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La pénurie alimentaire et le manque d'argent obligent des enfants à manger de l'herbe

[Niger] Women in the Garhanga village, Keita district, Tahoua region, Niger. June 2005.
Liliane Bitong Ambassa/IRIN
Groupe de femmes dans le village de Garhanga
Des maisons en banco abritant les 6 000 habitants du hameau de Garhanga, au nord ouest de la capitale Niamey, ne perce aucun bruit en cette fin de matinée.

A l'ombre d'un arbre étendant ses branches au milieu d'un vaste terrain aride et rocailleux, des femmes entourées d'une ribambelle d'enfants devisent.

Désoeuvrées, elle n'ont même pas de quoi faire à manger.

« C'est la crise la plus grave que j'aie vue. On a planté du mil, du sorgho, du niébé, et on n'a même pas de quoi mettre dans le grenier », s'exclame Fatima Hamadou, jeune femme de 23 ans, à l'endroit des visiteurs.

Désignant le grenier à mil conique en banco, la mère de trois enfants s'écrie : « Regardez, il est vide ! On n'a même pas pu obtenir des semences pour la saison ! ».

Les pénuries alimentaires ne sont pas exceptionnelles au Niger, deuxième pays le plus pauvre du monde, selon le classement des Nations unies.

L'année dernière, cependant, des essaims de criquets pèlerins se sont abattus sur les cultures des villages de la commune rurale de 50 000 habitants située dans la région de Tahoua, au centre du pays, et les pluies se sont arrêtées de façon prématurée, provoquant la perte de 80 pour cent des récoltes du village.

Au niveau national, le pays de 12 millions d'habitants, structurellement déficitaire, a enregistré un déficit céréalier de 223 000 tonnes pour la campagne agricole 2004-2005. Un chiffre jamais atteint depuis vingt ans.

Aujourd’hui, le Niger, pays enclavé d’Afrique de l’Ouest, est plongé dans une crise alimentaire grave. Selon les prévisions, un quart de la population, soit 3,6 millions d’habitants, pourrait souffrir de la famine au cours des prochains mois, avant le début de la nouvelle récolte, en septembre prochain.

Pendant que les politiciens à Niamey débattent pour savoir si la situation peut être qualifiée de famine ou seulement de crise alimentaire grave, les administrateurs et administrés de la commune rurale de Garhanga n'ont pas de doute là-dessus.

Les enfants réduits à manger de l’herbe

« La situation de la commune est dramatique », s'exclame Harouna Malicki, le maire de la commune rurale de Garhanga, dont le hameau du même nom est le chef-lieu.

« Au-delà de tout aspect politique, on peut dire qu'il y a famine dans la commune ».

A quelques mètres de là, Ada Habsatou, âgée d'une soixantaine d'années, explique : « Les enfants sont tous partis en exode en Côte d'Ivoire, mais ils n'envoient rien. On passe des jours sans manger ».

Au Niger, deux personnes sur trois vivent avec moins d’un dollar américain par jour. La région de Tahoua, située à 400 km au nord-est de Niamey, la capitale, est une terre de migration.

Chaque année, après les récoltes, les bras valides la quittent pour aller gagner de l'argent dans les pays voisins et reviennent au début de la saison des pluies pour pouvoir planter.

Mais les troubles politiques que connaît la Côte d'Ivoire depuis trois ans ont réduit les débouchés pour les travailleurs saisonniers, et leurs familles demeurées au village en sont réduites à consommer des aliments de pénurie.

« Je suis obligée de nourrir les enfants avec de l'herbe », indique Habsatou, un nourrisson sur son sein gauche. En réponse à sa requête, un des dix petits-enfants dont elle a la charge accourt avec une calebasse remplie de petites feuilles vertes sauvages qu'elle nomme « dagna ». « Je la mélange avec du tourteau ».

Ecoutant ses administrés, Harouna Malicki, le jeune et dynamique maire de la commune pointe du doigt les enfants épars dans la cour et indique : « Les gens restent des jours sans manger. Vous avez vu l'état des enfants ? ».

