette population », selon les chercheurs, auteurs du rapport.

La faute aux esprits malins ou à l’économie ?

Selon Gordon Chavunduka, président de l’Association nationale des guérisseurs traditionnels du Zimbabwe (ZINATHA), les Zimbabwéens sont aujourd’hui bien plus nombreux à consulter les membres de son association pour des troubles de la santé mentale.

« Nos registres indiquent que les médecins traditionnels sont consultés chaque jour par des personnes qui présentent des symptômes manifestes de troubles mentaux ; il y a une augmentation incontestable des personnes affectées ».

« On croit généralement que les problèmes mentaux sont causés par des esprits malins ; mais la plupart de nos patients, dont la majorité sont issus de milieux pauvres, disent souffrir de stress et de dépression graves, en raison de problèmes occasionnés par les difficultés économiques ».

« On croit généralement que les problèmes mentaux sont causés par des esprits malins ; mais la plupart de nos patients, dont la majorité sont issus de milieux pauvres, disent souffrir de stress et de dépression graves, en raison de problèmes occasionnés par les difficultés économiques auxquelles ils sont confrontés », a poursuivi M. Chavunduka.

Selon lui, un « nombre considérable » de patients sont issus de familles décomposées – leurs épouses sont parties chercher du travail dans d’autres pays – ou supportent de constantes querelles à la maison, en raison de leurs maigres revenus et de leur incapacité à subvenir convenablement à leurs propres besoins et à ceux des personnes à leur charge.

« Nos praticiens réussissent à aider les patients mais, malheureusement, ils reviennent à chaque fois qu’ils sont confrontés à de nouveaux problèmes, parce qu’ils continuent de se heurter à des difficultés économiques », a ajouté M. Chavunduka.

Selon Innocent Makwiramiti, économiste indépendant et ancien cadre supérieur à la Chambre nationale de commerce du Zimbabwe, la prévalence élevée des troubles mentaux s’explique également par le fait que les populations entreprennent des activités auxquelles elles n’auraient pas envisagé de se livrer auparavant.

Les changements d’emploi, une source de stress supplémentaire

« Beaucoup de Zimbabwéens se lancent aujourd’hui dans des activités stressantes, qui aboutissent inévitablement à l’apparition de troubles mentaux. A cause de la crise économique, les gens se livrent à des activités illégales, et notamment à la vente de devises, au lavage de l’or à la batée ou à la vente sans autorisation. Cela signifie qu’ils vivent, au quotidien, dans l’angoisse d’être pris par la police ».

« Dans le cas des orpailleurs, outre la peur constante d’être arrêtés, la plupart vivent dans des conditions indignes d’un être humain, loin de chez eux et de leurs familles ».
« Dans le cas des orpailleurs, outre la peur constante d’être arrêtés, la plupart vivent dans des conditions indignes d’un être humain, loin de chez eux et de leurs familles. L’orpaillage à la batée est une tâche ardue et, dans la plupart des cas, les orpailleurs finissent par boire beaucoup pour se soulager de leur stress, mais cela ne fait qu’aggraver la situation », a expliqué M. Makwiramiti.

La recrudescence du minage illégal reflète les baisses soudaines de l’économie du pays. Le début des années 1990 a notamment été marqué par une augmentation considérable et subite des activités illégales de lavage de minerais, après le lancement du Programme gouvernemental d’ajustement structurel de l’économie, qui avait provoqué une hausse du taux de chômage.

Par la suite, en 2000, le gouvernement du président Robert Mugabe a adopté son programme de réforme agraire accélérée, dans le cadre duquel les propriétés agricoles des blancs ont été redistribuées aux Zimbabwéens noirs sans terres, un programme qui annonçait le début de la récession dans le pays. A cela se sont ajoutées la sécheresse, l’incapacité du gouvernement à pourvoir les nouveaux agriculteurs en ressources agricoles, et les graves pénuries de nourriture, de combustibles et de devises.

Des milliers de personnes se sont alors résolues à se livrer au minage illégal comme principale source de revenu ; en plus de risquer l’arrestation, elles [mettent souvent leur vie en péril en prospectant] dans des puits de mines désaffectés, une activité responsable d’un certain nombre de décès.

Selon un rapport publié en 2001 par l’école de médecine de l’université du Zimbabwe, et intitulé La Dépression dans les pays en voie de développement : les enseignements à tirer de l’expérience zimbabwéenne, la dépression, une affection mentale, est courante dans un environnement caractérisé par une « pauvreté absolue » et un système de santé publique insuffisant.

D’après les chercheurs, « chez les adultes, un quart des personnes qui bénéficient de soins [de santé] primaires, et un tiers de celles qui consultent des [guérisseurs traditionnels], souffrent de dépression », et les femmes sont plus touchées que les hommes.

En outre, « les sources de stress économiques, et notamment le fait d’avoir souffert de la faim au cours du mois qui précède, sont liées à l’apparition de nouvelles crises de dépression et à la persistance des crises actuelles ».

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This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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