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IRIN INTERVIEW avec Eugène Serufuli, le gouverneur de la province du Nord-Kivu

Un séminaire, organisé lundi à Kinshasa, la capitale de la République Démocratique du Congo (RDC), pour la mise en oeuvre du Programme multi sectoriel d'urgence de reconstruction et de réhabilitation (PMURR), a réuni, pour la première fois depuis cinq années de guerre, les gouverneurs de toutes les provinces du pays.

Un des participants, le gouverneur de la province du Nord-Kivu, Eugène Serufuli, a accordé une interview, mercredi dernier, à l’IRIN.

Eugène Serufuli est également le deuxième vice-président de l'ancien mouvement rebelle, le Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD-Goma), qui participe aujourd'hui au gouvernement d'union nationale.

A l'occasion de cette interview, le gouverneur a notamment évoqué la présence des groupes armés rwandais et ougandais dans la province du Nord-Kivu, le refus de trois officiers du RCD-Goma de prendre leurs fonctions au sein de la nouvelle armée unifiée et les lenteurs de la réunification du pays.

QUESTION: Vous participez au séminaire pour le lancement du PMURR. Que représente pour vous ce Programme et cette rencontre qui réunie pour la première fois depuis le déclenchement de la guerre les gouverneurs de différentes régions, autrefois sous l'autorité des différents belligérants?

REPONSE: Ce séminaire est venu à point. Vous savez qu'après la tempête arrive le beau temps. Après des années de guerre nous avons à présent un gouvernement d'union nationale et des institutions de transition.

Nous croyons qu'il est temps maintenant d'oublier tout ce qui s’est passé et de commencer à reconstruire notre pays. Ce programme est ainsi le bienvenu. Aujourd'hui, ce séminaire a permis de réunir tous les collègues [les gouverneurs], donc de tout le Congo déjà réunifié. C'est un signal très fort montrant que nous allons vers des programmes de reconstruction de notre pays.

Q: La ville de Goma a particulièrement été touchée par la guerre et les catastrophes naturelles du fait de la dernière éruption volcanique. Le Programme concernera-t-il aussi cette ville?

R: Bien sûr. La province du Nord-Kivu a connu beaucoup de destructions d'abord à cause des conflits inter-ethniques puis des deux guerres et finalement de l'éruption du volcan.

Les destructions ont été terribles. Mais nous avons l'avantage d'avoir une population très dynamique qui a compris depuis très longtemps qu'elle doit se prendre en charge. Elle a d'ailleurs déjà commencé à réaliser de nombreuses actions. Un Programme comme celui-ci, qui est
soutenu [en partie] par la Banque mondiale, renforcera toutes ces initiatives populaires.

Q: Quelles sont les priorités du Programme pour Goma?

R: Les réalités sont connues. Une délégation du gouvernement [d'union nationale] s'est déjà déplacée à Goma pour évaluer la situation.

Nous parlons essentiellement de la réhabilitation de l'aéroport de Goma. La piste a été touchée par l'éruption du volcan. Vous savez aussi que la province du Nord-Kivu est le grenier de la RDC. La province ravitaille toutes les villes du pays, principalement la capitale, Kinshasa.

Voilà la première priorité. Mais il y a aussi des programmes de réhabilitation des routes de desserte agricole. Nous vous disions que la population a déjà commencé à travailler avec les moyens de bord et l'appui de la province. Nous avançons petit à petit. Nous croyons que les autres secteurs, comme la santé, l'éducation qui occupent nos préoccupations tous les jours, seront aussi pris en compte dans le programme PMURR.

Q: Le Programme s’étendra-t-il à tout l’Est du pays?

R: Le programme PMURR a été élaboré au préalable pour l'Ouest et le Sud de la RDC. Mais du fait de la réunification nationale, des équipes techniques vont se rendre sur le terrain pour intégrer la partie Est de la RDC. Nous croyons que beaucoup d’infrastructures du Kivu seront prises en compte dans le programme qui sera élaboré.

Q: Vous êtes souvent accusés de ralentir le processus de réunification. Des personnalités de votre mouvement, le RCD-Goma, ont décidé en effet de demeurer à Goma au lieu de prendre leurs fonctions dans les nouvelles institutions. Qu'en est-il exactement?