Un enfant sur cinq souffre de malnutrition

A un kilomètre de là, sur la place publique, des dizaines de femmes accompagnées d'un ou deux enfants font la queue devant une large tente arborant le logo Médecins sans frontières (MSF).

« On m'a dit qu'ici on donne des médicaments et de la nourriture », explique Fatima Aboubacar, jeune mère de six enfants qui tient un nourrisson dans ses bras et un garçon de quatre ans par la main.

Une enquête nutritionnelle effectuée au mois de mai par l'organisation caritative a montré qu'un enfant sur cinq souffrait de malnutrition sévère ou modérée, notamment dans le district de Keita.

MSF, qui dispose d’un centre de nutrition thérapeutique mis en place en 2001 dans la région de Maradi, en a ouvert trois autres entre le 24 avril et le 1er juin pour faire face à le recrudescence de cas de malnutrition sévère.

Chaque mercredi, jour de marché, depuis le 1er mai, l'équipe mobile de nutritionnistes MSF, rattachée au centre de Keita, à 50 kilomètres de là, investit l'entrée du village de Garhanga pour dépister de nouveaux cas de malnutrition sévère chez les enfants de six mois à moins de cinq ans et effectuer le suivi des enfants admis au programme, et dont l'état de santé ne nécessite pas d'hospitalisation.

Sous une large tente blanche, des assistants nutritionnels pèsent, mesurent et examinent les enfants qui leur sont présentés et déterminent s'ils remplissent les critères d'admission au programme, à savoir malnutrition sévère ou malnutrition modérée accompagnée d'une pathologie grave telle que le paludisme ou l’anémie. La malnutrition sévère est diagnostiquée lorsque le poids de l’enfant est 30 pour cent inférieur à la moyenne.

Dans un camion, MSF dispose de la farine enrichie, de l'huile, des céréales, du niébé qui sont distribués aux enfants malnutris et à leurs familles au cours de leur prise en charge puis une fois qu'ils sortent du programme.

Sous la tente, en fin de journée, l'équipe de soins ambulatoires MSF de Garhanga fait le bilan : 139 enfants ont été examinés, 15 ont été admis au programme ambulatoire, cinq ont été hospitalisés et transportés au CRENI de Keita, a indiqué à IRIN Alberto Kalumé, médecin pour MSF en poste depuis un mois.

Mais un cas laisse le personnel de MSF perplexe : il s'agit de celui de Hassan Husseini, nourrisson d'un mois, qui gît sur une natte, entouré de son père, Haya Zabeiro, de la deuxième femme de son père et de sa tante maternelle.

Tout juste âgé d'un mois, le nourrisson déshydraté, qui a perdu sa mère à la naissance, a été abreuvé de lait de vache et de céréales, et souffre de diarrhée et d'hypothermie, d'après le Dr Kalumé. Mais le programme de MSF n'étant conçu que pour les enfants de six mois à moins de cinq ans, l'équipe ne pourra l'y admettre.

Une enquête nutritionnelle réalisée par le Programme alimentaire mondial et Helen Keller International a montré des taux de malnutrition chronique importants dans le pays, classé avant-dernier sur l'indice de développement humain des Nations unies.

La pauvreté, facteur aggravant de la crise structurelle

Pour le professeur nigérien Boureima Alpha Gado, spécialiste des questions d'insécurité alimentaire et de stratégies paysannes, « le Niger est dans un contexte de crise alimentaire structurelle, et lorsqu’un phénomène comme la sècheresse ou les invasions de criquets pèlerins se produit, il aboutit à une situation de crise pour la population déjà très pauvre ».

L’année dernière, les récoltes n’ont pas été bonnes et les populations du Niger sont à présent trop pauvres pour se procurer de la nourriture ou des soins médicaux. Deux Nigériens sur trois vivent dans la pauvreté, et un sur trois vit dans l'extrême pauvreté, selon les Nations unies.

