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Une réponse rapide à l’invasion des criquets, grâce à la coopération Sud-Sud

[Senegal] Senegalese children run as locusts spread in the capital Dakar August 2004 IRIN
Alors que des essaims de criquets s’abattaient sur les récoltes et les pâturages d’Afrique de l’Ouest pendant la saison des pluies de cette année, les premières équipes étrangères d’intervention au sol ne sont pas venues des traditionnels bailleurs de fonds européens ou américains, mais des pays du Maghreb.

Des camions chargés de pulvérisateurs et de pesticides ont quitté le Maroc, l’Algérie, la Tunisie et la Libye, et ont traversé le désert du Sahara pour apporter aux pays voisins du sud l’aide nécessaire aux équipes de lutte contre les criquets.

Ces premières équipes d’intervention sont arrivées en Mauritanie, au Sénégal, au Mali et au Niger à la fin du mois de juillet, quelques semaines après les premiers essaims de criquets.

Des avions épandeurs capables d’anéantir des millions de criquets au sol avant le lever du soleil ont suivi peu de temps après.

«Nous sommes venus ici pour aider les pays du Sahel à limiter le nombre d’essaims qui vont passer au nord, car on sait bien qu’ils vont arriver en Algérie,» a indiqué à IRIN Mohamed Arezki Ouitis, le responsable de l’équipe d’intervention algérienne basée à Saint-Louis, au Nord-Ouest du Sénégal.

«Deux jours après que le Sénégal ait lancé son appel international, nous étions là,» a t-il confié à IRIN en regardant un champ d’arachides dépouillé de ses feuilles par les millions de larves grouillant autour de lui.

Ce n’est qu’au début du mois d’octobre, deux mois après l'arrivée au Sénégal de Ouitis et son équipe, au terme d’une épuisante traversée du désert du Sahara qui aura duré 6 jours, que les Etats-Unis ont envoyé une flotte de six avions épandeurs dans le Sahel.

Entre temps, les essaims de criquets remontaient déjà au Nord en traversant le Sahara, en direction des régions d’Afrique du Nord où ils se nourrissent et se reproduisent en hiver.

«Nous aurions dû réagir plus tôt, mais c’est un phénomène que très peu de personnes connaissent», a déclaré Regina Davis, responsable USAID du DART (Disaster Assistance Response Team).

«Les gens disent qu’il s’agit de l’invasion de criquets la plus catastrophique depuis 15 ans. Mais ce n’est que lorsque la situation a atteint un certain stade que vous comprenez ce que cela signifie réellement pour les personnes affectées,» a indiqué Davis à IRIN alors qu’elle aidait l’équipe d’intervention américaine à monter des opérations à Saint Louis.

L’organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO ), qui coordonne l’action internationale pour la lutte contre le péril acridien en Afrique depuis près d’un demi-siècle, a indiqué qu’elle avait averti à temps les donateurs occidentaux de la nécessité d’agir rapidement pour éviter une crise cette année.

La FAO avait vu venir le problème, après les pluies particulièrement abondantes qui ont arrosé le Sahel l’année dernière et créé des conditions idéales pour que les criquets se reproduisent rapidement et se constituent en essaims voraces et destructeurs de récoltes.

Cette situation a amené l’agence onusienne à lancer un premier cri d’alarme dès octobre 2003.

Cette alerte a été suivie d’un appel de fonds d’un montant de 9 millions de dollars américains destiné à renforcer la lutte contre les criquets, alors que les essaims se trouvaient encore en Afrique du Nord sur les flancs sud du massif de l’Atlas. Mais très peu de réponses ont alors été enregistrées.

En août, alors que des équipes d’intervention d’Afrique du Nord s’empressaient déjà d'aider leurs collègues des pays sahéliens complètement débordés, la FAO a porté la demande d’aide à 100 millions de dollars et prévenu la communauté internationale du risque de famine, si l’invasion des criquets n’était pas maîtrisée.

Les pays occidentaux ont enfin réagi.

Au mois de septembre, les Etats-Unis et les pays de l’Union européenne ont annoncé d’importantes contributions financières.

«Depuis notre dernière rencontre, la réponse a été très encourageante, mais demeure en deçà de ce qui est nécessaire,» a déclaré Jacques Diouf, Directeur général de la FAO lors d’une conférence de presse jeudi à Rome.

«Mais les contributions disponibles à ce jour s’élèvent au quart des besoins,» a t-il ajouté.

La FAO a indiqué qu’au 13 octobre, sur les 58 millions de dollars promis par les pays donateurs, elle n’avait reçu que 20 millions de dollars, ajoutant elle-même 6 millions de dollars au titre de sa contribution personnelle.

