Pour Bram Posthumus, analyste indépendant spécialiste de l'Afrique de l'ouest et observateur de la scène politique guinéenne depuis une dizaine d’années, les manifestations qui paralysent actuellement la Guinée ne sont pas suffisamment importantes pour constituer une menace réelle pour le gouvernement, qui est soutenu par 8 000 éléments de la garde présidentielle. En revanche, les soulèvements de lundi dernier indiquent qu’un changement majeur est en train de s’opérer dans les mentalités, a-t-il précisé.
« Pour moi, ces mouvements de grève signifient que la population guinéenne a basculé. A mon avis, les manifestations vont se poursuivre », a déclaré M. Posthumus.
« Il reste à voir » la manière dont les gens ont été affectés par la répression violente exercée lundi par le gouvernement, a-t-il précisé.
« La population a craint [le gouvernement] pendant longtemps. Par conséquent, descendre dans les rues représente un important changement dans les attitudes », a-t-il poursuivi.
Pour Mike McGovern, spécialiste de la Guinée à l'Université de Yale, la stabilité qu’a connue la Guinée est liée à son passé socialiste. En effet, selon lui, l’histoire a légué aux Malinkés, Foulanis, Soussous, Peuls et autres groupes ethniques un sens du « patriotisme ».
Le régime dictatorial qui s’est instauré au cours des 24 années qui ont suivi l’indépendance accordée par la France, en 1960, a effacé la notion de protestation populaire de la psyché nationale guinéenne, a expliqué M. McGovern.
Cependant, Mike McGovern a affirmé vendredi que les Guinéens avaient atteint un point de rupture.
« Il semblerait que les Guinéens se soient rendu compte que s’ils étaient des milliers à affronter les centaines ou les douzaines d’éléments des forces de l’ordre, ils pourraient s’accaparer du pouvoir, même si cela devait coûter la vie à certains d’entre eux », a-t-il signalé.
D’après M. Posthumus, c’est l’armée guinéenne et non le peuple qui décidera du maintien au pouvoir de Lansana Conté.
« Si l’armée annonce qu’elle n’est plus en mesure de soutenir un gouvernement corrompu, nous nous trouverons alors à un tournant de l’histoire guinéenne », a-t-il estimé.
« Seule l’armée pourra décider », a-t-il ajouté.
Lundi a été la journée la plus sanglante qu’ait connue la Guinée depuis une dizaine d’années. C’est également la première fois qu’autant de Guinéens se sont soulevés contre le régime du Président Lansana Conté. D’après des estimations, quelque 30 000 personnes sont descendues dans les rues de Conakry, la capitale, et des dizaines de milliers d’autres gens ont manifesté dans les autres villes de province du pays.
Depuis le début de la grève, au moins 45 personnes ont été tuées au cours des affrontements qui ont opposé les manifestants aux forces de l’ordre, à Conakry et en province, selon des témoins et le personnel hospitalier.
Outre les violences qui ont éclaté en 1977 lorsque que les commerçantes des marchés de Conakry sont descendues dans les rues de la capitale, et le millier de personnes tuées en 36 heures, au cours de violences intercommunautaires qui ont accompagné les élections municipales de 1991, la Guinée a été épargnée jusqu’ici par l’instabilité et les conflits qui ont ravagé ses voisins de la région du fleuve Mano (Côte d’Ivoire, Liberia, Sierra Leone).
Mardi matin, l’armée a rapidement dispersé les manifestations organisées dans les quartiers agités de Conakry. Après cette intervention, peu de véhicules circulaient dans les rues de la ville où patrouillaient des soldats solidement armés, ont annoncé les correspondants d’IRIN.
L’ensemble des magasins, écoles et établissements publics sont toujours fermés et suivent le mot d’ordre de grève nationale « illimitée », lancé par les puissantes centrales syndicales du pays pour protester contre l’augmentation du coût de la vie qui, selon eux, est directement liée à la mauvaise gestion économique et à la corruption du gouvernement.
Ibrahima Fofana, secrétaire général de l’Union syndicale des travailleurs de Guinée, a confié avoir été interpellé puis battu lundi dernier et a affirmé que la grève se poursuivait.
Les syndicats exhortent le chef de l’Etat à se retirer de la scène politique et à passer les rênes du pouvoir à un nouveau Premier ministre, a-t-il rappelé.
« La grève se poursuivra jusqu’à la victoire finale. Presque aucune solution n’a été apportée aux problèmes que nous avons posés », a-t-il déploré.
Les représentants des centrales syndicales ont été reçus par le Président Lansana Conté, mardi, à 18 heures.
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