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Les riches plantations de cacao alimentent les conflits intercommunautaires dans l'ouest de la Côte d'Ivoire

[Cote d'Ivoire] Cocoa beans drying. International Cocoa Association
Séchage des fèves de cacao
Le Premier ministre était venu constater sur place les restes calcinés de ce village de la région ouest très instable de la Côte d’Ivoire. Le chef d’état–major général des armées était venu rendre hommage aux populations éplorées alors que le ministre de la Réforme administrative, natif de la région, était présent aux obsèques des victimes.

Des douzaines de morts ont été enterrés dans une fosse commune creusée à l’entrée du village, aux abords de la route principale. Cette fosse commune est facilement identifiable par le monticule de terre rouge fraîchement retournée, près du barrage routier surveillé par les forces de sécurité de la Côte d’Ivoire.

De Guitrozon, il ne reste aujourd’hui que quelques cases brûlées, des maisons abandonnées, et la pesante odeur du désinfectant utilisé pour nettoyer le sang des victimes versé sur les sols en ciment. Vêtements, casseroles et assiettes sont éparpillés dans les cours de certaines maisons dont les propriétaires ont peut-être été assassinés ou ont réussi à s’enfuir.

Au moins 60 villageois ont trouvé la mort mercredi dernier aux cours des graves affrontements inter-communautaires les plus meurtriers survenus dans l’ouest de la Côte d’Ivoire au cours des dernières années. Une semaine plus tard, ces massacres ont encore des répercussions politiques dans le pays.

Toutes les victimes appartenaient à l’ethnie guéré et les assaillants, des gens venus du Nord ou des Dioulas, originaires de la région nord de la Côte d’Ivoire contrôlée par les forces rebelles, ou du Burkina Faso et du Mali voisins.

Pendant des générations, les Guérés et les Dioulas ont exploité les terres pour développer les plantations de cacao les plus fertiles de la Côte d’Ivoire, premier producteur mondial de fèves de cacao.

Un climat de peur

"C’est lorsque nous avons entendu crier que nous avons compris que quelque chose d’anormal se passait", a indiqué César Blé, un proche collaborateur du chef du village de Guitrozon. "Ils ont attaqué les gens à la machette et lorsque ces derniers se sont mis à crier ils ont fait usage de leurs fusils".

Avec une poignée de jeunes gens, Blé monte la garde dans le village déserté et montre du doigt les militaires ivoiriens en poste au barrage routier. "Ils ne sont pas intervenus. Selon les informations recueillies, un seul a osé tirer trois grenades, mais d’après mes sources, il l’aurait fait contre l’avis de son supérieur".

"Les forces onusiennes de maintien de la paix sont ensuite intervenues" a-t-il précisé", mettant ainsi fin au carnage."

Le village de Guitrozon est situé à la lisière de la zone de confiance qui sépare la région nord, détenue par les forces rebelles, de la région sud, contrôlée par les forces gouvernementales.

La guerre civile qui sévit en Côte d’Ivoire depuis trois ans a aggravé, mais pas provoqué le différend qui oppose la population guéré autochtone à celle des allogènes venus du Nord au sujet des problèmes fonciers. Ceux-ci seraient à l’origine du conflit ethnique.

Quelques jours avant l’attaque du village de Guitrozon, quatre paysans sénoufos avaient été retrouvés morts. Deux des victimes avaient été émasculés. La région de Duékoué avait déjà fait parler d’elle à l’occasion d’un autre incident qui s’inscrivait dans une longue série de représailles meurtrières.

Après les incidents de Guitrozon, des milliers de planteurs de cacao se sont enfuis avec femmes et enfants pour se réfugier dans la ville voisine de Duékoué. Les critiques acerbes contre l’immobilisme des forces armées ivoiriennes ne sont pas passées inaperçues. Mercredi dernier, le chef d’état-major général des armées, Philippe Mangou, a procédé à l’installation d’un nouveau commandant dans la ville de Duékoué.