«La FAO a soulevé ce problème depuis le mois d’octobre 2003,» a indiqué à IRIN Clive Elliot, le responsable FAO de la cellule de lutte antiacridienne à Rome. «Le problème est que la réaction des donateurs a été lente et, lorsqu’ils ont réagi, l’aide financière n’a pas été immédiate.»

Les donateurs ont entre temps accusé la FAO de n’avoir pas suffisamment insisté sur la gravité de la crise.

«Je pense que le problème a été posé, mais je suis déçu par ce que j’ai vu et par le manque de réactivité,» a déclaré à la mi-septembre à Reuters l’ambassadeur américain auprès de la FAO à Rome, Tony Hall.

Depuis, la crise des criquets a pris une dimension internationale plus importante et l’office des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA) s’est joint à la FAO pour contribuer à apporter une réponse urgente à la crise.

«Si aucune action immédiate n’est entreprise pour arrêter ce qui est aujourd’hui le plus grave péril acridien des dix dernières années, près de 25 pour cent des récoltes en Afrique de l’Ouest pourraient être perdues et les moyens de subsistance de 150 millions de personnes seraient sérieusement menacés d’ici la fin de l’année,» a déclaré Jan Egeland, le coordinateur de l’aide humanitaire des Nations unies, dans un article publié la semaine dernière par le New York Times.

Toutefois, certains donateurs rappellent que les lentes procédures administratives internes sont un frein au rapide acheminement d’importantes quantités de pesticide, d’avions épandeurs, de matériel de pulvérisation, de véhicules ou de radios.

«On a pris la décision de soutenir les pays affectés à la mi-août, en passant par la FAO, mais c’est très compliqué de signer un contrat entre notre capitale, notre ambassade à Rome et la FAO,» a déclaré à IRIN un diplomate européen en poste à Dakar, ajoutant qu’aucun contrat n’avait pour le moment pu être établi.

Jeudi Jacques Diouf a préconisé la création par la FAO d’un fonds propre d’aide d’urgence pour pouvoir à l’avenir intervenir rapidement en cas de crise.

«Il serait peut-être nécessaire de se doter d’un fonds d’urgence très conséquent qui nous permettrait de réagir rapidement en attendant la contribution des donateurs,» a déclaré Jacques Diouf.

«Nous essayons de déterminer quel serait le montant de ce fonds pour faire face simultanément à quatre crises,» a conclu le directeur de la FAO.

Jacques Diouf a indiqué qu’en dehors de la crise des criquets en Afrique de l’Ouest, la FAO faisait face actuellement à une épidémie de fièvre aviaire en Asie, aux conséquences des cyclones dans les Caraïbes et aux inondations au Bengladesh, au Népal et au Bhutan.

Les spécialistes de la lutte antiacridienne ont indiqué que la majeure partie de l’aide reçue des pays d’Afrique du Nord a été rendue possible grâce aux efforts de coordination de la Commission de lutte contre les criquets pèlerins dans la région occidentale (CLCPRO), un organisme régional parrainé par la FAO.

La CLCPRO est basée en Algérie et regroupe les pays arabes du Nord, Maroc, Algérie, Tunisie et Libye et leurs voisins du Sud, Mauritanie, Sénégal, Mali, Niger et Tchad.

La commission a élaboré en juin un plan d’action pour lutter contre l’invasion des criquets pèlerins à Niamey, quelques semaines seulement avant que les essaims venus du Sahara ne fassent leur apparition dans les steppes du Sahel.

Et c’est suite à une réunion tenue à Alger les 27 et 28 juillet que l’aide des pays d’Afrique du Nord au Sahel a commencé à arriver.
« Les états membres de la CLCPRO se sont mis d’accord pour que les pays du Maghreb donnent d’abord 12 millions de dollars à travers l’envoi d’équipes de lutte, de pesticides, l’affrètement d’avions et ils ont engagé ces actions immédiatement,» a confié à IRIN Sidi Ali Moumen, le président de la commission.

En quelques jours, l’aide avait été débloquée, les pays d’Afrique du Nord étant conscients que si le nombre de criquets n’était pas considérablement réduit dans le Sahel, ils seraient confrontés à une invasion encore plus importante au cours de l’hiver et du printemps prochains.

«La coopération Sud-Sud a très bien fonctionné, avec des pays comme l’Algérie, le Maroc, la Libye, la Gambie nous ayant envoyé des équipes de traitement et de prospection,» a indiqué à IRIN Mbargo Lo, agronome au ministère sénégalais de l’agriculture.