R: C'est faux. Ceux qui nous suivent de très près auront constaté que nous sommes venus participer à la cérémonie de prestation de serment des vice-présidents. Nous avons ensuite été invités par notre ministre de tutelle et nous sommes venus ici [Kinshasa] pour des séances de travail. C'est la troisième fois que nous venons ici dans le cadre de la réunification nationale. Donc, ces gens qui avancent ces allégations sont parmi les politiciens qui ont choisi le mensonge comme mode de gestion.

Q: Qu'en est-il des groupes armés et des milices qui continuent à opérer dans votre province et que vous entretiendriez?

R: Il n'existe pas de milices au Nord-Kivu. Il existe des groupes armés et ce sont spécialement des groupes étrangers, des [éléments] de l'Interahamwe avec des ex-FAR (1). Il y avait évidemment quelques groupes armés congolais comme les Mayï-Mayï [des milices traditionnelles locales]. Mais il n'existe pas de milices. Ceux qui parlent des milices, sont des détracteurs qui ont choisi le mensonge comme mode de travail.

Q: Qu'en est-il alors des "local defense" dont on dit que vous les entretiendriez?

R: C'est archi-faux. Les "local defense" sont l'équivalents des FAP [Forces d'Auto-défense Populaires] existant à Kinshasa et qui sont instituées depuis bien longtemps. Ces "local defense" ont barré la route à beaucoup de politiciens qui avaient des plans machiavéliques. Ce sont ces gens-là, déçus dans leur planification, qui essaient
de salir les "local defense" en les appelant des milices, mais il n'en est rien. Ce sont des forces, des structures organisées pour faire participer la population au recouvrement et au maintien de sa propre sécurité.

Q: Que deviennent alors ces "local defense" dès lors que l'armée est unifiée?

R: Tous les pays instables ont ce même système. En Tanzanie par exemple, ils ont l'armée, la police, et les "local defense". Au Rwanda, ils ont également le même système. C'est pareil en Ouganda. Alors chez nous, comme il s'agissait d'unités officiellement reconnues et légalement installées dans le pays, le gouvernement va discuter de l'avenir de ces "local defense". Mais il faut que je vous dise qu'ils [local defense] n'existent pas seulement au Nord-Kivu. Ils existent dans toutes les autres provinces.

Mais pour le Nord-Kivu, plus de 80 % d'entres eux ont déjà intégré l'armée et les quelques 20 % restant, sont constitués de notables, de chefs de quartier, de chefs de rue, de chefs de localité. Ils essaient d'organiser la protection de leurs administrés. Mais le moment venu, lorsque le gouvernement décidera de leur sort, ils s'inclineront à sa décision.

Q: A combien estimez-vous le nombre de ces "local defense"?

R: Aujourd'hui, ils sont au nombre de 2.000. Mais comme je vous l'ai dit, ce sont essentiellement des notables, des pasteurs, des chefs de quartier, des chefs de groupement.

Q: Les ONG et la population locale parlent souvent du retour des troupes rwandaises et ougandaises. Trente six bombes ont été, par ailleurs, découvertes au Nord de la province. Qu'en est-il exactement?

R: Non, ce n'est pas vrai. C'est regrettable qu'il y ait des gens qui pensent que nous allons reconstruire le pays par le mensonge.

De toutes les façons, nous, nous représentons l'autorité de l'Etat dans notre province et nous ne connaissons pas la présence des armées du Rwanda et de l'Ouganda sur notre territoire. Nous reconnaissons, en revanche, l'existence de groupes armés étrangers notamment le FDD [Forces pour la Défense de la Démocratie]. Ce sont des Burundais qui font la rébellion contre le pouvoir à Bujumbura [la capitale du Burundi]. Il existe des Interahamwe et des ex-FAR. Ce sont des Rwandais, ils sont sur notre territoire. Ils sont très actifs et sont en train de déstabiliser la région. Voilà une réalité, mais l'armée [rwandaise ou ougandaise] régulière n'est pas sur notre territoire.