Ils ont un accès très réduit à l'éducation, l'eau potable, la terre, la santé, précise Gado. « En outre, le système de production est peu performant, et la pauvreté structurelle ».

Au dispensaire du village de Garhanga, qui accueille également les habitants des hameaux voisins, Aliou Sabi Assouman, agent de santé communautaire, indique que les habitants ont moins recours aux soins de santé qu’en temps normal.

« C'est très difficile maintenant, les gens souffrent. Ils viennent parfois en consultation ; on leur demande de payer 600 francs (1,2 dollars), mais ils n'arrivent même pas à payer, encore moins à s'offrir le traitement ».

« Les paysans ont peu de moyens et de stratégies d'adaptation. Depuis 10 ans, ils sont si pauvres et si vulnérables qu’en cas de catastrophe naturelle telle que l’invasion de criquets pèlerins, ils ont très peu de moyens pour faire face à la situation. Actuellement, la conjoncture est aggravée par la pauvreté du paysan, qui n'a pas les moyens de se procurer des vivres sur le marché ».

Le pays a connu de nombreuses crises alimentaires par le passé, notamment en 1972/73, et en 1984/85 lorsqu'une grande sècheresse a provoqué la famine dans le pays, explique Alpha Gado, professeur à la faculté des lettres et sciences de l'université de Niamey.

A l'entrée du marché hebdomadaire de Garhanga, seuls les chameaux et les ânes qui ont transporté les marchandises semblent sereins en cette fin de matinée.

Les commerçants de Garhanga sont bien moroses ; leurs étals de bois sont peu achalandés et, en dehors de quelques denrées alimentaires, rien ne passe.

Sur les étals, la mesure de mil se vend à 600 francs CFA (1,2 dollars), au lieu de 250 francs CFA (50 cents). Seul Al Hadji Moussa, dont l'étal regorge de mil, de haricots, de riz et de tourteau qu'il s'est procuré dans la ville de Tahoua, semble satisfait ; en ces temps de disette, le mil se vend encore.

Al Hadji Mohaman Mahamadou, qui vend des articles de quincaillerie, se plaint : « Les affaires vont mal ! Les gens n'ont pas d'argent, et quand ils en ont un peu, c'est pour acheter du mil ! ».

Du côté de l'enclos à bétail, où se trouvent quelques dizaines de chèvres et de moutons décharnés, les commerçants sont eux aussi bien moroses. Le renchérissement du prix des céréales a provoqué l'effondrement du prix du bétail.

« Ce grand mouton, aujourd'hui, il ne vaut même pas 20 000 francs. Il ne me permettra même pas d'acheter un sac de mil », indique Ilias Touré, vendeur de bétail.
C'est pour pallier la forte hausse des prix des céréales enregistrées chaque année en période de soudure que le gouvernement nigérien a mis en place, avec des bailleurs de fonds et diverses organisations nationales et internationales, un dispositif de gestion des crises alimentaires.

Présidé par une commission mixte de concertation Etats - donateurs, ce dernier est doté d'un stock national de réserve de 50 000 tonnes de céréales, activé en cas de crises majeures à l'échelle du pays, et d'un fonds d'intervention alimenté par le fonds commun des donateurs en cas de crise localisée.

Le dispositif s'est mis en branle dès le mois d'octobre dernier, lorsque les signes annonciateurs de la grave crise alimentaire de cette année ont été connus.

Le gouvernement a misé sur l'opération de vente de céréales à prix modérés, qui permet de mettre sur le marché des céréales à prix subventionné ; il a également misé sur le renforcement et la création de banques de céréales ainsi que sur la mise en place de travaux à forte main d'œuvre.

Si le dispositif fonctionne en temps normal, cette année, sur le terrain, il faut bien avouer qu'il est insuffisant.

Pour Malicki, le maire de Garhanga, le dispositif ne fonctionne pas.