Par ailleurs, a-t-il fait remarquer, la Gambie, épargnée jusqu’ici par l’invasion des criquets pèlerins, a envoyé 6 équipes d’intervention au Sénégal. Cette contribution s’explique par le fait que si les essaims de criquets n’étaient pas contenus dans le Nord du Sénégal, ils pourraient se répandre dans le sud et détruire les champs de cultures en Gambie.

Lo a également indiqué que bien que des équipes sénégalaises soient engagées dans la lutte contre les criquets sur leur propre territoire, le gouvernement a envoyé trois équipes d’intervention en Mauritanie voisine bien plus touchée par le péril acridien.

Il n’est pas difficile de comprendre les raisons de cette solidarité. Le ministère de l’agriculture du Sénégal annonce presque chaque jour dans son bulletin sur la situation du péril acridien que de nouveaux essaims ont envahi le Nord du Sénégal à partir du sud de la Mauritanie.

Lors d’une réunion de coordination régionale tenue à Dakar à la fin du mois d’août, le président Abdoulaye Wade a critiqué les donateurs occidentaux pour le peu d’empressement qu’ils mettent à traduire leurs promesses d’aide en assistance effective.

Il a exhorté les pays occidentaux à apporter une aide matérielle concrète sous la forme de pesticides, d’avions épandeurs et de matériels divers, de préférence à une aide financière.

Selon Jacques Diouf, la FAO a fourni jusqu’ici 600 000 litres de pesticides non seulement pour l’Afrique de l’Ouest, mais aussi pour la lutte contre les criquets en Afrique de l’Est et dans la péninsule saoudienne. 700 000 litres supplémentaires ont été commandés, a t-il ajouté.

Diouf a également indiqué que la FAO avait déjà envoyé deux avions épandeurs en Mauritanie et deux autres au Mali. Cinq avions supplémentaires sont prévus pour le Sénégal, la Mauritanie et le Niger.

Mais le président de la CLCPRO, Moumen, a fait remarquer que l’assistance n’arrivait pas assez rapidement.

«L’assistance reçue jusqu’à présent demeure insuffisante parce que la situation révèle les prémisses d’une invasion généralisée, mais le traitement ne représente que 18 pour cent des surfaces infestées.»

«L’année dernière à la même époque, 600 000 hectares seulement étaient infestés, comparés aux 3,8 millions d’hectares aujourd’hui,» a t-il fait remarquer.

Le temps qu’une bonne partie de l’assistance promise par les pays occidentaux arrive enfin dans le Sahel, il sera peut-être presque trop tard.

Par ailleurs, à la fin du mois de novembre, la plupart des criquets vont émigrer vers le Nord en direction du Maghreb où, portés par des vents dominants, ils pourront parcourir jusqu’à 100 km par jour.

La FAO a signalé depuis le début du mois d’octobre d’importants essaims de criquets qui se dirigent vers le Nord de la Mauritanie, le sud de l’Algérie et de la Libye.

«D’autres essaims vont se constituer ce mois-ci dans le Sahel et il faut s’attendre à de nouveaux mouvements de populations de l’Afrique de l’Ouest vers le Nord-Ouest de l’Afrique,» a noté la FAO dans son dernier point de presse sur les criquets.

Des experts prédisent actuellement que, quelles que soient les actions entreprises au cours des prochaines semaines pour mettre en place des mesures de contrôle dans le Sahel, l’Afrique du Nord connaîtra probablement une invasion bien plus importante pendant l’hiver et le printemps que celle de l’année dernière.

«Nous sommes en pleine reproduction, les conditions écologiques sont toujours favorables, il y a des mouvements de population tant vers le sud que vers le Nord. On n’a pas encore atteint le sommet de la courbe de reproduction qui doit se situer au printemps 2005,» a indiqué à IRIN Said Ghaout, un spécialiste marocain de la lutte contre les criquets envoyé au Sénégal par la FAO.

Elliot, responsable de la cellule Criquets auprès de la FAO, a indiqué que le Maroc et l’Algérie avaient investi, en tout, près de 100 millions de dollars l’hiver dernier pour lutter contre les essaims de criquets.

«Mais il y a des risques que les infestations de la prochaine saison hiver/printemps soient encore plus importantes que celles de l’année dernière,» a t-il indiqué. «Tout le monde savait que les criquets reviendraient.»

Jacques Diouf a salué les efforts déployés par les pays d’Afrique du Nord pour aider les pays voisins sahéliens et a exhorté les donateurs occidentaux à les indemniser pour leurs actions.

«Ces pays sont plus avancés que les pays d’Afrique de l’Ouest, mais ils demeurent en voie de développement et ont besoin d’un soutien international. C’est pour cette raison que j’ai lancé ce matin un appel aux pays du Nord pour qu’ils les soutiennent,» a conclu le directeur général de la FAO.


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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