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Interview avec le ministre congolais des affaires sociales, Ingele Ifoto

Ingele Ifoto, le ministre des affaires sociales de la République démocratique du Congo (RDC) a accordé jeudi à IRIN une interview concernant la stratégie nationale en matière de protection sociale à la suite d'une conférence sur la question, du 20 au 22 février.

La RDC est en pleine face transitoire. Un gouvernement d'unité nationale a été installé le 30 juin 2003 pour mettre fin à près de cinq années de guerre et conduire le pays à des élections générales fin 2005.

La guerre avait entraîné la mort d'environ trois millions d'individus. Au moins 1,7 millions de personnes sont encore déplacées, selon les chiffres avancés par le ministre Ifoto. A coté de ces déplacés, de nombreuses catégories de la population souffrent encore des conséquences de la guerre, parmi lesquelles notamment les enfants soldats, des orphelins, des femmes violées, veuves de guerre, des personnes sans emploi...

De manière à identifier ces catégories de personnes vulnérables et à leur apporter une assistance adéquate, des études pilotes avaient été lancées par le ministère congolais des affaires sociales. L'ensemble de ces données a été validé dans le cadre de cette de conférence dans le but final d'élaborer un plan national de protection sociale.


QUESTION: Un atelier national portant sur la protection sociale vient de se tenir. Les résolutions de cet atelier vous ont été soumises en vue de l'élaboration d'une stratégie nationale en la matière. Que peut-on retenir de cet atelier?

REPONSE : Il s'est effectivement tenu du 20 au 22 février à Mbanza Ngungu, dans la province du Bas-Congo, un atelier national qui devait valider l'étude pilote menée sur les risques et la vulnérabilité en RDC. L'objectif de cet atelier national était tout d'abord de valider les données venues des différentes provinces pour les intégrer dans l'élaboration de la stratégie
nationale de la protection sociale.

Q: Quelles ont été les parties prenantes? Qui participe à l'élaboration de cette stratégie nationale de protection sociale?

R: Il faut resituer cet atelier dans son contexte historique. En l'absence d'une politique cohérente, rationnelle et adaptée aux problèmes de la vulnérabilité en RDC, mon ministère avait lancé une étude pilote.

L'étude avait premièrement pour objet de déterminer, identifier et classifier les risques majeurs auxquels la population congolaise est exposée. Deuxièmement, l'étude avait pour mission de recenser et d'identifier les groupes vulnérables, c'est-à-dire, les catégories de Congolais exposés à des risques. Cette étude devait en troisième lieu déterminer différents mécanismes possibles pour répondre aux problèmes sociaux auxquels sont confrontés ces groupes vulnérables.

Cette étude a commencé à la base, dans les provinces, de façon sectorielle. Maintenant que les ateliers régionaux à Kisangani [nord-est], à Bukavu [est], à Lubumbashi [sud-est] et à Kinshasa [la capitale au sud-ouest], il nous appartenait d'organiser un atelier national pour valider toutes ces données provinciales.

Les acteurs provinciaux sont venus. Nous avions fait appel non seulement à des consultants internationaux et nationaux mais surtout à la direction d'étude et de planification du ministère des affaires sociales, appuyée par tous les chefs de division de toutes les provinces.

C'était un partage d'expériences qui nous permettra d'élaborer la stratégie nationale pour la protection sociale.

Q: Quels sont les risques majeurs auxquels les Congolais sont exposés?

R: L'étude a identifié de nombreux risques. Il y a, par exemple, les risques politiques qui sont dus à la mauvaise gestion de la chose publique. Les risques politiques peuvent nous conduire à la guerre si nous n'y prenons pas garde.

Il y a des risques économiques. La mauvaise gouvernance peut mettre à plat l'économie du pays et faire de la majorité des Congolais des personnes vulnérables. Aujourd'hui, vous devez savoir que 80% des Congolais sont vulnérables.

Nous pouvons aussi avoir des risques liés aux catastrophes naturelles par exemple et ceux liés aux cycles de la vie, par exemple, les grossesses non désirées.

Autant de risques que nous avons identifiés aux niveaux politique, social, économique, culturel, et naturel.

Q: Quels sont les groupes vulnérables les plus importants que l'étude a identifiés ?

R: Les enfants en situation difficile: les enfants de la rue, les enfants soldats démobilisés, les orphelins, les enfants handicapés, les enfants dont les parents vivent avec le VIH/Sida...Ils constituent un des plus importants groupes vulnérables.

Il faut aussi mentionner les déplacés internes, les victimes de guerre, les personnes handicapées du fait de la guerre et les femmes violées.