Mais un climat de peur règne toujours.

Au cours du week-end, des hommes armés ont tué au moins quatre Dioulas. "Chaque matin", a indiqué un habitant, sous le couvert de l’anonymat, "on se lève en se demandant s’il y a eu des morts pendant la nuit ? "

Selon le maire de Duékoué, Victor Tiehi, au moins 30 villages voisins de la ville ont été abandonnés par leurs habitants apeurés. Et d’après les estimations du maire, les affrontements du week-end dernier ont fait 103 morts.

"Il y règene un climat de peur dans cette région," a indiqué Tiehi assis dans un bureau sans fenêtre qui fait plus penser à un entrepôt qu’à une mairie. Des sacs de riz importés du Pakistan et distribués gracieusement par les autorités étaient empilés jusqu’au plafond et occupaient presque la moitié de la superficie du bureau. Dans un autre coin de la pièce de nombreuses boîtes de médicaments antipaludéens étaient entreposés.

"La ville est pleine de malfaiteurs, la zone de confiance est une zone de non-droit, les rebelles sont pas loin et il y a des armes partout", s’est plaint Tiehi. "J’aimerais faire quelque chose à propos de la zone de confiance, mais je n’en ai pas le pouvoir et je n’ai aucune autorité sur cette zone".

La zone de confiance est sous la supervision d’une partie du contingent des 10 000 hommes des forces onusiennes de maintien de la paix, composées de 6 000 casques bleus de l’ONU et des 4 000 militaires français de l’opération Licorne agissant sous le mandat de l’ONU.

Une bataille pour s’approprier les terres

Mais de nombreux habitants se plaignent du sentiment d’impunité dans cette région. Selon eux, les forces de sécurité sont plus occupées à rançonner les gens aux barrages routiers qu’à veiller sur leur sécurité. Les troupes de l’ONU interviennent généralement trop tard. Quant aux forces françaises, elles ont transféré leur camp militaire dans la base de l’ONU depuis les manifestations anti-françaises de novembre dernier.

"Ecoutez", a lancé Tiehi, après avoir poussé un soupir. "C’est la richesse de notre sol qui est à l’origine de ce différend. Si vous regardez la géographie de la région, vous verrez que les allogènes sont bien plus nombreux que les Guérés. Il n’existe pas de village dans la région où les Guérés sont majoritaires par rapport aux étrangers. Certains veulent posséder nos terres parce qu’elles sont riches. C’est tout aussi simple que cela."

Actuellement, la ville cacaoyère de Duékoué est dangereusement coupée en deux.

Parmi la population autochtone des Guérés, des milliers de déplacés se sont réfugiés à la mission catholique située au centre de la ville. A l‘autre bout de la ville se trouvent les allogènes, composés d’ivoiriens du nord, de Malinkés ou de Baoulés, et d’immigrants.

Au cours des dernières semaines, la mission catholique a dû faire face à des vagues réfugiés. Quelque 7 000 personnes ont envahi la cour de la mission catholique à la fin du mois d’avril à la suite des affrontements meurtriers entre jeunes guérés et transporteurs dioulas.

A la mi-mai, la plupart des déplacés avait rejoint leur domicile, mais des milliers ont pris d’assaut la mission, la transformant littéralement en camp de réfugiés.

"Je n’ai rien laissé derrière moi", s’est exclamé Jean Djin, un habitant de Duékoué. "Les Dioulas m’ont chassé le 28 mai. Ils sont venus chez moi armés de machettes et de gourdins, et m’ont demandé de quitter le quartier. Et comme j’ai peur de retourner chez moi, je dors à la mission."

De nombreux Guérés disent craindre que les assaillants, rebelles ou paysans, envisagent de prendre le contrôle de la ville de Duékoué. Ils pourront ainsi contrôler le commerce du cacao.