« Garhanga a reçu 10 tonnes de céréales pour une population de 6 000 habitants...Les sacs sont partis tout de suite, et de nombreuses personnes, qui avaient pourtant de l'argent, n'ont rien reçu du tout ! », a-t-il déclaré.

Distributions gratuites contre vente à prix modéré

Les partis de l’opposition ainsi que certaines organisations non gouvernementales (ONG) ont critiqué la décision du gouvernement de vendre des vivres aux plus démunis à des prix subventionnés, au lieu de les distribuer gratuitement.

Le mois dernier, près de 2 000 personnes ont manifesté dans les rues de Niamey pour exiger la distribution gratuite de nourriture pour les malnourris.

Pour Seidou Bakari, le coordinateur de la cellule de crise alimentaire, à Niamey, « il n'y a pas de débat sur la question. Les ressources dont dispose le gouvernement ne permettent pas de faire des distributions générales gratuites ».

Confrontées à la perspective d’une famine qui toucherait 3,6 millions de Nigériens, les autorités nigériennes ont choisi d’aider les populations les plus vulnérables par des « prêts alimentaires » plutôt que par des distributions de vivres gratuits, selon Seidou Bakari.

Pour Bakari, l’approvisionnement en céréales est insuffisant sur le marché national comme sur le marché régional, les pays voisins tels que le Mali ou le Tchad ayant été, eux aussi, touchés par la crise alimentaire.

Criquets et sécheresse : l’équation fatale de l’année 2004

Aujourd’hui, le Sahel, région semi-aride de l’Afrique de l’Ouest, en subit les conséquences et quelque six millions de personnes pourraient bientôt crier famine.

Le Niger à lui seul nécessitait 18,5 milliards de francs CFA (34,2 millions de dollars américains) pour reconstituer son fonds d’intervention et ses réserves alimentaires d’urgence, selon le coordinateur de la cellule de crise alimentaire.

Tandis que l’aide internationale a commencé à arriver le mois dernier, les ministres ont mis la main au portefeuille pour venir en aide aux plus démunis. Ils ont vivement encouragé les fonctionnaires à en faire autant.
En deux semaines, les dons des représentants du gouvernement ont atteint 300 millions de francs CFA (600 000 dollars américains) et permis de constituer une réserve de 22 tonnes de mil et 35 tonnes de farine de blé, selon Bakari.

Les Nations unies ont sollicité les bailleurs de fonds internationaux à hauteur de 16,2 millions de dollars américains afin de prévenir la famine au Niger, mais Michele Falavigna, qui dirige le bureau du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) à Niamey, a déclaré que seuls 25 pour cent de la somme avaient été mobilisés jusqu’à présent.

Entre-temps, le monde arabe s’est montré solidaire du Niger, pays majoritairement musulman, d’une manière plus spontanée.

La Libye, l’Algérie et les Emirats Arabes Unis ont tous trois envoyé des avions entiers remplis de vivres.

Bien que le Niger ait besoin d’une aide d’urgence, certains représentants et experts d’organisations internationale pensent qu’à long terme, les autorités nigériennes devront repenser leur politique agricole et de sécurité alimentaire.

« A-t-on déjà atteint le point de rupture entre le système de production traditionnel et la croissance démographique ? », s'interroge Falavigna.

Le Professeur Gado plaide, lui, pour une politique nataliste : « d'ici 10 ou 15 ans, les superficies cultivables disponibles ne suffiront plus à nourrir la population s'il n'y a pas de politique nataliste pour faire en sorte qu'il y ait une corrélation plus soutenable entre la production et les bouches à nourrir. Il faudrait des aménagements tels des cultures de contre-saison », dans un pays où une femme a huit enfants en moyenne, taux le plus élevé au monde.

Pour Gian Carlo Cirri, le représentant du Programme alimentaire mondiale, « maintenant qu'on a secoué le palmier dattier, il faut réorienter la réponse de l'urgence à fournir vers le moyen et le long terme ».





This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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