Q: Sur quelle base dites-vous alors que 80% des Congolais sont vulnérables?

R: Sur une population de 60 millions d'habitants, la guerre a causé la mort d'au moins trois millions de personnes. Au moment où je vous parle, les déplacés de guerre sont au moins 1,7 million. Je n'ai pas de comptabilité pour les orphelins et pour ceux qui sont affectés par le VIH dont les capacités physiques et intellectuelles sont réduites.

Il faut ajouter à ceci toutes les personnes devenues vulnérables du fait de la guerre et du délabrement du tissu économique. Les fonctionnaires et agents de l'Etat ne sont plus pris en charge par l'Etat. Ils sont aussi aujourd'hui des personnes vulnérables. S'ils sont des vulnérables conjoncturels, les autres catégories sont des vulnérables structurels.

Si nous pensons que la majorité de la population active congolaise devrait travailler, à quel pourcentage voudriez-vous situer la vulnérabilité en RDC si ces personnes ne travaillent pas? Nous n'avons pas à chercher des chiffres, ça saute à l'oeil nu, la majorité des Congolais est vulnérable.

Q: En ce moment, les fonctionnaires suivent un mouvement de grève illimité. Que fait le gouvernement pour améliorer la condition de ces milliers de fonctionnaires que vous classez d'ailleurs parmi les personnes vulnérables?

R: Là, c'est un autre terrain. Je ne sais pas quelles sont les retombées sociales. Des négociations sont en cours. Un dialogue social a été établi entre le gouvernement et le monde syndical. Des solutions sont en train d'être trouvées.

Q: Que dire des enfants soldats alors que le programme de démobilisation, désarmement et réinsertion au niveau international doit être relayé par un programme national qui n'est toujours pas achevé?

R: Les enfants soldats à démobiliser sur le territoire sont estimés à plus de 50.000. Ils constituent un danger, une bombe à retardement si leur démobilisation n'est pas prise au sérieux. Car ils ont appris un métier, celui des armes. Il existe des documents qui permettent au processus d'évoluer en attendant la mise en oeuvre du programme global. En fait, cette
opération de DDR pour toutes les autres catégories concernées - les différentes anciennes factions armées - est une clé de voûte pour la stabilisation de la vie politique, militaire et sécuritaire du pays.

Les enfants soldats sont plus dangereux que les enfants des rues qui sont, eux, oisifs, fainéants, mais dont la réinsertion est également une préoccupation.

Ils sont plus de 25.000 dans les rues de la seule ville de Kinshasa et plus de 8.000 à Mbuji-Mayi, dans la province du Kasaï-Oriental. Il y en a dans les toutes les villes du pays. Ils doivent dépasser les 50.000.

Q: Avez-vous les moyens de mettre en oeuvre les résolutions de cet atelier?

R: Toutes les crises que nous avons connues ont eu plus d'impact dans le domaine social. Notre ambition en venant dans les affaires sociales était de redimensionner le social. Il fallait le requalifier. Nous avions pensé que le social conditionnerait le succès des autres réformes.

Donc, je ne peux pas dire que nous ne pouvons pas réaliser cette ambition. Nous avions initié la réflexion qui nous a amenés à cette étude. Aujourd'hui, nous sommes heureux que cette étude aboutira demain à une stratégie de protection sociale.

Nous menons cette étude avec l'appui logistique et financier de la Banque mondiale et du Bureau central de coordination (BCCO). Cette étude pose, en elle-même, des questions sur la réalisation effective de la protection sociale sur le terrain.

Il faut d'abord commencer par la réflexion. Quand nous l'aurons menée, nous pourrons déterminer les moyens à mettre en oeuvre pour réaliser ce que l'étude a dégagé sur le plan conceptuel.

Q: La Banque mondiale soutient en majeure partie la mise en oeuvre de cette stratégie. A quelle hauteur se situe sa contribution?

R: Nous sommes au stade de l'étude. Après nous organiserons une table ronde avec les bailleurs des fonds. Ce n'est qu'à ce moment-là que nous saurons à quelle hauteur ils devraient participer.

Q: De nombreuses études menées en RDC sont restées lettre morte. Qu'en sera-t-il de celle-ci?

R: Ce qui est certain, c'est l'engagement du gouvernement. Tout dépend de la volonté politique. La protection sociale est une des priorités du gouvernement. Deuxièmement, les bailleurs de fonds et d'autres partenaires multi et bilatéraux ont accepté de nous accompagner dans le relèvement du secteur social.




This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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