A propos des affrontements, le père Francesco, un des quatre curés qui gèrent la mission, a indiqué qu’il s’agit “d’un vieux contentieux” et d’un “problème très complexe”. Portant une barbe de plusieurs jours, le curé semblait fatigué et inquiet.

"Vous voyez ces tentes", a-t-il lancé, en montrant du doigt les bâches fournies par le Comité International de la Croix Rouge (CICR). "Elles sont bondées le soir. Nous devons en installer d’autres."

La nourriture ne fait pas défaut, 40 tonnes de riz ayant été livrées à la mission. Mais selon le père Francesco, au moins sept villages guérés de la région ont été rasés et cela ne s’arrêtera pas.

"Et personne ne se préoccupe de rechercher les coupables” a-t-il ajouté. "Ici, les gens se connaissent tous et de telles représailles ne peuvent se préparer dans le plus grand secret. Il suffit d’arrêter quatre ou cinq personnes et de les emprisonner. Mais tant que les coupables ne seront pas arrêtés, le problème ne sera pas résolu".

Vives protestations au sujet des massacres

Alors que les autorités ivoiriennes sont critiquées par la communauté nationale pour leur immobilisme face à ces meurtres, le Conseil de sécurité de l’ONU a publié mardi à New York un communiqué exhortant la Côte d’Ivoire à ouvrir sans délai une enquête sur ces crimes afin que leurs auteurs soient rapidement traduits en justice et condamnés.”

“Les autorités ivoiriennes sont responsables de la sécurité des populations civiles”, a indiqué le communiqué du Conseil de sécurité des Nations unies.

Le massacre a suscité une vague de protestations en Côte d’Ivoire.

Le groupe parlementaire du parti au pouvoir, le Front populaire ivoirien (FPI), a quitté les bancs de l’Assemblée nationale en exigeant la démission du Premier ministre pour son incapacité à arrêter les massacres. Quant au G7, la coalition des partis de l’opposition, il a accusé le président Laurent Gbagbo de duplicité, l’armée n’ayant rien fait pour arrêter les massacres.

Alors que la plupart des personnes gravement blessées au cours de l’attaque ont été évacuées vers un centre hospitalier proche de Daloa, l’hôpital local de Duékoué continuent d’accueillir presque tous les jours de nouveaux patients, selon le médecin-chef, Richard Kore.

"Lundi, nous avons enregistré quatre morts et quatre blessés", a lancé médecin après avoir consulté rapidement un registre posé sur son bureau.

"Un des blessés était membre du FLGO, une milice pro-gouvernementale. Il portait sur lui sa carte de membre et faisait partie du groupe d'assaillants qui avait attaqué le domicile d’un Dioula. Il a été appréhendé par la population locale, qui a failli le lyncher."

Si les rebelles dans les zones nord sont souvent accusés de s’en prendre aux populations autochtones, les milices pro-gouvernementales sont, quant à elles suspectées d’être à l’origine des attaques contre les immigrants et les ressortissants du nord.” La semaine dernière, deux corps de travailleurs étrangers ont été découverts dans la région de Duékoué, connue pour être le fief de la milice pro-gouvernementale de l’Alliance patriotique du peuple We.

Désabusé, le docteur Koré de l’hôpital de Duékoué, a esquissé un sourire lorsqu’IRIN lui a demandé s’il disposait d'assez de médicaments et de matériel pour soigner ses patients.

"Oui, nous sommes très bien équipés", a-t-il lancé. "Mais le problème n’est pas là. Ce qui est déplorable, c’est que les autorités ne cherchent pas à identifier la source du mal. Elles devraient résoudre le différend foncier. Elles se limitent à distribuer des sacs de riz et de l’argent, et s’empressent de retourner en ville."

"De mon point de vue, il s’agit d’un problème foncier", a-t-il ajouté. "Les Guérés ont bradé leurs terres et veulent maintenant les récupérer, ce qui n’est pas possible car les immigrants ont la loi pour eux. Et tant que ce problème ne sera pas résolu, ces attaques continueront".





This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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