Q: On parle aussi de NALU et de l'ADF dont on aurait découvert des camps d'entraînement dans le nord de la province du Nord-Kivu.(2)

R: Les NALU sont dans les montagnes de Rwenzori, dans le territoire de Lubero. Vous savez que je n'administre pas encore les territoires de Butembo et de Beni jusqu'à aujourd'hui. La province du Nord-Kivu a été balkanisée et je crois que le gouvernement va bientôt se pencher sur la question de la réunification de notre province. Lorsque nous aurons le contrôle général de tous les territoires, nous aurons des informations précises sur ces NALU.

Nous devons être réalistes. Il y a une partie du Nord-Kivu que nous n'administrons pas. C'est une réalité. Le processus de réunification se poursuivra afin que la province soit, elle aussi, complètement réunifiée.

Q: Pouvez-vous localiser ces groupes rwandais, ougandais et burundais que vous évoquez? Combien sont-ils?

R: Les groupes armés ne sont pas dans des camps. Ils ne sont pas gérés par des organisations. Personne ne peut entrer en contact avec eux pour les recenser. Tous ceux qui avancent des chiffres ne sont que le fruit de leur imagination. Je ne voudrais pas vous donner des chiffres imaginaires.

Q: Trois officiers de Goma ont refusé de prendre leurs fonctions au sein de la nouvelle armée unifiée. Des parlementaires ont également refusé de se rendre à Kinshasa. Quelle est la situation de ces personnes aujourd'hui?

R: La situation des députés et des sénateurs est presque dépassée parce que certains d'entre eux sont déjà arrivés à Kinshasa. Les autres, restés là-bas [dans le Nord-Kivu], ont des raisons évidentes. Certains ont obtenu des bourses d'étude et doivent partir étudier dans très peu de temps. D'autres ont leurs affaires. Mais je crois que c'est un problème qui est déjà réglé. Lorsque certains ne sont pas disponibles pour siéger au parlement, leurs suppléants les remplacent.

Concernant les officiers restés à Goma, ils ont posé des préalables à leur prise de fonction car ils nourrissent des inquiétudes. Kinshasa examine actuellement les conditions de leur venue.

Pour le moment, je sais qu'ils ont donné leur accord de principe de se rendre à Kinshasa. Je sais qu'ils n'attendent que l'invitation de la haute hiérarchie militaire.

Q: Le RCD-Goma ne craint-il pas qu'une fois à Kinshasa ces officiers soient déférés devant la Haute Cour Militaire ainsi que l'a demandé le nouveau chef d'état-major général de l'armée unifiée?

R: Ils ont posé des préalables. Ils ont voulu être rassurés qu'une fois à Kinshasa, ils ne seront pas inquiétés. C'est ce que nous attendons. Lorsque toutes ces garanties seront réunies, ils se rendront dans la capitale.

Q: Les ONG dénoncent des pillages, des viols et autres exactions commises aussi bien par les Mayï-Mayï, les Interahamwe, les ex-FAR et par les militaires du RCD-Goma. Certains hommes et femmes seraient contraints d'exécuter des travaux forcés pour vos militaires. Quelles sont vos réactions?

R: Nous vous disions qu'il existe des groupes armés très organisés et très actifs là-bas. Et vous savez que les Interahamwe et les ex-FAR n'ont pas de champs. Ils ne cultivent donc nulle part. Lorsqu'ils ont besoin de se ravitailler, ils doivent aller piller et même tuer des gens pour prendre les vivres. C'est une réalité. Le gouvernement et les autorités locales avec l'appui de la communauté internationale, travaillent actuellement à neutraliser ces malfaiteurs qui déstabilisent nos populations.

NOTES:

(1)Les éléments Interahamwe sont des Rwandais Hutu extrémistes ayant participé au génocide rwandais en 1994. A la suite du génocide, ils ont, avec les ex-FAR, les anciennes Forces Armées Rwandaises, également impliquées dans le génocide, trouvés refuge en RDC.

(2)Les NALU [National Army for the Liberation of Uganda], l'Armée Nationale pour la libération de l'Ouganda et l'ADF [Allied Democratic Forces], les Forces alliées démocratiques, sont des groupes rebelles ougandais.

This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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